From the event

École
militaire,
Paris

11 mars 2009


Eng. / Fr.

Discours

du Secrétaire général de l'OTAN,
M. Jaap de Hoop Scheffer
à la Fondation pour la Recherche stratégique,Paris

Mesdames et Messieurs les Ministres,
Excellences,
Mesdames, Messieurs,

Comme vous pouvez l'imaginer, les conférences placées sous le signe du 60e anniversaire de l'OTAN ne manquent pas en ce moment – je pourrais même dire que si l'OTAN touchait des dividendes sur chaque événement, son budget civil cette année serait certainement beaucoup plus confortable et son Secrétaire général beaucoup plus heureux.

Mais être ici, à l'Ecole militaire, aujourd'hui, revêt une signification particulière. D'abord parce que ces 60 années n'ont pas été des années tout à fait comme les autres en France par rapport à d'autres Alliés – il ne m'a pas échappé qu'à quelques jours près, ce colloque aurait pu se tenir à la date anniversaire de la fameuse lettre du 7 mars 1966 du Général de Gaulle au Président Johnson. Ensuite car le débat stratégique français a toujours une originalité propre et qu'en tant que Secrétaire général de l'OTAN,  je ne peux qu'être intéressé à « prendre le pouls » de la pensée française sur l'Alliance et ses défis au 21e siècle – tout spécialement dans un cadre de si haut niveau, sous le patronage du Président Sarkozy.  Enfin, et surtout, parce que je ne méconnais pas l'importance du débat qui se développe en ce moment même sur la rénovation de la relation France-OTAN, à une semaine d'un débat parlementaire très important. Je souhaite donc remercier la Fondation pour la Recherche Stratégique de son invitation, et la féliciter d'avoir su choisir le moment idéal pour cette journée d'étude prestigieuse. 

Il m'a été demandé de m'exprimer devant vous en prélude à votre session de l'après-midi qui a pour thème « Nouveaux défis, nouvelles missions, un projet transatlantique pour le 21e siècle? ». C'est Alphonse Allais, à moins que ce ne soit Tristan Bernard, qui disait « le métier de prévisionniste est un dur métier, surtout quand il traite de l'avenir ». Autant dire que l'interrogation qui m'est adressée n'est pas simple. Ceci dit, je suis Secrétaire général de l'OTAN, et non prévisionniste, et la fin proche de mon mandat m'autorise quelque liberté. Je vais donc tenter d'esquisser une analyse, si ce n'est une réponse, à cette question fondamentale pour l'avenir de notre Alliance atlantique.

Il me semble qu'en cette année 2009, deux questions se distinguent de toutes les autres de par leur caractère particulièrement urgent: les multiples défis de sécurité et la profonde crise économique et financière actuelle.  La chronologie même des prochaines semaines l'illustre parfaitement: les chefs d'Etat et de gouvernement de l'OTAN, qui se réuniront au sommet à Strasbourg et Kehl les 3 et 4 avril, auront d'abord, pour beaucoup, pris part au G20, à Londres, le 2 avril. Bien que ces questions puissent sembler distinctes, elles ont en commun un certain nombre de caractéristiques importantes : premièrement, leurs conséquences sont exacerbées par la mondialisation et l’interdépendance croissante entre les États ; deuxièmement, aucun État ni aucune organisation ne peut, chacun de son côté, pleinement faire face à ces défis; troisièmement, la sévérité de la contrainte exercée par la crise sur les budgets de défense ne peut que rendre plus aigu l'arbitrage traditionnel des moyens entre politique intérieure et politique extérieure et de défense.  Une coopération et une coordination internationales étendues entre les pays et les organisations régionales et internationales sont désormais essentielles.

En ce qui concerne les défis en matière de sécurité, l'OTAN apporte, depuis sa création en 1949, une contribution majeure au renforcement de la paix et de la sécurité internationales.  Il est important pour la communauté internationale, et pour la France, que l’OTAN continue d’être un instrument utile, qui apportera cette contribution pendant longtemps encore.  Mais quelle forme celle-ci devrait-elle prendre ? Il est essentiel que tous ceux qui souhaitent participer efficacement au débat sur le futur de l’Alliance aient une bonne idée de ce qui est possible et nécessaire. 

Il est évident que pour l'opinion publique, en France comme dans le reste des pays alliés, l'OTAN apparaît indissociable de sa mission actuelle en Afghanistan.  De fait, l’Afghanistan est notre priorité opérationnelle. Mais l’Afghanistan n’est pas qu’un engagement opérationnel. L’Afghanistan illustre aussi la nature multi-dimensionnelle des crises et de la notion de sécurité.

La sécurité devient en effet un enjeu de plus en plus complexe.  Il s’agit d’une évolution qui est clairement décrite dans l’excellente analyse du Livre Blanc sur la défense et la sécurité nationale : « la complexité et l'incertitude s'imposent comme des caractéristiques majeures du nouvel environnement international » y est-il écrit dès l'introduction.   Le constat est bien là, mais, pour l’heure, j’estime que nos organisations internationales, y compris l’OTAN, n’ont pas encore pleinement exploité ces analyses.  Nous n’avons pas encore adapté tout à fait notre réflexion sur la sécurité, ni nos politiques, pour pouvoir suivre l’évolution rapide de notre environnement.

Pendant mon mandat de secrétaire général, j’ai été le témoin des changements considérables qui sont déjà intervenus au sein de l’Alliance, en particulier pour le développement de capacités expéditionnaires et pour l’élargissement du débat stratégique.  Mais il faut faire davantage et nous devons poursuivre son adaptation, car j’ai parfois l’impression que nous continuons d’aborder les défis du XXIe siècle avec une mentalité – et des moyens ­ du XXe siècle. 

De même, lorsque j’observe ce qui se passe en dehors de l’Alliance, je note qu'à de nombreux égards, le cadre institutionnel international reste également enfermé dans une mentalité plutôt conservatrice.  En d’autres termes, bien que notre environnement de sécurité se soit mondialisé, notre cadre institutionnel international est toujours compartimenté.

Comprenez-moi bien : je ne prétends pas que nous ayons besoin de nouvelles institutions.  Je prétends que nous devons faire évoluer celles qui existent.  Nous avons besoin au sein de nos institutions de politiques plus visionnaires et entre ces institutions de plus de cohérence.  Je crois qu’une occasion majeure nous est donnée à tous aujourd’hui d’aligner notre approche en matière de sécurité sur les réalités nouvelles.

Au début du mois prochain, l'OTAN célébrera donc son 60e anniversaire.  Voilà un bel âge pour une Alliance de pays souverains reliant deux continents.  Cela mérite assurément d’être célébré.  Et le contexte est prometteur : une nouvelle administration américaine est en place, déterminée à adopter une nouvelle approche.  Il y a manifestement une volonté européenne d’y répondre.  Par ailleurs, la volonté du président Sarkozy de renforcer la dimension européenne au sein de l'OTAN ainsi que la politique de défense et de sécurité au sein de l'UE a clarifié la position de la France. 

Permettez-moi de dire à cet égard que les discussions actuelles sur la participation française dans les structures militaires de l’Alliance sont saines et qu'il est important que les questions touchant à la défense d’un pays fassent l’objet d’un tel débat. Je ne veux pas m’immiscer dans cette réflexion nationale dont le résultat sera une décision souveraine de la France – je me suis au demeurant déjà exprimé à l'Assemblée nationale, il y a un mois, devant les commissions des Affaires étrangères et de la Défense réunies. Je voudrais simplement dire que la semaine dernière, nombreux sont les ministres des Affaires étrangères de l’Alliance réunis à Bruxelles qui ont salué l’idée d’un rapprochement français, soulignant qu’il permettrait de renforcer les capacités de l’Alliance pour faire face aux nouveaux défis. Je pense aussi que cela permettra de renforcer l’influence française sur les questions de défense et de sécurité, à la fois à l’OTAN, mais certainement aussi à l’UE. Je pense surtout que cette nouvelle approche française pourrait créer un espace politique favorable à un débat transatlantique approfondi sur l’avenir de la sécurité européenne. 

Le contexte est donc unique. La chancelière allemande, Mme Merkel, et le président Sarkozy ont fait des observations similaires dans leur tribune commune parue dans Le Monde le mois dernier.  Nous devons transposer tout cela dans une dynamique politique - et nous le ferons.  Je compte bien qu’au sommet de l’OTAN, les chefs d’État et de gouvernement adopteront une brève mais convaincante « Déclaration sur la sécurité de l’Alliance ».  Ce texte éminemment politique réaffirmera les valeurs fondamentales de l’OTAN en tant que communauté transatlantique attachée au caractère indivisible de la sécurité, la défense collective en étant son fondement. 

Plus encore, j’attends du sommet qu’il donne le feu vert au lancement des travaux relatifs à un nouveau concept stratégique.  Pourquoi cela? Il ne s'agit pas d'une fantaisie, de la volonté d'adopter un texte de plus. Il n'est pas non plus question de dire que le concept stratégique de 1999 est dépassé: à bien des égards, si vous le relisez aujourd'hui, vous verrez qu'il n'a pas si mal résisté aux outrages du temps. Mais il faut aussi reconnaître que ce concept stratégique était très marqué par les opérations de soutien de la paix (l'Alliance était massivement présente en Bosnie, et en pleine opération du Kosovo); il est naturellement antérieur au 11 septembre et à la résurgence de la menace terroriste internationale; et il a été élaboré et adopté à 16 – nous sommes aujourd'hui 26 et, espérons demain 28.

Ce processus permettra donc à tous les Alliés d’entamer un débat intellectuel majeur sur tous les aspects de l’OTAN et, de ce fait même, amènera à refonder le consensus stratégique au sein de l'Alliance – ce qui en fait sa force.  Ce débat permettra une analyse approfondie qui servira non seulement à faire évoluer l’OTAN, mais qui pourrait servir aussi de catalyseur pour permettre une évolution de la manière dont les organisations internationales interagissent.

Compte tenu du caractère mondial des menaces et des défis auxquels nous sommes exposés, un élément majeur du débat sera à n'en pas douter la signification de la défense collective et de l'article 5.  Celui-ci demeure, sans équivoque possible, le pilier de l'Alliance. Mais je pense que nous devrons adopter une approche plus large et considérer petit à petit la notion de sécurité collective, plutôt que de nous en tenir strictement à la défense collective.  C’est exactement l’approche adoptée par la France dans le Livre Blanc, qui admet que le clivage entre la notion de défense et la notion de sécurité tend à s’effacer.

Mais au-delà de cette approche, quels sont les autres thèmes qui devront être débattus  sérieusement en vue de ce concept ? - en disant « sérieusement », je veux dire en allant au fond des choses, et en se libérant des positions-réflexes parfois inspirées par l'inclusion rituelle, ou au contraire précipitée, d'un sujet dans un communiqué ministériel.  J’en proposerai quatre à votre réflexion:

Premièrement, la cyber-défense.  Pendant la guerre froide, nous avons déployé des efforts énormes pour protéger nos équipements et faire en sorte qu'ils ne puissent être paralysés par les effets d’une impulsion électromagnétique - la fameuse « IEM».  Nos autorités militaires ont acquis une grande expérience de la défense contre ces effets et un savoir-faire considérable en la matière.  De nos jours, la probabilité d’une attaque cybernétique dirigée contre nos réseaux est beaucoup plus grande que celle d’une IEM ; pourtant, les principes de défense et de protection restent largement similaires.  Nous devrions donc envisager de nous servir des capacités uniques qui existent déjà dans nos forces armées et chercher à les développer. Elles pourraient par exemple former un service de réaction rapide qui aiderait les Alliés et peut-être aussi les partenaires en cas d‘attaque.  Et compte tenu du rôle essentiel que l'espace et les satellites jouent aujourd’hui dans nos cyber-réseaux, ne devrions-nous pas aussi commencer à suivre de plus près les activités dans l’espace et en examiner les incidences pour notre sécurité ?

Deuxièmement, la sécurité énergétique.  La perturbation des approvisionnements énergétiques d’un pays peut détruire les bases mêmes de sa société et de son économie, comme s’il était en guerre, sans qu’un seul coup de feu ne soit pourtant tiré.  Il est par conséquent indispensable que l’OTAN définisse ce qu’elle peut apporter de plus, par exemple au niveau de la protection des infrastructures essentielles ou de la sécurisation des goulets d’étranglement par lesquels passent les flux d’approvisionnement. Je pense d’ailleurs que l’OTAN a d’ores et déjà des moyens qui peuvent apporter une contribution majeure dans ce domaine.

Troisièmement, le changement climatique.  Nous pouvons voir que ce changement a déjà des implications sécuritaires.  Par exemple en Afrique, où le manque d’eau et la diminution de la surface des terres arables sont directement responsables de certains conflits et de tensions.  En revanche, dans le Grand Nord, où la fonte de la calotte glaciaire est une réalité, on notera avec satisfaction que le changement climatique n’a pas encore fait monter la tension.  Mais cette possibilité existe, des ambitions s'expriment, et nous devons être prêts à réagir.  Sécurité énergétique et changement climatique sont d'ailleurs deux thèmes qui soulignent également la nécessité pour l'Alliance de repenser fondamentalement sa doctrine maritime.

Enfin, quatrièmement,  l'approche globale, comme l'on dit dans notre jargon.  En Afghanistan et ailleurs, une approche globale des acteurs civils et militaires est la clé du succès.  Nous sommes tous d’accord sur ce point.  Pourtant, chaque organisation continue de travailler suivant sa propre culture et ses propres préférences, sans forcément chercher une convergence de résultats.  Je dois avouer qu’au cours de mes cinq années en tant que secrétaire général, c’est une des choses qui m'a le plus frustré.  Je pense qu’un nouveau concept stratégique doit plaider plus encore pour une coopération entre nos grandes organisations, à commencer par l’OTAN et l’Union européenne. Un resserrement des liens entre ces deux organisations renforcerait leur efficacité dans une approche globale. Cette coopération permettrait aussi une amélioration du cadre institutionnel international dont j’ai parlé tout à l’heure.  La France l’a clairement compris, et j’apprécie grandement ses efforts visant à concrétiser cette aspiration.   Javier Solana, qui est ici, et moi travaillons chaque jour à améliorer les relations EU-OTAN.

Tous ces points représentent des approches politiques, mais soyons clair : la valeur ajoutée de l’organisation dépend de ses capacités militaires. L’OTAN n’est pas une agence civile et ne le deviendra pas. C’est bien une organisation politico-militaire, et pour pouvoir pleinement apporter sa contribution, elle doit en avoir les capacités nécessaires : des capacités adaptées aux nouvelles menaces et nouveaux défis ; des capacités expéditionnaires aptes à s’intégrer dans de nouveaux contextes de crise où la dimension militaire n’est qu’un des aspects ; des capacités, enfin, aptes à couvrir l’ensemble du spectre d’action militaire, du combat à la stabilisation, en passant par la formation de soldats locaux. Le Livre Blanc français montre comment on peut faire des choix difficiles pour définir des priorités. De même, le nouveau concept stratégique doit contenir ces questions militaires et en fixer les priorités.

La méthode d'élaboration de ce futur concept stratégique est encore à définir – ce sera certainement l'un des points que les chefs d'Etat et de gouvernement auront à coeur de débattre personnellement à Strasbourg/Kehl. Groupe des sages, nouveau rapport Harmel: des propositions sont sur la table. Ce sera pour l'essentiel à mon successeur de gérer la bonne conduite de ce processus. Je formule néanmoins le voeu qu'il permette de ranimer un vrai débat stratégique au sein de l'OTAN.

De fait, nous avons beau vivre à l’heure de la mondialisation, l’Alliance éprouve des difficultés à parler de régions et de dossiers lorsque l’OTAN n’y est pas directement impliquée.  Il va de soi que l’OTAN ne sera pas systématiquement sollicitée pour tous les problèmes liés aux « États faillis » ou pour toutes les crises au Moyen-Orient,  mais il est certain que nous devrions au moins parler de ces questions et échanger des informations.  Au début des années 50, un des premiers dossiers que le Conseil de l’Atlantique Nord, nouvellement créé, a examiné était la situation dans la péninsule coréenne.  D’une certaine manière, nous appréhendions peut-être mieux la mondialisation à l’époque qu’aujourd’hui.  Ici encore, comprenez-moi bien : je ne veux nullement dire que l’OTAN doit s’occuper de tout, partout. Certains ont à tort interprété ainsi l’expression « OTAN à vocation mondiale ou globale ».  L’OTAN n’a pas l’ambition de devenir le gendarme du monde.  L’OTAN n’est pas les Nations Unies.  En revanche, je dis que tout ce que nous pouvons faire pour approfondir notre connaissance et ainsi améliorer notre compréhension de ce que cela a comme incidences pour notre sécurité, nous préparera mieux pour l’avenir – c’est ce que nous devons promouvoir.  Je continuerai donc à prôner un débat stratégique allant au-delà de la simple perspective euro-atlantique. Cela nous aidera non seulement à mieux comprendre les complexités et interactions de notre environnement en matière de sécurité mais aussi à déterminer la meilleure façon pour l’OTAN de contribuer aux efforts déployés par la communauté internationale dans ce domaine, sur la base de la valeur ajoutée que L’OTAN peut apporter. 

Mesdames, Messieurs,

Je vous ai livré mes réflexions personnelles sur certains des éléments qui pourraient figurer dans un nouveau concept stratégique.  Il est évident que la liste n'est pas exhaustive – j'aurais dû citer aussi les dangers croissants de la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs, et l'équilibre dans la politique de l'Alliance entre dissuasion, politique de non-prolifération et contribution aux efforts de désarmement.  Et, comme je l'ai dit, de nombreux éléments du concept stratégique de 1999 restent valables et devront être repris dans un nouveau document.  Mais si nous voulons sauvegarder notre sécurité dans l’environnement en rapide évolution qui est le nôtre aujourd’hui, les premières étapes seront d’améliorer notre compréhension de la notion de sécurité et de développer nos outils institutionnels en conséquence. Je me réjouis à la perspective de voir la France jouer un rôle actif dans ce débat, qui, à bien des égards, commence aujourd’hui par cette journée d’étude.

Je vous remercie.