Edition Web
No. 6 - nov.-
dc. 1997
Vol. 45 - pp. 27-30

Les concepts de scurit nationale en Europe centrale et orientale

Jan Arveds Trapans




(18Kb)
Le Dr. Trapans, membre de l'Institute for International Policy Development (Royaume-Uni), a t ministre de la Dfense de Lettonie, responsable du bureau de liaison de la Lettonie avec l'OTAN et ambassadeur en mission extraordinaire sur les questions de scurit. Dans cet article, il s'appuie sur sa trs grande exprience pour exposer les lments de base d'un concept moderne de scurit nationale et affirme que les nouvelles dmocraties d'Europe centrale et orientale doivent se dbarrasser des modes de pense d'autrefois. Pour cela, elles auront besoin d'tre guides, et l'OTAN et le Partenariat pour la paix pourront leur tre utiles, mais c'est elles-mmes qui devront accomplir le dur travail ncessaire pour se prparer l'intgration dans les structures de scurit europennes.


La structuration complexe de la scurit

Assurer la scurit nationale d'un pays, c'est prserver son indpendance et son intgrit territoriale, sa forme de gouvernement constitutionnelle et dmocratique, et protger ses habitants lors de circonstances critiques. Dans tous les Etats, la scurit nationale est un lment d'une grande importance. En gnral, dans les pays dmocratiques, le gouvernement expose clairement et ouvertement ses intrts en matire de scurit, parce qu'il est dans l'obligation d'informer l'lectorat, et qu'il s'appuie sur son soutien. Il est aussi ncessaire que les pays amis sachent quel soutien ils recevront, et que les ennemis potentiels se rendent compte de l'opposition laquelle ils pourraient se heurter.

Mais ce ne sont l que les donnes lmentaires de la scurit, rapidement esquisses. Dans la pratique, la scurit est plus complexe. Ainsi, tous les Etats membres de l'OTAN ont souscrit des obligations dfensives mutuelles et la plupart des Etats europens ont tabli, depuis des dcennies, des relations conomiques et politiques de plus en plus troites. Cette structuration complexe de la scurit fait partie intgrante des relations occidentales et influence fortement les concepts de scurit des pays concerns. En revanche, c'est une nouveaut pour les pays d'Europe centrale et orientale qui, au lendemain des changements fondamentaux survenus dans le paysage de la scurit sur le continent, se rendent compte qu'ils n'ont plus qu' mettre au rebut leurs anciens concepts de scurit nationale et en concevoir de radicalement nouveaux.

Elaborer un concept de scurit nationale


Soldats lithuaniens participant un exercice PPP de prparation des tches de maintien de la paix.
(Photo OTAN 56Kb)

Du temps de la Guerre froide, les pays d'Europe centrale et orientale n'avaient pas de concepts de scurit nationale au sens occidental du terme. L'Union sovitique avait dcid de sa teneur, imposait son contrle dans tous les pays du Pacte de Varsovie, et disposait du rempart de la doctrine Brejnev si les pays satellites venaient, sur le plan politique, prendre une orientation indsirable. Dsormais, les pays nouvellement souverains sont responsables de leurs propres concepts de scurit, qui s'inspireront en grande partie des traditions occidentales.

Cependant, il ne faut pas croire que l'on puisse aisment dfinir son concept en se contentant d'adapter un modle europen existant complt, pour les pays qui dsirent adhrer l'OTAN, d'une liste d'obligations spcifiques. Certes, l'Occident peut offrir des principes et des lignes directrices, mais il n'existe pas de modle universel que tous les pays post-socialistes puissent ou doivent suivre. En outre, contrairement certains pays d'Europe de l'Ouest, les nouvelles dmocraties ne peuvent s'appuyer sur une exprience ou une tradition de longue date pour laborer leurs concepts de scurit nationale. Il leur faut comprendre clairement ce que, dans leur cas particulier, le concept doit couvrir, et cet gard, aides et conseils seront essentiels.

Il faut aussi se rappeler que les concepts de scurit nationale ne sont pas des plans militaires et que la scurit n'est plus garantie uniquement par la force militaire. Nanmoins, les pays recourront la force pour se dfendre et se tiendront prts dfendre la scurit commune avec leurs allis. Ainsi, de nombreux Etats d'Europe centrale et orientale s'efforcent de devenir membres de l'OTAN pour unir leur potentiel de dfense celui de l'Alliance.

Mais adhrer l'Alliance n'est pas un processus unilatral et signifie introduire des changements fondamentaux dans la conduite des affaires de scurit et de dfense. Premirement, il faut tablir un contrle dmocratique et politique de l'appareil militaire. Les forces armes doivent tre places sous l'autorit de ministres de la Dfense civils et assujetties au contrle parlementaire - tout d'abord travers le budget. Deuximement, les futurs membres potentiels d'organisations occidentales responsables de la scurit ne doivent pas avoir d'attitudes menaantes l'gard de leurs voisins, car les alliances occidentales sont de nature dfensive. Cela implique que l'organisation, la prparation et l'ducation des forces armes doivent revtir un caractre dfensif et que les niveaux de forces, en personnel et en matriel, doivent tre rduits au minimum ncessaire.

Les conditions supplmentaires que doivent remplir les pays dsireux d'adhrer l'OTAN incluent l'interoprabilit et une contribution la scurit commune dans les meilleurs dlais. Leurs forces doivent tre prtes prendre part des missions de maintien de la paix telles que celles menes par la SFOR et tre disposes contribuer la scurit rgionale en uvrant avec les pays voisins. A cette fin, les Etats baltes ont mis en place un Bataillon balte de maintien de la paix, "Baltbat", et mettent actuellement au point une flotille balte, "Baltron", qui accomplira des missions rgionales de maintien de la paix et de recherche et de sauvetage.

La politique de dfense et sa planification



"Les forces armes doivent tre (...) assujeties au contrle parlementaire - tout d'abord travers le budget." Ici, le Parlement polonais lit un nouveau prsident, M. Maciej Plazynski, en octobre dernier.
(AP 68Kb)
Un concept de scurit expose en dtail les proccupations scuritaires et l'attitude militaire d'un pays, tandis que sa politique de dfense indique comment il ragira ces questions. Le concept oriente donc la politique de dfense, en mettant en avant la posture dfensive, et, dans l'idal, il inclut un engagement en faveur de la coopration rgionale et des missions de maintien de la paix.

Cependant, mme une fois qu'un pays a opt pour une posture dfensive, il lui reste encore faire un certain nombre de choix stratgiques, par exemple entre la dissuasion et le refus. Si une grande puissance peut s'appuyer sur la dissuasion, un petit Etat optera plus vraisemblablement pour une stratgie du refus, qui consiste refuser d'accorder un agresseur la possibilit d'envahir rapidement le pays. Cette stratgie du refus va de pair avec le choix entre la dfense du territoire, purement militaire, ou la dfense globale, qui demande une action long terme incluant jusqu' la rsistance passive de la population civile.

La politique de dfense dtermine galement la structure des forces: arme professionnelle, forces de conscription, ou un panachage des deux, avec des forces de rserve investies d'un rle spcifique. Ces diffrentes dcisions de politique intrieure varieront en fonction des contingences de chaque pays, mais le dnominateur commun doit tre qu'elles soient "dfensives", "dmocratiques"(1), et n'entravent en rien le choix d'un Etat de devenir membre d'une organisation de scurit internationale.

Au fur et mesure que la rflexion sur la scurit progresse du concept la politique, puis la planification, les relations entre le civil et le militaire deviennent de plus en plus importantes. Les civils dcident du contenu d'un concept de scurit, mais aprs consultation avec les militaires. C'est dans le domaine de la politique de dfense que la coopration entre ces deux secteurs est la plus troite. La plupart des points de dtail sont du ressort des militaires, mme si dans un pays dmocratique, ce sont le Cabinet, le ministre de la Dfense et les parlementaires qui ont le dernier mot en matire d'laboration de la politique. Quant aux plans de dfense, la constitution des forces, la prparation et au dploiement, il s'agit l de prrogatives du secteur militaire.

Pour les nouvelles dmocraties, l'laboration de la politique de dfense risque fort de soulever des difficults tant dans le domaine civil que militaire. En effet, ni l'un ni l'autre n'a une grande exprience dans le domaine de l'attribution des responsabilits, contrairement aux dmocraties occidentales, o la division des tches est bien comprise.

Dans les conditions actuelles, la formulation de la politique, en Europe centrale et orientale, est encore plus difficile. Il faut revoir les concepts sur lesquels repose la doctrine, et tablir une hirarchie des priorits conflictuelles que sont la dfense nationale, la participation des activits de maintien de la paix, la gestion des crises et les situations d'urgence dans le domaine civil. Des rformes considrables doivent tre entreprises, tandis que les anciennes armes plthoriques de type sovitique doivent tre rduites, les industries de dfense la drive dtruites et de nouvelles forces de dfense souveraines reconstruites. Tout cela avec des budgets de dfense modestes.(2)


Analyse des menaces et gestion des crises

Les nouveaux concepts de scurit nationale incluront une analyse des menaces, c'est--dire une valuation des menaces court et long terme qui psent sur le pays concern. Si, par sa forme, elle ressemblera celle des pays occidentaux, il en sera autrement de son contenu. Une menace peut revtir l'aspect d'une activit militaire extrieure mettant en danger l'indpendance d'un pays. Dans les socits post-socialistes, cependant, les menaces d'origine intrieure seront probablement plus frquentes: crise intrieure, peut-tre exploite par un voisin hostile pour saper l'intgrit territoriale du pays, coup d'tat tent par une organisation extrmiste, activit criminelle grande chelle, ou encore grande catastrophe naturelle ou cause par l'homme mettant en pril la vie et la scurit de la population.

Qui plus est, une menace intrieure peut en engendrer une autre. Ainsi, une crise conomique peut trs bien dclencher une crise politique suffisamment grave pour branler l'ordre politique existant et la paix intrieure, comme on l'a vu en Albanie l'anne dernire. Et une menace dans un pays donn peut facilement avoir un "effet domino" sur les voisins. Les concepts de scurit en Europe centrale et orientale devront donc insister davantage sur la sauvegarde de la dmocratie et la prservation de la tranquillit intrieure qu'en Occident.

Le concept de gestion des crises est relativement nouveau dans nos pays, et il nous faut encore mettre au point des mthodes pour faire face aux menaces. Grer une crise signifie l'identifier, la rduire puis l'liminer. Chaque fois que possible, il s'agit de matriser la situation, et non de recourir la force. Ainsi, un gouvernement pourrait devoir prendre des mesures d'urgence, dcrter un couvre-feu, affecter des troupes des tches d'urgence, voire prparer une mobilisation. La gestion des crises doit permettre d'assurer la scurit de toutes les branches du gouvernement et leur capacit de rester fonctionnelles; elle doit assurer la protection des communications et pouvoir informer la population et les gouvernements trangers. Il faut que les nouvelles dmocraties cernent bien les moyens de mettre en uvre de telles mesures, et notamment quand elles doivent commencer et se terminer.

La structure, les mthodes et les procdures de gestion des crises devront tre dfinies par un ensemble de directives l'intention des dirigeants, fonctionnaires et militaires. De manire optimale, les structures de gestion des crises dans des pays voisins devraient tre semblables, de faon renforcer la scurit rgionale.

Par ailleurs, une nouvelle structure de gestion des crises " l'orientale" demandera un rexamen de la gestion des crises " l'occidentale". En effet, si pour les pays de l'OTAN, les crises tendent se situer "hors zone", elles ne se droulent plus au-del du golfe Persique, mais bien aussi prs qu'en ex-Yougoslavie. Une crise en Europe centrale et orientale pourrait entraner une certaine intervention de l'Alliance, tout au moins travers le Partenariat pour la paix, mais pas automatiquement. Lors de la premire phase d'une tension, lorsque la crise n'est encore ni trop grave ni irrversible, la consultation, la mdiation rflchie et l'assistance approprie devraient tre des instruments d'une grande efficacit pour rduire le danger. C'est prcisment l le but de la gestion des crises. Elle devrait renforcer la scurit de tous les pays membres du Partenariat pour la paix sans que l'OTAN n'ait intervenir immdiatement.

Les plans civils d'urgence

Les plans civils d'urgence font partie de la gestion des crises. Cependant, dans les concepts de scurit nationale, ils devraient tre distingus des autres types de crises. Une opration de raction une situation d'urgence dans le domaine civil s'organise dans le but d'aider surmonter les consquences de catastrophes naturelles ou causes par l'homme en aidant les habitants et en protgeant les ressources d'un pays. Dans une telle ventualit, les forces armes pourraient tre appeles la rescousse, ce qui ncessiterait ds le dbut une troite coopration civilo-militaire. Il conviendrait aussi de disposer d'une organisation permanente dote d'un personnel important.

Les plans civils d'urgence constituent un domaine sur lequel l'OTAN s'est beaucoup penche et pour lequel l'Europe centrale et orientale a dj bnfici d'une aide et d'une coopration importantes.(3) C'est un fait essentiel, car en Europe centrale et orientale les situations civiles d'urgence peuvent avoir de graves incidences politiques. Des catastrophes naturelles peuvent aisment entraner des complications l'chelle rgionale et avoir des effets internationaux dbouchant alors sur un scnario de "crise en dveloppement".

Etablir, rexaminer et valider les concepts de scurit nationale

Le projet d'un gouvernement concernant sa politique de scurit nationale doit tre largement soutenu par l'ensemble de la socit. Une fois qu'une premire version a t rdige (sans doute par un groupe de travail intergouvernemental comprenant des reprsentants du parlement, de divers ministres et de l'arme), il doit tre soumis au Cabinet et faire l'objet d'un dbat parlementaire. Il s'agit d'un document public qui n'a pas force de loi, puisqu'il ne peut passer outre les prrogatives du parlement. C'est un accord entre le gouvernement et les citoyens, un contrat ouvert conclu au terme d'une procdure ouverte.

Les concepts de scurit nationale dans les nouvelles dmocraties devront aussi tre rgulirement rexamins et ajusts aux circonstances du moment. Ainsi, un pays d'Europe centrale et orientale devenant membre de l'OTAN devra modifier considrablement son valuation de sa scurit et des menaces qui psent sur elle.

La question finale poser est la suivante: un concept de scurit nationale tient-il ses promesses? Il peut proclamer la ferme dtermination d'un pays assumer une attitude dfensive, mais cela se reflte-t-il au niveau de ses forces armes? La doctrine militaire et la prparation des forces armes doivent rompre avec l'ancien mode de pense, de la mme manire que le contrle dmocratique de l'appareil militaire doit tre une ralit. De surcrot, l'affectation des ressources doit tre planifie de faon rpondre aux besoins du pays.

Dans le meilleur des mondes, les dmocraties naissantes auraient l'argent, le temps et l'exprience ncessaires pour accomplir le difficile voyage menant aux nouvelles structures de scurit de l'Europe. Dans le monde rel, en revanche, elles doivent se contenter de faire du mieux qu'elles peuvent. Les pays occidentaux ne peuvent ni faire ce parcours leur place ni leur apporter des ressources illimites, mais ils peuvent leur offrir une grande exprience et des conseils. A cet gard, le Partenariat pour la paix peut tre des plus utiles en aidant les civils comme les militaires d'Europe centrale et orientale progresser vers la scurit commune travers des actions conjointes et la coopration.


Notes

  1. Les politiques de dfense des petits pays sont brivement prsentes par le gnral Gustav Hgglund dans "La Finlande - Une politique de dfense axe sur la protection contre les pressions extrieures", Revue de l'OTAN, n4, juillet 1995, pp. 19-21.

  2. Cf. Christopher Donnelly "La rorganisation de la dfense et les nouvelles dmocraties", Revue de l'OTAN, No. 6, novembre 1996, pp. 20-23.

  3. Pour plus d'informations, cf. Francesco Palmeri, "Les plans civils d'urgence", Revue de l'OTAN, No. 2, mars 1996, pp. 29-33.


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