Updated: 23-Nov-2004 | NATO Speeches |
Paris, France 22 nov. 2004 |
Discours du Secrétaire général de l'OTAN, Jaap de Hoop Scheffer
Mais nous avons surtout constaté ensemble l'importance d'un véritable débat transatlantique et celle de ressouder ce pacte qui lie depuis tant d'années les continents européen et nord-américain. Un sujet fondamental qui a fait récemment l'objet d'une remarquable "lettre à un ami américain" du Ministre dans le Monde. Une nécessité aussi, qui place l'OTAN au coeur de la refonte du lien transatlantique que nous appelons de nos voeux. Mesdames, Messieurs, en acceptant ce poste de secrétaire général, j'étais animé d'une double conviction, à priori paradoxale: d'abord, que la raison d'être de l'Alliance atlantique comme incarnation des valeurs et intérêts de sécurité européens et nord-américains était plus valable que jamais; ensuite, que l'OTAN devait impérativement poursuivre son processus de transformation politique et militaire. Presqu’un an plus tard, ces postulats continuent de guider mon action quotidienne à la tête de l'OTAN. En effet, l'Alliance a été fondée il y a plus d'un demi-siècle sur la base d'un pacte entre l’Europe et l’Amérique du Nord. Ce pacte liait les destinées de ces deux continents face à un environnement stratégique facilement lisible mais éminemment hostile. La chute du mur de Berlin est passée par là, le bloc soviétique s’est effondré, des espaces économiques et politiques se sont recomposés, de nouveaux défis et de nouvelles menaces ont émergé. Mais les valeurs communes aux Alliés, - démocratie, Etat de droit, économie de marché - , leurs intérêts communs de paix et de stabilité, eux, demeurent. La force de ces fondamentaux constitue le ciment de l’Alliance, au-delà des péripéties de l’Histoire. Bien sûr, les différends entre alliés ont été nombreux. Le retrait de la France de la structure militaire intégrée dans les années soixante, le stationnement des missiles nucléaires à portée intermédiaire dans les années quatre vingts, la délicate gestion des conflits balkaniques dans les années quatre vingt dix, l’Iraq plus récemment. Mais, jusqu’ici, ce qui unit les Alliés, ce besoin élémentaire de solidarité et de cohésion, cette volonté de contribuer aux affaires du monde, a toujours été plus fort que leurs divisions. Et force est de constater qu’ils ont fait de l’adaptation continue de l’OTAN une des priorités de leur politique extérieure. Avec un certain succès, si vous me permettez un rapide bilan. Les élargissements successifs, le Partenariat pour la Paix, la politique de la main tendue à l’égard de la Russie et de l’Ukraine ont contribué de façon décisive à la stabilisation du continent européen et au-delà . De même, les premières opérations « hors zone » en Bosnie, au Kosovo et dans l’ancienne république yougoslave de Macédoine(1) ont permis de ramener progressivement les Balkans dans le giron de l’Europe. Les évènements du 11 septembre auront eu comme douloureux corollaire la prise de conscience que sécurité ne rime plus toujours avec défense territoriale. Elle passe désormais par une lutte résolue contre le terrorisme et la prolifération, dont le volet militaire ne constitue que le dernier recours. Elle passe parfois par la projection de nos forces bien au delà de nos frontières. D’où notre engagement en Afghanistan, à l’appui d’un processus de reconstruction de longue haleine. D’où également, notre action navale anti-terroriste en Méditerranée. D’où enfin, notre effort capacitaire et la réforme de notre système de planification, visant à mettre en cohérence nos ambitions politiques et nos outils de défense. L'OTAN a également commencé à dépasser les querelles du passé au sujet de l'Iraq. Nous nous sommes accordés sur l'essentiel, à savoir l'importance de restaurer un Iraq souverain et démocratique auquel nous contribuons en assistant, à l’intérieur et à l’extérieur du pays, à la formation et l'équipement des forces armées iraquiennes. Parallèlement à ces développements, l’Alliance s’est ouverte à de nouveaux partenaires stratégiques. A l’Union Européenne, bien sûr, qui est en train de s'affirmer comme un acteur important dans le domaine de la sécurité et de la défense. Aux autres acteurs institutionnels comme les Nations-Unies ou l'OSCE avec lesquels nous travaillons main dans la main sur le terrain. A nos voisins méditerranéens d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient avec lesquels nous partageons tant de liens et de défis. Aux régions stratégiques du Caucase et de l'Asie centrale enfin. C'est donc une Alliance rénovée et ancrée dans la réalité contemporaine que je dirige aujourd'hui. Mais ces acquis ne coulent pas de source. Les conceptions américaine et européenne des conditions de leur sécurité ont considérablement évolué, en particulier depuis les événements du 11 septembre. L’ampleur du drame, son caractère brutal et symbolique, a provoqué aux Etats-Unis un sentiment durable de vulnérabilité. La tentation isolationniste a vécu. Aux yeux de nombre d’Américains, seul un engagement résolu est dorénavant à même de prévenir une nouvelle catastrophe. Les Européens ont également pris la mesure des enjeux d'aujourd'hui. Ils comprennent qu’un ordre mondial sans les Etats-Unis n’aurait pas de sens. Ils savent aussi que la construction de l’Europe ne saurait se définir par opposition aux Etats-Unis, sous peine de divisions. Il serait vain, je crois, de nier le décalage de perception et les différentes sensibilités qui existent au sein de l'OTAN. Les fondamentaux, - valeurs et intérêts-, sont immuables. Leur traduction concrète en engagement transatlantique commun, non. Nous devons donc gérer cette relation transatlantique de façon pragmatique. Arrêtons de parler de divorce ou de rupture dès qu'un différend, même d’importance, surgit. Les bases de l'Alliance atlantique sont solides. Il nous faut surtout travailler à la mise en place d'une véritable culture du débat. Certes, l'OTAN, au titre de la défense collective ou de la gestion de crise, est par nature essentiellement fondée sur l'action. Mais, plus que jamais, cette action doit également reposer sur le débat politique et le dialogue. Car le temps des certitudes et des automatismes est définitivement révolu. Notre environnement, proche ou lointain est complexe et interdépendant. Notre sécurité n’est plus seulement fonction de paramètres militaires, mais est directement affecté par des phénomènes politiques, économiques ou religieux globaux. Les crises, qu’elles s’imposent à nous ou non, ont des ressorts profonds et un impact dépassant souvent leur cadre initial. Les nouvelles menaces elles-mêmes sont multi-formes et diffuses. Dans ces conditions, l’action, dès lors qu’elle ne relève pas du cadre très particulier, immédiat et heureusement rare de la légitime défense individuelle ou collective, s’inscrit dans une problématique d’ensemble. Aujourd’hui, pour être efficace, chaque engagement opérationnel doit faire l'objet d'un consensus sur les moyens à engager, sur les méthodes à utiliser et sur l'objectif rercherché. C’est également ce consensus préalable qui garantit la pérennité de la mission sur la durée. Et pour être légitime aux yeux de nos opinions publiques et de nos partenaires, chacun de ces engagements doit être justifié et expliqué en toute transparence. Cette recherche de consensus domestique et extérieur, au sein de l'OTAN, n'est pas aisée. Comme le prouvent les discussions au sein du Conseil de l'Atlantique Nord sur les conditions de notre engagement au Kosovo, en Afghanistan et encore plus en Iraq. Elles sont souvent pour le moins ouvertes et franches, comme le qualifie si bien le langage diplomatique. Et loin d’être ponctuelles, elles couvrent toute la durée du conflit, de sa genèse jusqu’à la stratégie de sortie. Parce que les orientations arrêtées au Conseil engagent les vies de nos personnels déployés sur les théâtres. Parce que les montants financiers et les équipements militaires en jeux sont considérables. Enfin, parce que les situations évoluent et que la stratégie des Alliés doit s’adapter en conséquence, tout en tenant compte du contexte politique plus large. Et parfois, les divergences d'analyse, plus ou moins éphémères et profondes, existent et mettent les nerfs des représentants permanents et des capitales à rude épreuve. Pourtant, rien que de très normal face à des situations aussi complexes et à des enjeux aussi considérables. Mon expérience de presqu’un an me conforte toutefois dans
l'idée que les Alliés ont un sens élevé de leurs responsabilités. Le
temps du débat n’empiète pas sur celui de l’action lorsque nos intérêts
sur le terrain l’exigent: le transfert de responsabilité de la SFOR vers
l'Union Européenne en Bosnie Herzégovine est en passe de s'effectuer
dans de bonnes conditions; la KFOR au Kosovo demeure vigilante face à
des échéances capitales pour l'avenir de cette province et a été renforcée
à l'occasion des dernières élections; de même, en dépit de difficultés
de génération de forces largement médiatisées, la FIAS en Afghanistan
a sû contribuer en temps et en heures au succès des élections présidentielles,
première étape vers la consolidation du pays; en Iraq enfin, la mission
de formation des officiers iraquiens, à l'intérieur et à l'extérieur
du pays, a bel et bien commencé et apporte une contribution importante
au retour à la souveraineté de l'Iraq. Voilà un échantillon des questions du moment soumises à l'attention
du Conseil. Elles sont déterminantes pour mener à bien notre mission.
En même temps, il me semble qu'elles n'épuisent pas le potentiel de l'OTAN
comme principal forum de concertation transatlantique. L'Alliance n'a
pas vocation à être réduite au rôle de simple contributeur de troupes,
sans identité politique qui lui soit propre. Elle n'est pas seulement
une "machine à décision". Et pourtant, les Alliés n’utilisent guère l'OTAN pour faire entendre collectivement leur voix dans la recherche des solutions politiques correspondant aux théatres d'engagement de l’Alliance. Soyons lucides: sans l'OTAN, rien n'est possible au Kosovo ou en Afghanistan. Elle est écoutée et respectée sur le terrain. Dans ces conditions, pourquoi se priver de ce levier supplémentaire en appui des autres efforts de la communauté internationale? Au delà même de ces préoccupations immédiates, les questions fondamentales engageant la sécurité de tous les Alliés ne manquent pas. L'évolution de l'ex-espace soviétique, les perspectives de coopération avec le monde arabo-musulman, les tendandes lourdes du terrorisme et de la prolifération des armes de destruction massive, autant d’occasions d’approfondir le débat. Il ne faut pas craindre non plus d'évoquer l'impact sur notre sécurité des drames humanitaires en Afrique. Ni de commencer à débattre de ce que pourrait être notre attitude sur le Proche-Orient, si se concrétisait la perspective d'un règlement de paix et si les parties en présence réclamaient une implication de l'OTAN. En arrière plan de l'ensemble de ces questions, nous devons également réfléchir au moyen de donner son véritable envol au partenariat stratégique avec l'Union Européenne, en pleine concertation avec elle. Je regrette que notre excellente coopération dans les Balkans n'en ait pas encore marqué le coup d'envoi, alors que se multiplient les défis communs. Les conditions pour une discussion apaisée à ce sujet sont réunies. Il faut en saisir l'occasion. Mesdames, Messieurs, Il s'agit là de questions sur lesquels nos intérêts communs
sont en jeu. Et au sujet desquels vingt six Etats libres et démocratiques
peuvent parfaitement avoir des approches différentes, voire de francs
désaccords. Nous devons dédramatiser le débat et l’accepter pour ce qu’il
est : pas forcément la première étape vers une décision ou une intervention,
mais la condition "sine qua non" d’un consensus transatlantique accru ou tout simplement d’une meilleure compréhension
commune des enjeux. Pris en ce sens, un rôle politique accru de l’OTAN
ne peut être que bénéfique pour les Alliés et ses partenaires, institutionnels
ou non. Il ne s’agit pas non plus de rivalité institutionnelle, de dévêtir Jacques pour habiller Paul. Face à l’ampleur et au nombre de défis, il y a suffisamment de pain sur la planche pour tous. Chacun peut et doit contribuer, dans la mesure de ses moyens et en fonction de ses compétences. Dans ces conditions, raisonner en termes de chasse gardée, comme autrefois de zones d'influence serait dérisoire. L'Alliance elle-même n'a pas le monopole s’agissant du dialogue transatlantique compte tenu de la richesse et de la diversité des échanges entre ses partenaires. Aucune organisation à elle seule ne peut donc prétendre à elle seule épuiser un sujet. Chaque formule présente un avantage, en fonction d'un contexte particulier et le pragmatisme doit prévaloir à cet égard. Et pourtant, aucune d'entre elles ne remet en cause la pertinence de l'OTAN comme cadre éprouvé de concertation et de coopération, comme point de rencontre privilégié entre Européens et Nord-américains. Mesdames, Messieurs L’heure est à la synergie et la complémentarité entre les organisations. Au débat entre institutions et au sein de l'Alliance, condition de la confiance et de l'efficacité dans la conduite des relations internationales. Je connais l'attachement de la France aux notions de dialogue, d'ouverture et de partenariat entre les Etats-Unis et l'Europe. Je suis certain qu'elle prendra toute sa place dans le renforcement du rôle politique de l'OTAN que j'appelle de mes voeux. Je vous remercie de votre attention. |