Rome,
Italie
28 mai 2002
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Conférence
de presse
de
M. Jacques Chirac,
Président de la République française
Mesdames, Messieurs,
Nous venons de terminer cette réunion que l'on peut
regarder sous son aspect symbolique ou sous son aspect à
mesure réelle, c'est-à-dire l'aboutissement d'un
progrès considérable dans l'évolution de
la vie de l'Europe, car aurait-on pu imaginer il y a seulement
dix ou quinze ans qu'une réunion de cette nature ait
pu avoir lieu ?
Je rappelle qu'elle concrétise un effort auquel la France
s'est toujours consacrée, a toujours souhaité,
que la Russie soit associée à l'effort de défense
et de sécurité du continent européen. C'est
dans cet esprit que nous avions beaucoup poussé l'idée
de l'Acte fondateur qui avait été signé
à Paris en 1997 et qui, par la suite, en raison des évolutions
des Balkans, était resté en panne et qui a été
repris et consacré aujourd'hui par la signature de cet
accord.
Je pense pour ma part que c'est un jour important et qui restera
dans l'histoire comme une date qui aura marqué le nouveau
monde européen pour demain.
Alors, je n'ai pas beaucoup de commentaires à faire puisque
vous connaissez à la fois l'enjeu et l'ordre du jour
de la réunion d'aujourd'hui, ce qui a été
signé. Et, par conséquent, je répondrai
volontiers à quelques questions si vous souhaitez m'en
poser.
QUESTION - M. le Président, en 1997, au moment de la
décision de l'Acte fondateur et de la création
du Conseil conjoint permanent, vous aviez salué la disparition
des derniers vestiges de la guerre froide. On a vu que le CPC
est resté globalement une coquille vide. Qu'est-ce qui
vous fait penser qu'aujourd'hui la volonté politique
sera au rendez-vous pour faire quelque chose de substantiel
de ce conseil Otan - Russie ?
LE PRESIDENT - Tout simplement parce que les choses ont évolué.
Et, notamment sur l'impulsion du Président POUTINE, la
Russie s'est délibérément installée
dans un processus de réformes à la fois politiques
et économiques, et parce qu'à l'évidence,
le Président POUTINE souhaite à la fois restaurer
l'autorité de l'Etat et développer l'économie
russe pour rendre à la Russie toute sa place et toutes
ses chances dans le monde de demain.
Par conséquent, il y a une convergence d'intérêts
à la fois du monde occidental, des dix neuf de l'OTAN,
et de la Russie. Et, pour la première fois, les dix neuf
deviennent vingt. Cela change tout. Et je pense que, cette fois-ci,
les choses sont sur la bonne voie parce qu'il y a une convergence
d'intérêts tels qu'ils sont aujourd'hui conçus
par les différents responsables entre les vingt pays.
QUESTION - M. le Président, vous parlez de convergence
d'intérêts, mais est-ce que l'on ne peut pas dire
non plus que POUTINE est le grand gagnant, parce que, finalement,
il obtient un rapprochement avec les Etats-Unis et en même
temps un arrimage à ce que GORBACHEV aurait peut-être
appelé la maison commune européenne.
LE PRESIDENT - En matière de progrès de l'Europe
et progrès de la Russie, GORBACHEV n'est pas ma référence
en règle générale. Je ferai plutôt
référence à ELTSINE. Je crois que, je le
répète, la volonté russe aujourd'hui est
claire et déterminée et correspond sans aucun
doute à son intérêt. Il est de l'intérêt
de la Russie de renforcer ses liens avec les Etats-Unis, avec
l'Europe, avec l'Est, la Chine, l'Inde, le continent asiatique.
Et je pense que le Président POUTINE s'inscrit bien dans
cette volonté. Alors, il a obtenu effectivement des résultats
positifs dans sa négociation avec les Etats-Unis. Les
Etats-Unis ont obtenu également dans l'accord, notamment
dans le domaine du désarmement, des avantages non négligeables
et l'Europe se trouve dans ce contexte en mesure d'avoir une
place qu'elle n'avait pas avant. Et je crois qu'il y a, je le
répète, une convergence générale
d'intérêts, chacun en retirant des avantages pour
ce qui concerne les perspectives d'un continent européen
en paix et en sécurité.
QUESTION - M. le Président, craignez-vous, alors qu'aujourd'hui
on a effacé le mur entre l'ouest et l'est, que le jour-même
on ait presque commencé de construire un mur entre le
nord et le sud ? Parce que tous les discours, aujourd'hui, ont
insisté beaucoup sur la lutte contre le terrorisme et
on a entendu vraiment des mots très clairs, après
le 11 septembre, du monde civilisé sur le monde pas très
civilisé...
LE PRESIDENT - J'ai toujours refusé, pour ma part, d'associer
le terrorisme à telle ou telle partie du monde. C'est
un phénomène qui a toujours existé, qui
aujourd'hui s'est doté de moyens exceptionnels qui exigent
une action exceptionnelle pour lutter contre lui. Je ne crois
pas, vous le savez, au choc des civilisations. En revanche,
je crois à la nécessité de lutter contre
le terrorisme et c'est une nécessité qui implique
la mobilisation de tout le monde et un rôle essentiel
de l'ONU. C'est d'ailleurs ce qui se passe aujourd'hui. Pour
ma part, je m'en réjouis.
Nous avons discuté d'un certain nombre de sujets, par
ailleurs, qui touchaient notamment l'Inde, le Pakistan, et parce
qu'il y a crise. Même s'il s'agit de sujets qui sont hors
vocation, hors compétence OTAN, naturellement, il est
légitime que, rassemblés, nous en parlions. Nous
avons évoqué nos inquiétudes, nos préoccupations
et la possibilité, chacun à notre place et collectivement,
d'intervenir pour assumer ou pour assurer la paix dans cette
région autant que faire se peut. Mais, je répète,
la guerre contre le terrorisme est une guerre totale, à
l'égard de tout le monde. Et le terrorisme s'exprime
partout, à commencer par les Etats-Unis.
QUESTION - Deux questions si vous le permettez : d'abord, est-ce
que vous considérez que l'OTAN est une enceinte appropriée
pour lutter contre le terrorisme ? Deuxième question,
Silvio Berlusconi vient de dire qu'après le premier pas
franchi aujourd'hui, il faudrait aller plus loin et envisager
à terme plus ou moins lointain l'adhésion de la
Russie à l'Union européenne. Est-ce que ça
vous paraît une perspective envisageable ?
LE PRESIDENT - L'OTAN a vocation naturellement à s'occuper
de lutte contre le terrorisme, dans la mesure où le terrorisme,
notamment, s'exprime sur son territoire.
Deuxièmement, je n'ai pas entendu M. Berlusconi faire
cette proposition mais, en toute hypothèse, elle est
hautement prématurée. Ce n'est pas d'actualité,
c'est le moins que l'on puisse dire. Je ne suis pas sûr
d'ailleurs que la Russie qui est une très grande nation,
qui est à la fois européenne et asiatique, ait
vocation à entrer dans l'Union européenne.
QUESTION - M. le Président, vous venez d'évoquer
les compétences de l'OTAN. Pourquoi est-ce que c'est
l'OTAN qui est en pointe dans le rapprochement avec la Russie,
alors que l'on pourrait penser que les sujets qui intéressent
l'Union européenne, comme la lutte contre le crime organisé,
contre le trafic de drogue, contre le blanchiment d'argent,
pourraient être au moins aussi importants pour nous les
Européens que les questions qui intéressent l'OTAN
?
Pourquoi est-ce que l'Union européenne n'est pas un peu
plus active dans le rapprochement avec la Russie que l'on voit
aujourd'hui ?
LE PRESIDENT - Vous savez, l'Union européenne est active
dans le rapprochement avec la Russie. Elle le prouvera encore
demain, à l'occasion de la réunion du sommet Union
européenne Russie. Elle a été active dans
le passé. Je disais tout à l'heure que la France
avait été à l'origine du premier Acte fondateur,
en 1997. Et nous étions à l'époque soutenus
par l'Union européenne. C'était une idée
que nous avions portée et qui aboutit aujourd'hui, mais
pour laquelle nous avions tout à fait l'accord et le
soutien de nos partenaires européens.
Donc, l'Union européenne, par ailleurs, est en train
de mettre en place, finalement assez vite et assez bien, une
politique de défense commune. Vous savez, je me souviens,
lorsqu'on a fait le sommet européen à Pörtschach
où, à la suite des entretiens que j'avais eus
avec le Premier ministre britannique, celui-ci avait fait une
première ouverture, qui ensuite s'est concrétisée
au sommet franco-britannique de Saint-Malo, je me souviens des
réactions générales et, lors de la conférence
de presse en particulier que j'avais tenue, du scepticisme total
pour ne pas dire pire à l'idée que nous pourrions
avoir une défense commune européenne. Trois ou
quatre ans après, même pas, c'était réalisé.
Les choses, dans l'Union européenne, peuvent aller vite.
Je sais bien qu'il est de bon ton d'assumer le scepticisme,
d'afficher le scepticisme, enfin, les progrès dans ce
domaine ont été considérables et ils continuent.
Et l'Europe aura très prochainement une capacité
d'intervention importante qu'on n'aurait pas imaginée
il y a seulement cinq ans.
QUESTION - M. le Président, vous avez cité le
conflit Inde-Pakistan parmi les sujets qui ont été
abordés au déjeuner. Quels sont les autres sujets
de l'actualité qui ont été justement traités
à ce déjeuner ?
LE PRESIDENT - En dehors du sujet que vous connaissez et qui
concerne l'OTAN et les problèmes de substance du sommet
OTAN-Russie, c'est essentiellement et même uniquement
un tour de table sur la crise entre l'Inde et le Pakistan. Celle-ci
a été évoquée, chacun ayant conscience
de la nécessité d'un gros effort pour faire d'amicales
pressions sur les deux parties de façon à éviter
le pire.
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