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Mise à jour: 07-Nov-2000 | Revue de l'OTAN |
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Les Balkans vont-ils connatre des progrs dcisifs?Christopher Bennett value les perspectives dune volution dmocratique et dune paix et dune stabilit autonomes dans lex-Yougoslavie. Christopher Bennett, auteur de Yugoslavias Bloody Collapse (New York University Press), est rcemment entr lOTAN comme Rdacteur en chef de la Revue de lOTAN. Les points de vue exprims sont purement personnels et ne reprsentent pas ceux de lOTAN ou de lun quelconque de ses pays membres.
Dans les Balkans, la dernire dcennie na gure incit loptimisme, mais des signes dune volution positive commencent enfin apparatre. Cette anne, les retours de rfugis en Bosnie-Herzogovine (la Bosnie) se sont acclrs. La Croatie, que la communaut internationale avait longtemps vite, sest transforme depuis la mort de son ancien Prsident, Franjo Tudjman, en dcembre dernier. La communaut internationale a, par le Pacte de stabilit, adopt une approche rgionale pour sattaquer aux problmes de lEurope du sud-est dans son ensemble. Lampleur de la tche accomplir nen reste pas moins impressionnante, et lengagement international devrait encore durer de nombreuses annes. Les victoires lectorales, annonciatrices dune re nouvelle, remportes par les rformateurs du centre-gauche en Croatie au dbut de lanne ont, naturellement, fait esprer que, par un phnomne de raction en chane, lvolution dmocratique allait stendre dautres parties de lex-Yougoslavie, dont la Bosnie et mme la Serbie. Pourtant, en Bosnie, si les modrs ont gagn du terrain aux lections municipales du printemps, les partis nationalistes continuent dominer la politique du pays. En Serbie, alors que lon prdisait sa chute aprs sa quatrime dfaite militaire, au Kosovo, lan dernier, le Prsident yougoslave Slobodan Milosevic a obstinment rtabli et renforc son autorit. Et mme en Croatie, le nouveau gouvernement se trouve confront de redoutables dfis dans les efforts quil dploie pour se dbar-rasser de lhritage de Tudjman. Les nouvelles autorits de Zagreb ont adopt une orientation radicalement diffrente de celle de leurs prdcesseurs littralement ds leur entre en fonctions. Quelques minutes seulement aprs que lancien parti au pouvoir, lUnion dmocratique croate (Hrvatska demokratska zajednica, ou HDZ), eut tenu sa dernire runion en Cabinet, au mois de fvrier, le ministre du tourisme fut menott et conduit en prison, accus davoir transfr des fonds publics sur le compte bancaire de lentreprise de construction de son pouse. En outre, la presse croate a depuis lors, et presque quotidiennement, rvl les dtails de scandales impliquant des personnalits de lancien rgime, si bien que jusquici, une vingtaine dautres per-sonnes ont t arrtes pour divers dlits dordre conomique. Si la tche du nouveau gouvernement croate se limitait faire rpondre les membres de lancien parti dirigeant des abus de pouvoir commis au cours de la dernire dcennie, elle serait dj difficile. Elle est cependant beaucoup plus vaste. Les oprations occultes, la corruption et le npotisme qui caractrisaient la Croatie de Tudjman sont lhritage de prs dun demi-sicle de rgime communiste, de plus de cinq ans de guerre ou dhystrie belliciste dorigine mdiatique et de plusieurs annes dun isolement international le plus souvent volontaire. Le nouveau gouvernement croate doit russir le passage de lautoritarisme la dmocratie et dune conomie largement tatise ou contrle par le parti au march libre alors que le pays connat un taux de chmage lev et une baisse du niveau de vie. La tche est rendue encore plus complexe par les perturbations conomiques lies la guerre et la ncessit de concilier les intrts de la majorit croate et de la minorit serbe, principe que Zagreb sest attache respecter, la fois dans ses dclarations et dans ses actes. Les rformes structurelles sont lordre du jour. Le nouveau gouvernement croate devra progressivement restructurer les institutions cls du pays, dont les militaires, les mdias et les services secrets, ainsi que la gestion de lconomie, en sattaquant, tout au long de son parcours, des droits acquis et des intrts profondment ancrs. En Croatie, les annes venir sannoncent donc difficiles, mais il existe des signes encourageants. La mort de Tudjman a fait disparatre le principal obstacle aux rformes. La socit civile - cest--dire une presse indpendante pleine dardeur et un secteur non gouvernemental dynamique - a commenc montrer sa force au cours des annes 90, malgr le mpris des milieux officiels, et, jusquici, la transition a t remarquablement paisible. Les changements de politique lgard de la Bosnie, la coopration avec le Tribunal pnal international de La Haye pour les crimes de guerre et une offensive diplomatique judicieusement mene ont valu la Croatie la bienveillance de la communaut internationale, lui ouvrant ainsi la perspective dune aide conomique et dune assistance dexperts dont elle a bien besoin pour russir sa transition. Et surtout, le pays est largement matre de son destin, ce qui nest pas ncessairement le cas dans les rpubliques de lex-Yougoslavie situes immdiatement au sud. Comme la Croatie, la Bosnie doit se prparer passer dun rgime autoritaire un gouvernement dmocratique, et aussi de lconomie dirige au march libre. Mais en Bosnie, cette transition, dj trs difficile, est rendue plus complique par lhritage de prs de quatre annes de guerre permanente, par lexistence de forces armes rivales et par un dlicat quilibre entre trois ethnies. Prs de cinq ans aprs la fin du conflit quelle a connu, la Bosnie reste sous une assistance respiratoire internationale, en demeurant tributaire de laide de ltranger et en proie des divisions internes. Reconstruire une socit qui fonctionne sest rvl une tche si complexe quelle sen remet largement la communaut internationale. Un conflit prolong met une socit sens dessus des-sous et fait le bonheur des inadapts. En Bosnie, beaucoup de gens qui auraient eu peu de chances de russir en temps de paix ont saisi les occasions que leur offrait la guerre et accd des postes de direction pour lesquels ils taient singulirement mal qualifis. Ceux qui auraient pu aider reconstruire leur socit en ruines ont migr ou se sont trouvs marginaliss. Parmi les Bosniaques capables et instruits qui sont rests dans leur pays, beaucoup travaillent aujourdhui comme interprtes et chauffeurs pour le compte de la communaut internationale. En mme temps, en manipulant le systme de la nomenklatura hrit de lpoque communiste (systme qui permet au Parti de contrler les nominations), en attisant aux moments critiques les craintes et les haines nationalistes pour entretenir la tension, et faute de tout mcanisme qui les aurait obligs rendre des comptes, les politiques nationalistes tenants de la ligne dure sont parvenus, au dbut, ralentir le processus de paix pendant 18 mois environ. La reconstruction du pays a vraiment commenc quand, un an et demi aprs le dbut du processus de paix, la communaut internationale a intensifi son action pour tenir tte aux autorits du pays, arrter les individus accuss de crimes de guerre, destituer les responsables locaux et prendre en charge puis restructurer les mdias. Cependant, runir les conditions dun processus de paix autonome auquel les Bosniaques puissent sidentifier se rvle une tche extrmement longue et laborieuse. Si les rformateurs croates savent exactement quelles difficults ils vont se heurter dans leurs efforts de restructuration de la socit, en Bosnie, la communaut internationale a, ces cinq dernires annes, suivi la plus abrupte des courbes dapprentissage pour sadapter aux conditions locales afin dintroduire des rformes de nature remettre le pays en quilibre. Alors que lexpertise internationale se dveloppait, lampleur de lentreprise a commenc apparatre. Elle dpasse largement ce que quiconque aurait pu imaginer en 1995, lpoque des pourparlers de paix de Dayton, qui ont mis fin la guerre de Bosnie. Presque tous les problmes auxquels doit sattaquer la communaut internationale - de la rforme bancaire au retour en scurit des minorits ethniques et ldification de structures dmocratiques dans un Etat multiethnique - comportent tellement dinconnues que ce sont limprovisation, lexprimentation et lanalyse empirique qui offrent les meilleures chances de progrs. Une rcente valuation de laction internationale mene en Bosnie, valuation effectue par le groupe de rflexion de Berlin et appele Initiative concernant la sta-bilit europenne (ESI), montre que dans plusieurs domaines, malgr lexistence dnormes intrts, la communaut internationale a russi introduire des rformes et mettre sur pied des institutions locales qui fonctionnent. On peut citer cet gard la cration dune Banque centrale de Bosnie, dun centre de contrle des devises et dune nouvelle monnaie bosniaque, une rforme des mdias et la cration dun organe rgulateur national, la Commission pour les mdias indpendants, ainsi que la rforme fiscale et douanire rsultant des travaux du Bureau de lUnion europenne pour lassistance douanire et fiscale (CAFAO) la Bosnie-Herzgovine. Par ailleurs, mme des politiques nayant pas atteint leurs buts peuvent finalement russir, pour autant que les raisons des checs enregistrs soient connues et prises en compte. A mesure quavanait le processus de paix, les responsables internationaux ont t obligs dassumer un rle de moins en moins discret dans la vie de la Bosnie. Les structures illgales sont en cours de dmantlement, notamment dans le cas des services secrets, jusqualors omniprsents. On introduit des mcanismes destins mettre en pratique les notions de transparence et de responsabilit et combattre la corruption. A la runion de mai 2000 du Conseil de mise en vre de la paix - compos de reprsentants des Etats et des organisations internationales qui supervisent le processus de paix en Bosnie - les responsables internationaux ont dcid dtablir de nouvelles institutions destines offrir des chances gales aux acteurs conomiques, en particulier dans les secteurs des tlcommunications et de lnergie. Il y a l des marchs lucratifs actuellement organiss en trois monopoles correspondant aux diverses ethnies. En les rformant, les responsables internationaux comptent priver les partis nationalistes, qui ont systmatiquement jou contre le processus de paix, des fonds ncessaires au financement de leurs oprations occultes. Comme le montrent les travaux de recherche effec-tus dans le cadre de lESI, lun des principaux enseignements tirs jusquici du processus de paix est que les apports financiers ne suffisent pas rsoudre les problmes. Une partie de laide internationale a, en particulier dans limmdiat aprs-guerre, ajout de faon imprvue la difficult de la reconstruction en renforant des structures de pouvoir fondamentalement hostiles au processus de paix. Les lites locales, par exemple, ont parfois pu faire des projets de reconstruction des entreprises profitables leurs amis politiques. Le rtablissement dune infrastructure en ruines peut donner des rsultats matriels rapides et spectaculaires, mais il napporte aucune solution aux problmes sous-jacents de la socit bosniaque. En fait, les routes et les ponts reconstruits en 1996 grce laide financire internationale sont de nouveau en mauvais tat, les dysfonctionnements que connat le pays ne permettant pas de les entretenir. Aprs ce que lAdministrateur des Nations Unies au Kosovo, Bernard Kouchner, a appel quarante ans de communisme, dix ans dapartheid et un an dpuration ethnique, les problmes qui se posent au Kosovo sont aussi nouveaux et aussi complexes que ceux que connat la Bosnie. Il y a peine un an que sest engag le processus de paix, si bien que, mme sils peuvent sinspirer de certains des enseignements de lexprience acquise en Bosnie, les responsables internationaux y sont encore au dbut de la courbe dapprentissage. La question du statut final du Kosovo et de la nature de ses relations futures avec la Serbie et les autres communauts albanaises des Balkans donne invitablement lieu bien des conjectures. Pour le moment, les responsables prsents sur le terrain essaient de voir quelles politiques donnent des rsultats, quelles politiques ne mnent rien, et quelle est la meilleure faon de mettre sur pied des institutions locales qui fonctionnent de manire concilier les intrts des populations majoritaires et minoritaires. Comme en Bosnie, il nexiste pas de solutions simples, et le proces-sus se rvle fatalement long et laborieux. Ce qui fait planer une menace sur les processus de paix la fois en Bosnie et au Kosovo et sur lensemble des Balkans, cest, naturellement, la Serbie de Milosevic. En fait, tant que le plus grand des Etats de lex-Yougoslavie restera un paria sur la scne internationale, il sera difficile de dire comment parvenir des rglements viables en quelque endroit que ce soit ou comment faire en sorte que des initiatives rgionales comme le Pacte de stabilit apportent des solutions globales. Le pire est que Milosevic, maintenant officiellement accus de crimes de guerre, ne montre aucune intention de quitter le pouvoir. Certains analystes ont prsent Milosevic comme un gnie qui saura toujours se montrer plus habile que la communaut internationale. En ralit, cest un apparatchik professionnel qui, comme dautres dictateurs sans scrupules, a russi se retrancher derrire les notions juridiques de souverainet et de non-ingrence dans les affaires des Etats indpendants et les invoquer abusivement pour justifier toutes les formes de rpression exerces lintrieur des frontires de la Yougoslavie. Par le pass, il a galement mis sur les divisions existant au sein de la communaut internationale pour viter de payer le prix de ses actes. Cest ainsi quil a pu paratre remporter des succs court terme et quil sest condamn, long terme, ce qui devrait tre un dsastre. Depuis le coup dEtat sans effusion de sang quil a organis en 1987, lors du huitime plnum de la Ligue des Communistes de Serbie, o il a contraint la dmission le gouvernement de laprs-titisme, quil accusait de mollesse au Kosovo, il est toujours all de lavant. Il a mis les mdias de son pays sur le pied de guerre et entrepris dtendre son autorit tout le reste de lex-Yougoslavie. Tandis que la Serbie menait sans succs une srie de guerres en Slovnie, en Croatie, en Bosnie et au Kosovo, la socit serbe a peu peu perdu tout contact avec la ralit. Huit annes de sanctions conomiques, plus dune dcennie de distorsion des mdias et des purges successives ont gravement marqu le pays. Durant les 13 annes quil a passes au pouvoir, Milosevic a transform un pays fier de ses traditions et non dnu de rfrences dmocratiques en une caricature dEtat, surraliste et fausse. On peut donc penser que les problmes de la socit serbe sont plus profondment enracins. En fait, certains des plus minents analystes de la Serbie, comme Sonja Biserko, du Comit serbe dHelsinki, estiment que la Serbie a aujourdhui besoin dune restructuration profonde et complte dpassant largement toutes celles quont connues jusqu ce jour les autres Etats de lex-Yougoslavie. Cependant, les dcideurs qui essaient dlaborer des stratgies permettant de faciliter une volution dmocratique en Serbie travaillent largement dans le vide. Aprs les sanctions internationales, la guerre du Kosovo et linculpation de Milosevic pour crimes de guerre, il ne reste en Serbie quune poigne dOccidentaux. On na jamais aussi peu compris comment la socit serbe fonctionne rellement. Nous assisterons un jour, et peut-tre bientt, la chute de Milosevic, et, quune restructuration complte soit ou non ncessaire, il faudra surtout des rformes fondamentales pour recrer une socit stable et en tat de fonctionner. Les capitales occidentales ont dores et dj constitu dimportantes rserves daide internationale pour la reconstruction de la Serbie, mais la tche elle-mme sera invitablement de trs longue haleine.
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