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Mise à jour: 16-Feb-2000 | Revue de l'OTAN |
Edition Web
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Le défi posé par la reconstruction du Kosovo
Bernard Kouchner
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![]() Bernard Kouchner sadresse la presse avant la prestation de serment de nouveaux juges dorigine albanaise et serbe Kosovka Mitrovica, le 31 aot. (photo AP - 49Kb) |
La communauté internationale a accepté
une tâche gigantesque en s'engageant à contribuer à
la reconstruction du Kosovo. Avec l'aide de la KFOR et sous l'égide
des Nations Unies, de grandes organisations internationales collaborent
au rétablissement de la vie civile et administrative, tout en préparant
la province à des élections et à son autonomie. Toutefois,
comme le souligne Bernard Kouchner, le responsable civil international
de plus haut rang au Kosovo, l'avenir ne dépend pas uniquement
des efforts de la communauté internationale, mais exigera que soit
surmontée l'intolérance qui sévit depuis si longtemps
dans la région.
En s'engageant à reconstruire le Kosovo, la communauté
internationale a accepté de relever un énorme défi.
Il ne s'agit pas uniquement de rétablir la paix et d'assurer le
retour de populations chassées par la guerre, mais de reconstruire
une société complètement disloquée, de créer
un environnement démocratique, de remettre sur pied une économie
ruinée et d'assurer la renaissance d'une culture dont le droit
à l'existence a trop longtemps été nié.
Avec l'aide de la KFOR, la force de mise en oeuvre de la paix au Kosovo
dirigée par l'OTAN, la Mission d'administration intérimaire
des Nations Unies au Kosovo (MINUK) a entrepris de jeter les bases qui
doivent permettre d'atteindre ces objectifs. Et je tiens à souligner
que les excellentes relations que nous entretenons avec le commandant
de la KFOR, le lieutenant-général Sir Mike Jackson, et son
équipe, sont essentielles à la réussite de cette
mission. Dès le 21 septembre, la KFOR avait démilitarisé
la région, tous les anciens combattants ayant respecté la
date butoir pour la remise de leurs armes.
Toutefois, le succès de la mission ne se mesurera pas à
la réalisation de ces objectifs à court terme, mais bien
à l'héritage indestructible que laisseront - ou ne laisseront
pas - les valeurs et structures démocratiques que cette mission
tente de définir pour la région.
La situation actuelle au Kosovo n'est pas satisfaisante. Comment pourrait-elle
l'être? La mission et la KFOR traversent une période extrêmement
délicate et dangereuse, à laquelle il fallait d'ailleurs
s'attendre à l'issue du conflit. Des craintes pour la sécurité
des minorités, et en particulier des Serbes, subsistent; la population
ne dispose toujours pas d'une infrastructure adéquate; et la région
demeure appauvrie économiquement. Après des années
d'oppression et de multiples massacres et atrocités, il ne fallait
pas s'attendre à ce que la situation soit fort différente,
ni que la mentalité des gens change du jour au lendemain.
Notre tâche n'est pas impossible. Mais elle exige du temps. La
MINUK constitue une opération unique, mise sur pied par le Conseil
de sécurité des Nations Unies, qui vise à préparer
le Kosovo aux élections prévues pour le printemps prochain,
puis à l'autonomie. Pour parvenir à cet objectif, la MINUK
remplit le rôle d'une administration transitoire pour la région.
Cela signifie qu'elle accomplit et coordonne avec les Kosovars toutes
les fonctions administratives fondamentales: police, activités
bancaires, douane, services de santé, enseignement, postes et télécommunications.
De la sorte, et en travaillant avec les Kosovars, la MINUK supervise
le développement d'institutions démocratiques autonomes,
ainsi que la reconstruction économique et l'aide humanitaire. Pour
atteindre ces objectifs, la MINUK collabore avec d'autres organisations
internationales, qui sont autant de partenaires à part entière
agissant sous l'égide de l'ONU, dont le Haut Commissariat des Nations
Unies pour les réfugiés (HCR), l'Organisation pour la sécurité
et la coopération en Europe (OSCE) et l'Union européenne
(UE).
![]() Des lves policiers rcemment recruts dans les communauts albanaise et serbe du Kosovo sont rassembls, manuels en main, pour leur premire journe de formation Vucitern, au Kosovo, le 7 septembre. (photo AP - 52Kb) |
Des tâches considérables nous attendent, dont l'établissement
d'un processus politique pour déterminer l'avenir du Kosovo.
Le chef de la MINUK est le responsable civil international de plus haut
rang au Kosovo. L'autorité de ma fonction m'a été
attribuée par le Conseil de sécurité des Nations
Unies, qui a créé la MINUK le 10 juin 1999 aux termes de
la résolution 1244, tout en autorisant la KFOR a pénétrer
au Kosovo. Notre tâche ultime consiste à offrir des perspectives
d'avenir à cette région. La MINUK tente d'y parvenir en
s'appuyant sur ses «quatre piliers»: quatre organisations
et agences internationales qui collaborent dans le cadre d'une structure
sans précédent, sous l'égide de l'ONU. Avec les Kosovars,
elles mettent en oeuvre les aspects civils de la réhabilitation
et de la réforme de la région.
Ces quatre piliers sont les suivants: l'administration civile, sous l'égide
des Nations Unies proprement dites; l'aide humanitaire, dirigée
par le HCR; le renforcement de la démocratie et des institutions,
chapeauté par l'OSCE; et le développement économique,
qui bénéficie de l'apport de l'Union européenne.
Parallèlement, la MINUK travaille en étroite collaboration
avec la KFOR à la coordination de leurs efforts conjoints. Je rencontre
quotidiennement le commandant de la KFOR, le général Mike
Jackson.
![]() Bernard Kouchner et le commandant de la KFOR, le lieutenant-gnral Sir Mike Jackson, lors dune confrence de presse conjointe sur la situation au Kosovo, organise Pristina, le 25 juillet. (photo Reuters - 54Kb) |
Des avancées substantielles ont été accomplies au
cours des onze dernières semaines dans tous ces domaines, et nous
avons établi des structures pour assurer la participation des Kosovars,
non seulement pour qu'ils apportent leurs connaissances, mais aussi pour
qu'ils partagent les responsabilités liées au développement
et à l'avenir de la région. Ce processus est dirigé
par le Conseil de transition du Kosovo, créé le 16 juillet
et qui se réunit chaque semaine à Pristina. Ce conseil est
le plus haut organe consultatif politique placé sous la houlette
de la MINUK. Il offre aux principaux partis politiques et groupes ethniques
- à savoir la Ligue démocratique du Kosovo, l'Armée
de libération du Kosovo, des membres des communautés serbe,
bosniaque et turque, des indépendants et d'autres représentants
du Kosovo - l'occasion de contribuer directement au processus décisionnel
de la MINUK. Il constitue également un forum pour parvenir à
un consensus sur un large éventail de questions liées à
l'administration civile, à l'édification d'institutions
et à des services essentiels. Le fait que ce conseil pluriethnique
ait été établi dans les semaines qui ont suivi la
fin du conflit au Kosovo peut être considéré comme
un important accomplissement.
La MINUK procède actuellement au déploiement de 3.500 policiers
civils armés dans la région, qui proviennent de dizaines
de pays et sont placés sous l'égide des Nations Unies. Les
deux principaux objectifs de cette Police internationale des Nations Unies
(UNIP) consistent à assurer temporairement l'application des lois
et à mettre sur pied un Service de police du Kosovo (KPS) professionnel
et impartial, formé aux méthodes de la police démocratique.
En date du 1er septembre, 866 policiers internationaux étaient
présents au Kosovo, dont 713 avaient été déployés.
Parmi ces derniers, 360 se trouvaient à Pristina, 38 à Mitrovica,
25 à Pec, 31 à Prizren et 25 à Gnjilane. Plus de
150 autres suivaient une formation de base. L'UNIP a affecté 84
de ses membres à la police des frontières, tandis que 24
autres sont chargés de la formation de la KPS. Le premier commissariat
de police permanent s'est ouvert à Pristina et des postes de police
existent désormais dans certains quartiers de la ville considérés
comme des zones «à risques». Les policiers de l'UNIP
ont commencé a effectuer des patrouilles conjointes avec la KFOR,
et l'UNIP assume progressivement les tâches de détention
qui étaient jusqu'à présent dévolues à
cette dernière.
Au nombre de ses réalisations, l'Administration civile rémunère
d'ores et déjà des milliers de fonctionnaires, dont des
juges, des procureurs, des agents des services de santé et des
agents des douanes. Elle a ouvert des points de contrôle aux frontières
albanaise et macédonienne, dont des bureaux de douane. Elle a également
créé un Conseil juridique consultatif pour l'examen des
législations existantes et l'élaboration de projets de lois
afin d'éliminer les discriminations; mis sur pied un fonds d'affectation
spéciale pour des «projets à effet rapide» de
petite envergure, qui aideront les Kosovars à retrouver une vie
normale; contribué à la remise au travail des employés
des chemins de fer serbes; entamé la radiodiffusion d'émissions
par Radio-Télévision Pristina; rouvert le principal bureau
de poste et de télécommunications et cinq bureaux secondaires
à Pristina; et organisé la collecte des ordures et un système
de décharges à Pristina. Les administrateurs civils internationaux
et leur personnel sont à l'oeuvre dans les cinq régions
du territoire - Pristina, Pec, Mitrovica, Gnjilane et Prizren - qui rassemblent
29 municipalités.
![]() Un membre pakistanais de la Police internationale des Nations Unies (UNIP), aux cts de huit nouveaux juges sept Albanais kosovars et un Serbe qui prtent serment aprs leur nomination au tribunal darrondissement de Pec-Peja. (photo AP - 47Kb) |
Le HCR est responsable du deuxième pilier de la MINUK, à
savoir la coordination des activités dans le secteur humanitaire,
pour veiller à ce que les Kosovars disposent des logements, de
la nourriture, de l'eau propre et de l'aide médicale adéquats.
L'une des priorités du HCR consiste à assurer les préparatifs
pour l'hiver. Le principal organisme humanitaire contribue à la
livraison de tentes, de matelas, de couvertures, de savon, d'ustensiles
de cuisine, de jerricanes et de fours aux Kosovars. De plus, dans le cadre
de son "programme de protection contre les intempéries d'hiver",
elle fournit des outils et du matériel aux occupants des habitations
endommagées, afin que les familles disposent au moins d'une pièce
à l'épreuve des intempéries où trouver refuge
cet hiver. La MINUK prépare en outre un projet spécial de
«financement des logements», dans le cadre duquel elle fournira
de l'argent comptant aux personnes prêtes à procéder
elles-mêmes aux réparations de première nécessité.
Le Fonds des Nations Unies pour l'enfance (UNICEF) vient de procéder
à l'évaluation de 718 écoles et a constaté
que 446 d'entre elles ont subi des dommages, 113 étant entièrement
détruites et 147 autres gravement endommagées. Il n'empêche
que le 1er septembre, 383 écoles ont rouvert leurs portes dans
tout le Kosovo pour accueillir plus de 100.000 élèves. En
collaboration avec des partenaires actifs sur le terrain, l'UNICEF oeuvre
également à la remise en état des bâtiments
scolaires et a d'ores et déjà fourni à de nombreuses
écoles des milliers de cahiers, crayons, chaises et pupitres. Avec
l'UNICEF et plusieurs organisations non gouvernementales (ONG), l'Organisation
mondiale de la santé (OMS) a fourni des trousses de premiers soins
destinées à être distribuées sur tout le territoire.
L'OMS a, en outre, joué un rôle essentiel dans la remise
en état de l'hôpital de Pristina.
Responsable du troisième pilier de la MINUK, l'OSCE a créé
une école pour former les membres du nouveau Service de police
du Kosovo. Elle veille également au respect des droits de l'homme,
organise le système judiciaire et le développement des médias
et forme des administrateurs locaux. Comme la sécurité constitue
l'une des préoccupations majeures, la mise en place de la Police
internationale des Nations Unies et de la KPS ont constitué des
priorités. Les candidats à la KPS sont recrutés parmi
les différentes communautés ethniques du Kosovo. La nouvelle
école de la KPS à Vucitrn, gérée par l'OSCE,
a ouvert ses portes le 21 août et la première promotion pluriethnique
de 200 candidats et candidates a entamé sa formation de base au
début de mois de septembre. L'OSCE déploie de surcroît
des observateurs chargés de veiller au respect des droits de l'homme
dans tout le Kosovo. Ils bénéficient d'un accès sans
entraves à l'ensemble du territoire, pour enquêter sur les
violations dans ce domaine.
Le quatrième pilier de la MINUK échoit à l'Union
européenne et consiste à assurer la création d'une
économie de marché moderne et bien organisée. Cela
comporte l'élaboration et la gestion d'un budget permettant l'accomplissement
des fonctions publiques de base, la mise en place d'un système
de paiements, la résolution des problèmes tels que ceux
liés à l'utilisation de devises et taux de change multiples,
la création d'une réglementation appropriée au système
bancaire, et l'aide au redémarrage de l'industrie par le biais
de subventions et de crédits. Dans ce cadre, il faut également
assurer la perception de redevances pour les services publics et établir
des organismes de régulation pour l'octroi de licences dans des
secteurs comme les télécommunications.
Le quatrième pilier permet également de répondre
aux besoins immédiats en matière de logement, d'électricité
et d'approvisionnement en eau au cours de l'hiver à venir, en assurant
la coordination des efforts des donateurs dans ces domaines. Il prend
progressivement la relève du pilier humanitaire, particulièrement
pour ce qui a trait à la reconstruction des habitations endommagées,
et prend le relais de la KFOR, pour la prestation des services publics
tels que l'électricité et l'eau. La Commission européenne,
organe exécutif de l'Union européenne, constitue l'un des
principaux donateurs. Elle a mis sur pied une «Equipe d'intervention
au Kosovo», disposant d'un budget de 150 millions de dollars pour
1999, dont la première tranche de 48 millions a d'ores et déjà
été affectée aux projets les plus urgents. Une évaluation
détaillée des dommages, comprenant une étude des
problèmes d'infrastructure dans différents secteurs, servira
de base à un programme de développement à moyen terme.
Ce programme sera présenté lors de la conférence
des donateurs en octobre.
![]() Des enfants suivent une leon de mathmatiques le 1 er septembre, jour de la rentre des classes, dans leur cole en cours de reconstruction Negrovce. Le btiment principal de ltablissement a entirement t dtruit par les Serbes lors du conflit au Kosovo. (photo AP - 83Kb) |
Des progrès substantiels ont été réalisés
dans le domaine civil et la KFOR accomplit de remarquables efforts dans
des conditions extrêmement difficiles, afin de fournir un environnement
sûr. Le nombre de cas de harcèlements, de passages à
tabac, de meurtres et d'autres crimes a diminué le mois passé.
Ces crimes et délits se succédaient à un rythme beaucoup
plus élevé au cours des premières semaines du déploiement
de la mission, lorsque la région était submergée
par un afflux massif de réfugiés sur le retour et de personnes
déplacées, dont beaucoup cherchaient à se venger.
Il n'en demeure pas moins que des crimes continuent à être
commis et qu'ils ne pourront être contrôlés que lorsqu'un
système efficace de police sera en place. A cet effet, il faut
que l'aide internationale, tant au niveau du soutien que de la formation,
se poursuive.
La sécurité et la prospérité du Kosovo ne dépendront cependant pas uniquement du succès des efforts de la KFOR et de la nouvelle police. Elles seront également fonction des emplois que l'on pourra fournir à la population en âge de travailler, du retour des jeunes dans les écoles et universités, des possibilités d'épanouissement et de développement offertes aux Kosovars, et des raisons d'espérer sur lesquelles ceux-ci pourront s'appuyer. Le processus sera lent et il ne pourra se mettre en place que lorsque les sombres nuages de l'intolérance auront finalement quitté cette région.