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Mise à jour: 16-Feb-2000 Revue de l'OTAN

Edition Web
Vol. 47 - No. 3
Automne 1999
p. 12-15

Le défi posé par la reconstruction du Kosovo

Bernard Kouchner
Représentant spécial du Secrétaire général et
chef de la Mission d'administration intérimaire des Nations Unies au Kosovo (MINUK)


Bernard Kouchner sadresse la presse avant la prestation de serment de nouveaux juges dorigine albanaise et serbe Kosovka Mitrovica, le 31 aot.
(photo AP - 49Kb)

La communauté internationale a accepté une tâche gigantesque en s'engageant à contribuer à la reconstruction du Kosovo. Avec l'aide de la KFOR et sous l'égide des Nations Unies, de grandes organisations internationales collaborent au rétablissement de la vie civile et administrative, tout en préparant la province à des élections et à son autonomie. Toutefois, comme le souligne Bernard Kouchner, le responsable civil international de plus haut rang au Kosovo, l'avenir ne dépend pas uniquement des efforts de la communauté internationale, mais exigera que soit surmontée l'intolérance qui sévit depuis si longtemps dans la région.

En s'engageant à reconstruire le Kosovo, la communauté internationale a accepté de relever un énorme défi. Il ne s'agit pas uniquement de rétablir la paix et d'assurer le retour de populations chassées par la guerre, mais de reconstruire une société complètement disloquée, de créer un environnement démocratique, de remettre sur pied une économie ruinée et d'assurer la renaissance d'une culture dont le droit à l'existence a trop longtemps été nié.

Avec l'aide de la KFOR, la force de mise en oeuvre de la paix au Kosovo dirigée par l'OTAN, la Mission d'administration intérimaire des Nations Unies au Kosovo (MINUK) a entrepris de jeter les bases qui doivent permettre d'atteindre ces objectifs. Et je tiens à souligner que les excellentes relations que nous entretenons avec le commandant de la KFOR, le lieutenant-général Sir Mike Jackson, et son équipe, sont essentielles à la réussite de cette mission. Dès le 21 septembre, la KFOR avait démilitarisé la région, tous les anciens combattants ayant respecté la date butoir pour la remise de leurs armes.

Toutefois, le succès de la mission ne se mesurera pas à la réalisation de ces objectifs à court terme, mais bien à l'héritage indestructible que laisseront - ou ne laisseront pas - les valeurs et structures démocratiques que cette mission tente de définir pour la région.

La situation actuelle au Kosovo n'est pas satisfaisante. Comment pourrait-elle l'être? La mission et la KFOR traversent une période extrêmement délicate et dangereuse, à laquelle il fallait d'ailleurs s'attendre à l'issue du conflit. Des craintes pour la sécurité des minorités, et en particulier des Serbes, subsistent; la population ne dispose toujours pas d'une infrastructure adéquate; et la région demeure appauvrie économiquement. Après des années d'oppression et de multiples massacres et atrocités, il ne fallait pas s'attendre à ce que la situation soit fort différente, ni que la mentalité des gens change du jour au lendemain.

Notre tâche n'est pas impossible. Mais elle exige du temps. La MINUK constitue une opération unique, mise sur pied par le Conseil de sécurité des Nations Unies, qui vise à préparer le Kosovo aux élections prévues pour le printemps prochain, puis à l'autonomie. Pour parvenir à cet objectif, la MINUK remplit le rôle d'une administration transitoire pour la région. Cela signifie qu'elle accomplit et coordonne avec les Kosovars toutes les fonctions administratives fondamentales: police, activités bancaires, douane, services de santé, enseignement, postes et télécommunications.

De la sorte, et en travaillant avec les Kosovars, la MINUK supervise le développement d'institutions démocratiques autonomes, ainsi que la reconstruction économique et l'aide humanitaire. Pour atteindre ces objectifs, la MINUK collabore avec d'autres organisations internationales, qui sont autant de partenaires à part entière agissant sous l'égide de l'ONU, dont le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) et l'Union européenne (UE).

Des tâches essentielles nous attendent...


Des lves policiers rcemment recruts dans les communauts albanaise et serbe du Kosovo sont rassembls, manuels en main, pour leur premire journe de formation Vucitern, au Kosovo, le
7 septembre. (photo AP - 52Kb)

Des tâches considérables nous attendent, dont l'établissement d'un processus politique pour déterminer l'avenir du Kosovo.

Le chef de la MINUK est le responsable civil international de plus haut rang au Kosovo. L'autorité de ma fonction m'a été attribuée par le Conseil de sécurité des Nations Unies, qui a créé la MINUK le 10 juin 1999 aux termes de la résolution 1244, tout en autorisant la KFOR a pénétrer au Kosovo. Notre tâche ultime consiste à offrir des perspectives d'avenir à cette région. La MINUK tente d'y parvenir en s'appuyant sur ses «quatre piliers»: quatre organisations et agences internationales qui collaborent dans le cadre d'une structure sans précédent, sous l'égide de l'ONU. Avec les Kosovars, elles mettent en oeuvre les aspects civils de la réhabilitation et de la réforme de la région.

Ces quatre piliers sont les suivants: l'administration civile, sous l'égide des Nations Unies proprement dites; l'aide humanitaire, dirigée par le HCR; le renforcement de la démocratie et des institutions, chapeauté par l'OSCE; et le développement économique, qui bénéficie de l'apport de l'Union européenne. Parallèlement, la MINUK travaille en étroite collaboration avec la KFOR à la coordination de leurs efforts conjoints. Je rencontre quotidiennement le commandant de la KFOR, le général Mike Jackson.

Collaborer avec les Kosovars


Bernard Kouchner et le commandant de la KFOR, le lieutenant-gnral Sir Mike Jackson, lors dune confrence de presse conjointe sur la situation au Kosovo, organise Pristina, le 25 juillet. (photo Reuters - 54Kb)

Des avancées substantielles ont été accomplies au cours des onze dernières semaines dans tous ces domaines, et nous avons établi des structures pour assurer la participation des Kosovars, non seulement pour qu'ils apportent leurs connaissances, mais aussi pour qu'ils partagent les responsabilités liées au développement et à l'avenir de la région. Ce processus est dirigé par le Conseil de transition du Kosovo, créé le 16 juillet et qui se réunit chaque semaine à Pristina. Ce conseil est le plus haut organe consultatif politique placé sous la houlette de la MINUK. Il offre aux principaux partis politiques et groupes ethniques - à savoir la Ligue démocratique du Kosovo, l'Armée de libération du Kosovo, des membres des communautés serbe, bosniaque et turque, des indépendants et d'autres représentants du Kosovo - l'occasion de contribuer directement au processus décisionnel de la MINUK. Il constitue également un forum pour parvenir à un consensus sur un large éventail de questions liées à l'administration civile, à l'édification d'institutions et à des services essentiels. Le fait que ce conseil pluriethnique ait été établi dans les semaines qui ont suivi la fin du conflit au Kosovo peut être considéré comme un important accomplissement.

Le maintien de l'ordre au Kosovo

La MINUK procède actuellement au déploiement de 3.500 policiers civils armés dans la région, qui proviennent de dizaines de pays et sont placés sous l'égide des Nations Unies. Les deux principaux objectifs de cette Police internationale des Nations Unies (UNIP) consistent à assurer temporairement l'application des lois et à mettre sur pied un Service de police du Kosovo (KPS) professionnel et impartial, formé aux méthodes de la police démocratique.

En date du 1er septembre, 866 policiers internationaux étaient présents au Kosovo, dont 713 avaient été déployés. Parmi ces derniers, 360 se trouvaient à Pristina, 38 à Mitrovica, 25 à Pec, 31 à Prizren et 25 à Gnjilane. Plus de 150 autres suivaient une formation de base. L'UNIP a affecté 84 de ses membres à la police des frontières, tandis que 24 autres sont chargés de la formation de la KPS. Le premier commissariat de police permanent s'est ouvert à Pristina et des postes de police existent désormais dans certains quartiers de la ville considérés comme des zones «à risques». Les policiers de l'UNIP ont commencé a effectuer des patrouilles conjointes avec la KFOR, et l'UNIP assume progressivement les tâches de détention qui étaient jusqu'à présent dévolues à cette dernière.

Les Nations Unies: Administration civile

Au nombre de ses réalisations, l'Administration civile rémunère d'ores et déjà des milliers de fonctionnaires, dont des juges, des procureurs, des agents des services de santé et des agents des douanes. Elle a ouvert des points de contrôle aux frontières albanaise et macédonienne, dont des bureaux de douane. Elle a également créé un Conseil juridique consultatif pour l'examen des législations existantes et l'élaboration de projets de lois afin d'éliminer les discriminations; mis sur pied un fonds d'affectation spéciale pour des «projets à effet rapide» de petite envergure, qui aideront les Kosovars à retrouver une vie normale; contribué à la remise au travail des employés des chemins de fer serbes; entamé la radiodiffusion d'émissions par Radio-Télévision Pristina; rouvert le principal bureau de poste et de télécommunications et cinq bureaux secondaires à Pristina; et organisé la collecte des ordures et un système de décharges à Pristina. Les administrateurs civils internationaux et leur personnel sont à l'oeuvre dans les cinq régions du territoire - Pristina, Pec, Mitrovica, Gnjilane et Prizren - qui rassemblent 29 municipalités.

Le HCR: aide humanitaire coordonnée


Un membre pakistanais de la Police internationale des Nations Unies (UNIP), aux cts de huit nouveaux juges sept Albanais kosovars et un Serbe qui prtent serment aprs leur nomination au tribunal darrondissement de Pec-Peja. (photo AP - 47Kb)

Le HCR est responsable du deuxième pilier de la MINUK, à savoir la coordination des activités dans le secteur humanitaire, pour veiller à ce que les Kosovars disposent des logements, de la nourriture, de l'eau propre et de l'aide médicale adéquats. L'une des priorités du HCR consiste à assurer les préparatifs pour l'hiver. Le principal organisme humanitaire contribue à la livraison de tentes, de matelas, de couvertures, de savon, d'ustensiles de cuisine, de jerricanes et de fours aux Kosovars. De plus, dans le cadre de son "programme de protection contre les intempéries d'hiver", elle fournit des outils et du matériel aux occupants des habitations endommagées, afin que les familles disposent au moins d'une pièce à l'épreuve des intempéries où trouver refuge cet hiver. La MINUK prépare en outre un projet spécial de «financement des logements», dans le cadre duquel elle fournira de l'argent comptant aux personnes prêtes à procéder elles-mêmes aux réparations de première nécessité.

Le Fonds des Nations Unies pour l'enfance (UNICEF) vient de procéder à l'évaluation de 718 écoles et a constaté que 446 d'entre elles ont subi des dommages, 113 étant entièrement détruites et 147 autres gravement endommagées. Il n'empêche que le 1er septembre, 383 écoles ont rouvert leurs portes dans tout le Kosovo pour accueillir plus de 100.000 élèves. En collaboration avec des partenaires actifs sur le terrain, l'UNICEF oeuvre également à la remise en état des bâtiments scolaires et a d'ores et déjà fourni à de nombreuses écoles des milliers de cahiers, crayons, chaises et pupitres. Avec l'UNICEF et plusieurs organisations non gouvernementales (ONG), l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a fourni des trousses de premiers soins destinées à être distribuées sur tout le territoire. L'OMS a, en outre, joué un rôle essentiel dans la remise en état de l'hôpital de Pristina.

L'OSCE: renforcement de la démocratie et des institutions

Responsable du troisième pilier de la MINUK, l'OSCE a créé une école pour former les membres du nouveau Service de police du Kosovo. Elle veille également au respect des droits de l'homme, organise le système judiciaire et le développement des médias et forme des administrateurs locaux. Comme la sécurité constitue l'une des préoccupations majeures, la mise en place de la Police internationale des Nations Unies et de la KPS ont constitué des priorités. Les candidats à la KPS sont recrutés parmi les différentes communautés ethniques du Kosovo. La nouvelle école de la KPS à Vucitrn, gérée par l'OSCE, a ouvert ses portes le 21 août et la première promotion pluriethnique de 200 candidats et candidates a entamé sa formation de base au début de mois de septembre. L'OSCE déploie de surcroît des observateurs chargés de veiller au respect des droits de l'homme dans tout le Kosovo. Ils bénéficient d'un accès sans entraves à l'ensemble du territoire, pour enquêter sur les violations dans ce domaine.

Union européenne: développement de l'économie

Le quatrième pilier de la MINUK échoit à l'Union européenne et consiste à assurer la création d'une économie de marché moderne et bien organisée. Cela comporte l'élaboration et la gestion d'un budget permettant l'accomplissement des fonctions publiques de base, la mise en place d'un système de paiements, la résolution des problèmes tels que ceux liés à l'utilisation de devises et taux de change multiples, la création d'une réglementation appropriée au système bancaire, et l'aide au redémarrage de l'industrie par le biais de subventions et de crédits. Dans ce cadre, il faut également assurer la perception de redevances pour les services publics et établir des organismes de régulation pour l'octroi de licences dans des secteurs comme les télécommunications.

Le quatrième pilier permet également de répondre aux besoins immédiats en matière de logement, d'électricité et d'approvisionnement en eau au cours de l'hiver à venir, en assurant la coordination des efforts des donateurs dans ces domaines. Il prend progressivement la relève du pilier humanitaire, particulièrement pour ce qui a trait à la reconstruction des habitations endommagées, et prend le relais de la KFOR, pour la prestation des services publics tels que l'électricité et l'eau. La Commission européenne, organe exécutif de l'Union européenne, constitue l'un des principaux donateurs. Elle a mis sur pied une «Equipe d'intervention au Kosovo», disposant d'un budget de 150 millions de dollars pour 1999, dont la première tranche de 48 millions a d'ores et déjà été affectée aux projets les plus urgents. Une évaluation détaillée des dommages, comprenant une étude des problèmes d'infrastructure dans différents secteurs, servira de base à un programme de développement à moyen terme. Ce programme sera présenté lors de la conférence des donateurs en octobre.

Rebâtir des vies et restaurer l'espoir


Des enfants suivent une leon de mathmatiques le 1 er septembre, jour de la rentre des classes, dans leur cole en cours de reconstruction Negrovce. Le btiment principal de ltablissement a entirement t dtruit par les Serbes lors du conflit au Kosovo. (photo AP - 83Kb)

Des progrès substantiels ont été réalisés dans le domaine civil et la KFOR accomplit de remarquables efforts dans des conditions extrêmement difficiles, afin de fournir un environnement sûr. Le nombre de cas de harcèlements, de passages à tabac, de meurtres et d'autres crimes a diminué le mois passé. Ces crimes et délits se succédaient à un rythme beaucoup plus élevé au cours des premières semaines du déploiement de la mission, lorsque la région était submergée par un afflux massif de réfugiés sur le retour et de personnes déplacées, dont beaucoup cherchaient à se venger. Il n'en demeure pas moins que des crimes continuent à être commis et qu'ils ne pourront être contrôlés que lorsqu'un système efficace de police sera en place. A cet effet, il faut que l'aide internationale, tant au niveau du soutien que de la formation, se poursuive.

La sécurité et la prospérité du Kosovo ne dépendront cependant pas uniquement du succès des efforts de la KFOR et de la nouvelle police. Elles seront également fonction des emplois que l'on pourra fournir à la population en âge de travailler, du retour des jeunes dans les écoles et universités, des possibilités d'épanouissement et de développement offertes aux Kosovars, et des raisons d'espérer sur lesquelles ceux-ci pourront s'appuyer. Le processus sera lent et il ne pourra se mettre en place que lorsque les sombres nuages de l'intolérance auront finalement quitté cette région.