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Mise à jour: 20 mai 1999 Revue de l'OTAN

Edition Web
Vol. 47 - No. 1
Automne 1998
pp. 10-13

L'interaction civilo-militaire dans les oprations de paix

Dick Zandee

Institut nerlandais "Clingendael" pour les relations internationales


Zandee
Cet article est fond sur le livre de l'auteur, Building Blocks for Peace. Civil-Military Interaction in Restoring Fractured Societies (disponible auprs de l'Institut Clingendael - tel: 00 31 70 324 53 84
(33Kb)

La communaut internationale est de plus en plus engage, lors de conflits arms intrieurs, dans des oprations de soutien de la transition de la guerre la paix. Quand des forces armes sont dployes dans le cadre de l'effort de mise en uvre de la paix, il faut assurer une interface efficace, sur le terrain, avec les diverses organisations civiles qui accomplissent des tches politiques, humanitaires et socio-conomiques du type de la coopration civilo-militaire de l'OTAN en Bosnie-Herzgovine. Toutefois, pour que la coopration soit meilleure, ds les premiers stades, l'auteur estime qu'il convient d'adopter au plus haut niveau politique une approche structurelle de l'interaction civilo-militaire. Cette approche devrait tre incorpore dans le nouveau Concept stratgique de l'Alliance, qui sera adopt au Sommet de Washington en avril 1999.

Ce sont les conflits arms intrieurs, ou conflits internes, qui ont t les plus courants dans les annes 90. Selon la dernire dition de l'annuaire du SIPRI(1), il y a eu vingt-cinq conflits arms en 1997, dont un seul tait un conflit entre Etats. Les combats au Kosovo et au Congo ont raffirm cette tendance en 1998 et les guerres l'chelon local ou rgional devraient continuer dominer l'environnement international au dbut du XXIe sicle.

Ces conflits sont caractriss par des techniques de guerre non conventionnelles, impliquant tout un ensemble constitu de soldats, de troupes irrgulires, de bandits et d'extrmistes arms qui, souvent, ne se conforment pas aux rgles de la guerre. Les armes ne sont pas utilises uniquement des fins militaires, mais galement pour menacer ou tuer des civils et dtruire les infrastructures publiques et les biens privs. Il en rsulte notamment une augmentation considrable du nombre de rfugis et de personnes dplaces. Aujourd'hui, environ 50 millions de personnes dans le monde pourraient lgitimement tre considres comme victimes d'un dplacement forc, ce qui quivaut au nombre de personnes chasses de chez elles entre 1938 et 1948. Les dgts matriels sont eux aussi considrables. Les statistiques de la Banque mondiale indiquent que 63 % des habitations de la Bosnie-Herzgovine ont t endommages et 18 % dtruites, ainsi que 50 % des coles. La production industrielle ne reprsente plus que 10 % du niveau d'avant-guerre et le cot total des dgts causs au pays est estim de 30 40 milliards de dollars.

Chaque conflit interne a ses caractristiques propres, mais des dnominateurs communs peuvent tre recenss, tels que les facteurs ethniques, religieux et historico-culturels. Dans la plupart des cas, le pouvoir de l'Etat est entam, ce qui a de graves consquences sur des secteurs essentiels de la socit civile: perturbation de l'ordre public et recrudescence de la violence; dsintgration des structures macro-conomiques et dveloppement d'conomies parallles, de la corruption et du grand banditisme; violations croissantes des droits de l'homme et du citoyen qui mnent souvent des crimes de guerre, notamment des situations extrmes comme les gnocides au Rwanda et en Bosnie.

En rsum, les conflits internes entranent l'effondrement des Etats et l'clatement des socits. Plus les blessures sont profondes, plus il faut de temps pour reconstruire la socit civile. Souvent, les dgts les plus graves sont de nature mentale ou psychologique et il faut des annes, voire des gnrations, pour surmonter les haines et les tensions motionnelles rsultant du conflit.


Des forces armes robustes



Rfugis du Kosovo fuyant leurs villages en direction de l'Albanie en juin dernier.
(Photo Reuters 55Kb)
Au dbut des annes 90, les forces de maintien de la paix ont souvent t dployes pendant le droulement des conflits. Si elles ont apport un soutien utile la livraison de l'aide humanitaire, elles ont en gnral moins bien russi mettre un terme la lutte arme. Et surtout, les "casques bleus" des Nations Unies se sont souvent retrouvs trs impliqus dans ces conflits, au risque d'tre attaqus, pris en otages, voire tus. Ces expriences ont contribu dissuader de plus en plus de recourir au dploiement de forces terrestres pendant des conflits arms intrieurs. L'accent a ensuite t mis sur les "oprations de paix postrieures aux conflits", c'est--dire sur les situations dans lesquelles les parties ont accept un rglement ngoci sous l'impulsion de la communaut internationale, qui contribue ensuite en assurer la mise en uvre.

Cependant, mme lorsque les parties belligrantes ont sign un accord de paix, il faut souvent faire appel des forces armes robustes pour maintenir la paix. L'IFOR/la SFOR(2) en Bosnie-Herzgovine (depuis 1995) et l'ATNUSO(3) en Slavonie orientale, Croatie (1996-98), sont intervenues au titre du chapitre VII(4) de la Charte des Nations Unies (et la SFOR poursuit son mandat). Ces forces ont t structures et quipes pour faire respecter les dispositions des accords de paix, si ncessaire. Les oprations de paix postrieures aux conflits ncessitent, d'une part, l'impartialit, l'utilisation minimale de la force et le recours la diplomatie et, d'autre part, la dissuasion, la robustesse, l'autorit et la capacit de faire respecter, s'il y a lieu, les dispositions de l'accord.


Les oprations civiles

Mostar Bridge
Sapeurs franais et hongrois de la SFOR aidant reconstruire le Pont historique de Mostar, en Bosnie-Herzgovine, en septembre 1997.
(Photo Belga 108Kb)

En dernier ressort, cependant, pour garantir une paix durable, il est essentiel de russir la mise en uvre des aspects civils des accords de paix. En gnral, un grand nombre d'organisations internationales et non gouvernementales (ONG) diffrentes sont engages dans les oprations et, malheureusement, la complexit qui en rsulte sur le plan de la gestion peut souvent entraner des tensions et des heurts entre les diverses bureaucraties, ainsi qu'un gaspillage des ressources.

Les institutions civiles ne fonctionnent pas comme les tats-majors militaires et le recrutement du personnel ncessite beaucoup de temps. Il n'y a pas d'ACTWARN, d'ACTREQ ou d'ACTORD(5) pour les oprations civiles. Celles-ci doivent souvent tre organises partir de rien, car il n'existe aucun mcanisme permettant l'avance de mettre en action les ressources ncessaires afin d'tre prts dployer des moyens, si besoin est. Dans la plupart des cas, la planification des missions a lieu aprs le lancement de la mission, et non avant. Et quand la rpartition rationnelle des tches et des responsabilits fait dfaut au niveau stratgique, elle fait dfaut aussi sur le terrain, au dtriment de l'efficacit de la mise en uvre de la paix.

Des efforts pour amliorer l'tat de prparation et la coordination civils ont t entrepris aux Nations Unies et dans d'autres organisations internationales, ainsi que dans certains pays. Par exemple, le sige des Nations Unies a mis au point des procdures de slection et des programmes de formation amliors destins aux forces de police civiles, et il a t propos d'tablir une force de police de rserve des Nations Unies. Le programme de rforme de juillet 1997 du Secrtaire gnral Kofi Annan prvoit aussi l'amlioration des structures de coordination entre toutes les agences des Nations Unies, mais il ne faut pas attendre de miracle. L'ide d'une chane de commandement civile unique reste quelque peu utopique et, en consquence, les tensions existant entre les nombreuses institutions civiles concernes risquent fort de persister.


La CIMIC(6) de l'OTAN

La coopration civilo-militaire, ou CIMIC, s'est avre essentielle, pour deux raisons principales, dans les oprations de paix postrieures aux conflits. Tout d'abord, si la scurit n'est pas garantie par les militaires, la mise en uvre des aspects civils des accords tend tre trs difficile et peut mme chouer compltement. Deuximement, les comptences, les connaissances et les moyens des militaires peuvent soutenir trs utilement les travaux engags par les parties et les organisations civiles. Sans un appui militaire, la mise en uvre de ces volets civils est fondamentalement inconcevable lorsque les situations sont complexes, comme l'ont soulign de multiples reprises le Bureau du Haut Reprsentant(7) ainsi que des reprsentants d'autres organisations internationales en Bosnie-Herzgovine.

Les autorits militaires de l'OTAN ont dj tir de nombreuses leons de leur exprience en Bosnie-Herzgovine. Disons simplement que le secteur d'activit de la CIMIC a chang depuis la fin de la priode de la Guerre froide, passant de la planification de l'appui civil aux oprations militaires l'apport d'un soutien militaire aux oprations civiles de consolidation de la paix. La doctrine et la planification sont en cours de dveloppement, des programmes de formation ont t mis en place, des propositions de forces ont t faites, et les pays envisagent d'adopter des dispositifs plus structurels pour apporter leurs contributions la CIMIC(8).

Le rle de la CIMIC ne doit tre ni surestim ni sous-estim. Premirement, elle ne remplace pas la mise en uvre civile - elle soutient plutt les efforts civils. Nanmoins, elle a un rle d'intermdiaire essentiel jouer jusqu' ce que les parties et les organisations civiles soient en mesure de faire progresser le processus de paix elles seules. Deuximement, l'action de la CIMIC ne se limite pas la simple reconstruction des coles et des hpitaux dans les villes et les villages, mme si ces activits sont bien sr importantes et contribuent apporter un appui local aux troupes. La CIMIC a un rle cl jouer dans presque tous les aspects de la mise en uvre civile, qu'il s'agisse du retour des rfugis et des personnes dplaces, du rtablissement de l'ordre public, de la reconstruction de l'conomie et des infrastructures, de l'organisation d'lections ou de la cration de nouvelles institutions. Elle est le ciment qui maintient ensemble les divers lments ncessaires la paix.

Enfin, lorsque l'on dfinira les besoins futurs de la CIMIC, l'exprience de l'IFOR/la SFOR ne devra pas tre le seul critre utiliser. Chaque conflit a son contexte spcifique et les accords de paix sont conclus cas par cas. Nanmoins, dans la plupart des oprations de paix postrieures aux conflits, on retrouve un large ventail d'activits civiles semblables qui demandent tre menes avec l'aide des militaires. Il est bien sr ncessaire de mettre en place des arrangements et des structures CIMIC communs, mais ceux-ci doivent tre souples afin de pouvoir tre adapts chaque situation.


Un cadre largi


Naumann & Annan
Le gnral Klaus Naumann, Prsident du Comit militaire de l'OTAN ( gauche), aux cts du Secrtaire gnral des Nations unies, Kofi Annan, au sige des Nations Unies, New York, le 14 dcembre 1998.
(Photo AP 57Kb)
Jusqu'ici, la CIMIC de l'OTAN a t dveloppe au niveau militaire, tant sur le terrain qu'au niveau militaro-stratgique des Autorits militaires de l'Alliance au Grand quartier gnral des puissances allies en Europe (SHAPE). Or ce n'est pas l que sont prises les dcisions concernant les accords de paix, les divers rles des organisations internationales dans le processus de mise en uvre et les relations organiques entre celles-ci. Ces dcisions sont prises au niveau politique suprieur.

En dfinissant un cadre pour l'interaction civilo-militaire ce niveau plus lev, l'Alliance pourrait contribuer amliorer encore les processus de mise en uvre de la paix. Ce cadre pourrait servir tablir un rseau de relations se renforant mutuellement entre l'OTAN et d'autres organisations internationales engages dans les oprations de paix. Mais plutt que de crer de nouvelles structures bureaucratiques globales, il faudrait envisager des dispositifs de liaison pouvant tre activs ou dvelopps en fonction des besoins.

Les liaisons ordinaires entre les organisations internationales pourraient servir partager des informations pratiques sur la capacit, la structure et les caractristiques organiques des diverses institutions internationales, ainsi qu' examiner et coordonner les contributions la rdaction des accords de paix. Cela aiderait combler l'cart d aux diffrences culturelles et aux ides fausses et permettrait de rationaliser les tches et d'utiliser plus efficacement les rares ressources disponibles. Des plans d'urgence coordonns pourraient tre tablis, ce qui rduirait le temps ncessaire pour se prparer la mise en uvre de la paix ou d'autres oprations. Enfin, ce rseau pourrait galement servir organiser en commun des programmes de formation, des sminaires et des exercices.


Le nouveau concept stratgique

L'OTAN travaille actuellement la dfinition du nouveau concept stratgique de l'Alliance, qui doit tre prsent au Sommet de Washington en avril. Il refltera les nouvelles tches que l'Alliance devra accomplir lorsqu'elle dirigera des oprations de paix comme celles qui ont t menes de concert avec les pays partenaires en Bosnie-Herzgovine, et avec le succs que l'on connat. Etant donn le rle cl de l'interaction civilo-militaire dans ces oprations, il serait logique d'inclure cet lment dans la dfinition des nouvelles tches de l'OTAN. Cela dmontrerait son importance politique et constituerait la base de l'laboration d'arrangements et de procdures plus dtaills qui pourraient tre incorpors dans un cadre largi favorable une interaction civilo-militaire aux niveaux stratgique et politique.
Notes
  1. Institut international de recherche sur la paix, Stockholm.

  2. Force de mise en uvre/ Force de stabilisation.

  3. Administration transitoire des Nations Unies pour la Slavonie orientale, la Baranja et le Srem occidental.

  4. Action en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d'acte d'agression (Articles 39-51).

  5. L'avertissement d'activation (activation warning), la demande d'activation (activation request) et l'ordre d'activation (activation order), respectivement, sont des termes OTAN dcrivant les tapes conduisant au dclenchement d'une opration militaire.

  6. La dfinition agre OTAN de la CIMIC est la suivante: "Moyens et accords qui appuient les relations entre les commandants OTAN et les autorits nationales civiles et militaires et les populations civiles dans une zone dans laquelle sont prsentes les forces de l'OTAN ou bien dans laquelle il est prvu de les employer. Ces accords comprennent la coopration avec des agences, des organisations et des autorits non gouvernementales ou internationales."

  7. Le mandat du Haut Reprsentant, qui dcoule de l'accord de paix pour la Bosnie et de la rsolution 1031 du Conseil de scurit des Nations Unies, consiste assurer le suivi de l'application de l'accord et coordonner les efforts civils de mise en uvre en Bosnie-Herzgovine.

  8. Voir l'article du colonel William R. Phillips, "La coopration civilo-mili-taire, lment essentiel la mise en uvre de la paix en Bosnie", Revue de l'OTAN, n1, Printemps 1998, p. 22-25.


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