Edition Web
Vol. 46 - No. 2
Et 1998
pp. 6-9

L'Identit europenne de scurit et de dfense au sein de l'OTAN

Lluis Maria de Puig

Prsident de l'Assemble de l'UE0




M. Lluis Maria de Puig ( droite) s'adressant M. Javier Solana, Secrtaire gnral de l'OTAN, lors de la runion de Bruxelles qui a marqu le 50e anniversaire de l'UEO.
(Photo Belga 26Kb)
A Berlin, puis de nouveau Madrid, l'Alliance a reconnu les avantages qu'il y aurait construire une Identit europenne de scurit et de dfense (IESD) au sein de l'OTAN et entrin les mesures concrtes devant permettre d'atteindre cet objectif. L'UEO, en troite coopration avec l'OTAN, joue un rle central pour faire de l'IESD une ralit. Toutefois, pour que cette entreprise soit un succs, il faudra, selon le Prsident de l'Assemble de l'UEO, que les Europens montrent leur engagement en y consacrant des ressources adquates, et, de leur ct, les Amricains devront laisser un plus grand rle l'Europe au sein de l'OTAN dans le cadre d'un rquilibrage des relations transatlantiques.

La construction d'une Identit europenne de scurit et de dfense (IESD) au sein de l'OTAN vise concilier une plus grande autonomie de l'Europe dans le domaine de la scurit et de la dfense avec le maintien du lien transatlantique. Cette formule, adopte par les Ministres des affaires trangres des pays de l'Alliance Berlin, en juin 1996, et relance par les chefs d'Etat et de gouvernement lors du Sommet de l'OTAN tenu Madrid, en juillet dernier, offre aux Europens davantage de poids dans les prises de dcisions de l'Alliance, et l'UEO les outils dont elle a besoin pour mener bien les missions qui lui sont propres.

Les lments essentiels de la formule que les dirigeants de l'Alliance ont approuve Madrid pour l'IESD sont les suivants:

  • Plein appui de l'OTAN au dveloppement de l'IESD au sein de l'Alliance par la mise disposition de moyens et de capacits de l'OTAN pour des oprations de l'UEO;

  • soutien des oprations diriges par l'UEO en tant qu'lment du concept de Groupes de forces inter-armes multinationales (GFIM);

  • tablissement, dans le cadre de la future structure de commandement, de dispositions de commandement europen permettant la prparation, le soutien, le commandement et la conduite d'oprations diriges par l'UEO;

  • cration de forces capables d'oprer sous le contrle politique et la direction stratgique de l'UEO;

  • dispositions relatives l'identification de moyens et de capacits de l'OTAN utilisables l'appui d'oprations diriges par l'UEO, et arrangements relatifs des consultations entre l'OTAN et l'UEO dans le contexte de telles oprations;

  • attachement une totale transparence entre l'OTAN et l'UEO dans la gestion des crises, y compris grce des consultations conjointes;

  • renforcement de la coopration institutionnelle entre les deux organisations;

  • association de l'UEO aux processus d'laboration des plans de dfense de l'OTAN.


Le rle de l'OTAN


MM. Jaroslav Sedivy, Ministre des affaires trangres (au centre), et Velem Holan, Prsident de la Commission internationale de la Chambre des dputs de la Rpublique tchque, applaudissant l'approbation par la Chambre basse du Parlement, le 15 avril, de l'accession en instance du pays l'OTAN.
(Photo Belga 48Kb)

Le rle premier de l'Alliance atlantique dans l'aprs-Guerre froide est toujours de garantir la paix en Europe, mais elle y parvient prsent moins par la dissuasion militaire que par la cohsion politique de ses membres. Si les pays d'Europe centrale et orientale cherchent adhrer au systme de scurit occidental, c'est en grande partie parce que la stabilit qu'il apporte leur permet de mener leurs rformes internes. Dans le mme temps, la perspective d'adhsion l'OTAN, l'UE et l'UEO les incite rsoudre pacifiquement leurs problmes rgionaux.

Ainsi, le rle politique de l'Alliance l'emporte maintenant, dans une certaine mesure, sur son rle militaire, ce qui explique peut-tre pourquoi certains pays d'Europe souhaitent que les rformes institutionnelles de l'Alliance aillent encore plus loin dans ce sens. Cependant, l'influence et l'importance de l'Amrique au sein de l'OTAN ne tiennent pas la faon dont sont conues les institutions. Elles refltent une ralit, celle de l'norme prpondrance de la puissance des Etats-Unis et de leurs capacits dans tous les domaines qui touchent la dfense. Ils disposent de moyens incomparables d'observation distance, y compris par satellites, de recueil de donnes du renseignement, de communications, de transports, de logistique, de dissuasion nuclaire et d'action aroterrestre, moyens grce auxquels l'Alliance a pu tre efficace dans le pass et qui sont aujourd'hui indispensables toute action de quelque envergure. On l'a constat en Bosnie-Herzgovine, o l'Europe n'avait pas t en mesure de faire cesser les combats avant la dcision amricaine de participer pleinement aux oprations de rtablissement de la paix.

Or, l'Europe ne pourra pas arriver galer les Etats-Unis dans le domaine des capacits de dfense sans un effort considrable, qu'elle ne semble pas encore prte produire. Si, depuis quelques annes, les Etats europens se montrent de plus en plus dsireux d'unir leurs ressources dans le domaine de la dfense, c'est plus en raison de contraintes budgtaires que par souci de donner l'Europe les moyens d'une politique active.

Certains pays aspirent un rquilibrage des relations transatlantiques et cherchent y parvenir soit en mettant des capacits militaires au service de la Politique trangre et de scurit commune (PESC) de l'Union europenne, soit en encourageant le dveloppement de telles capacits dans le cadre de l'UEO, soit encore en envisageant mme des innovations aussi audacieuses qu'un systme europen d'observation par satellites. Pourtant, on peut s'interroger sur l'avenir des plus ambitieux de ces programmes en pensant aux dficits budgtaires.

Ce sont l des ralits que l'on ne peut ngliger. Elles expliquent les difficults rencontres par les Europens pour obtenir un meilleur partage des responsabilits au sein de l'OTAN, ainsi qu'une certaine indpendance dans l'action militaire travers le concept de GFIM. Quelle que puisse tre la bonne volont des uns et des autres, il n'y aura pas de vritable partage des responsabilits entre l'Europe et les Etats-Unis tant que l'ingalit des moyens d'action continuera de s'accrotre.

Il est un autre facteur qui rend alatoire la cration d'une Identit europenne de dfense au sein de l'OTAN. C'est tout simplement le fait que les Etats europens prouvent la plus grande difficult se mettre d'accord sur une dfinition de leurs objectifs communs. Les perceptions de la menace et des priorits varient trs sensiblement selon la situation de chacun en Europe. Il ne servirait rien de donner une structure institutionnelle une identit europenne de dfense au sein de l'OTAN s'il n'existait pas d'approche "europenne" commune des questions de dfense et de scurit.


Le rle de l'Union europenne

La plupart des membres europens de l'Alliance cherchent trouver une politique commune dans le contexte de la PESC de l'Union europenne. Il n'est pas douteux que l'Union europenne a obtenu des rsultats dans les domaines relevant de sa comptence, essentiellement dans celui de l'conomie, avec aussi certains lments d'une politique extrieure commune, mais la politique de scurit et de dfense reste avant tout une prrogative nationale. Le fait que quatre pays parmi les Quinze n'ont pas adhr l'Alliance atlantique et poursuivent, de diverses faons, des politiques de neutralit, tandis que trois membres europens de l'Alliance n'appartiennent pas l'Union europenne, empche toute intgration en bloc de l'identit europenne dans l'Alliance. La dcision prise au Sommet europen d'Amsterdam, en juin 1997, de ne pas donner l'UE de responsabilits en matire de dfense souligne encore cette ralit.


Le rle de l'UEO



Il faut que les Etats europens maintiennent "un niveau de forces et de moyens suffisant pour leur permettre de revendiquer un certain profil international". Ici, un Matador II (Harrier) dcolle du porte-avion espagnol Principe de Asturias.
(Photo OTAN 34Kb)

L'UEO est la seule organisation pouvoir jouer ce rle, parce que tous ses membres sont aussi membres de l'Alliance atlantique, parce que le Trait de Bruxelles modifi qui l'a fonde tablit une relation juridique avec l'OTAN et parce que ce trait respecte la souverainet des Etats dans le domaine auquel il s'applique. En outre, la dimension europenne de l'UEO est encore renforce par son troite association l'Union europenne et la PESC, telle que prvue dans les Traits de Maastricht et d'Amsterdam.

La question de savoir si, dans l'avenir, l'UEO sera intgre l'Union europenne et si le Trait de Bruxelles modifi devra tre rvis pour rpondre aux besoins d'une Europe largie peut ne pas trouver de rponse avant de nombreuses annes. Le dveloppement d'une Identit europenne de scurit et de dfense n'est pas un pralable cet gard. Mais il s'agit de dterminer ce qui peut tre ralis aujourd'hui dans le cadre de l'UEO pour donner corps cette identit et lui permettre de mieux reflter les intrts collectifs de l'Europe dans le contexte de l'OTAN.

La premire condition de tout progrs dans ce sens est le maintien par les Etats europens, au moins collectivement, d'un niveau de forces et de moyens suffisant pour leur permettre de revendiquer un certain profil international. Des dpenses de dfense infrieures 3 % du PIB ne peuvent assurer l'Europe un rle important dans un systme de dfense collective. Une arme de mtier, la modernisation des armements et l'accs aux technologies nouvelles exigent davantage. Si ses investissements sont insuffisants, l'Europe sera dans l'incapacit de mener de faon indpendante des oprations militaires, quelles qu'elles puissent tre.

L'Europe doit aussi se doter de mcanismes de prise de dcisions qui ne paralysent pas toute action ds le dpart. Les procdures dcisionnelles actuellement bauches par l'Union europenne et l'UEO en vue d'entreprises communes sont, cet gard, d'une complexit excessive. Le monde d'aujourd'hui exige des dcisions fermes et rapides.

Dans le domaine oprationnel, des dveloppements encourageants sont intervenus l'UEO au cours des cinq dernires annes, avec la rcente cration d'un Comit militaire, l'augmentation des capacits de la Cellule de planification et de celles du Centre satellitaire, et la mise sur pied d'un programme logistique. L'UEO reste encore loin de pouvoir prendre en charge la gestion d'oprations de grande envergure, notamment du fait que l'Europe manque de capacits de transport stratgique. Cependant, elle peut compter sur un certain nombre de forces multinationales en mesure de diriger sur le terrain des oprations menes par les contingents mis disposition par les Etats membres en cas de besoin.

En outre, l'Organisme conjoint de coopration en matire d'armement (OCCAR), cr en 1996, offre le cadre ncessaire une agence europenne des armements destine promouvoir une politique europenne dans ce domaine. Pour le moment, sa libert d'action se limite au secteur de la recherche, mais les ngociations actuellement menes pour faire entrer l'OCCAR dans l'UEO devraient dboucher sur une large augmentation de ses comptences et de son efficacit.

Plus la capacit de l'UEO d'agir de faon indpendante s'accrotra et lui permettra de rpondre aux dfis de la scurit et de protger les intrts vitaux de l'Europe, mieux l'identit europenne sera perue dans le monde. La cration de la force maritime multinationale EUROMARFOR a montr que la ralit militaire de l'Europe commence prendre forme. En mme temps, il nous faut veiller ce que l'volution des institutions, en particulier l'largissement de l'OTAN, de l'Union europenne et de l'UEO, n'accroisse les distances qui existent entre ces trois organisations.

Pour sa part, l'UEO a constamment appliqu le principe selon lequel ne pouvaient tre admis adhrer au Trait de Bruxelles modifi que des pays qui taient dj membres de l'Union europenne et de l'OTAN, tout en accordant un statut particulier aux pays europens qui ne remplissaient pas ces deux conditions. Des "membres associs", c'est--dire des pays qui sont membres de l'OTAN mais pas de l'Union europenne, peuvent aussi participer aux activits militaires de l'UEO dans lesquelles l'OTAN joue un rle. Ce statut devrait tre accord aux futurs membres de l'OTAN que sont la Hongrie, la Pologne et la Rpublique tchque, jusqu'au jour o leur admission l'Union europenne permettra leur adhsion pleine et entire l'UEO.

Pourtant, l'essentiel sera le degr d'indpendance et de soutien que l'OTAN accordera effectivement des units relevant de l'UEO dans une opration de GFIM. Il n'a pas t facile de s'entendre sur ce point. L'Amrique craint de se laisser engager par ses partenaires europens dans des affaires qu'elle ne contrlerait pas. Mais si une conclusion n'est pas trouve bref dlai, il ne restera plus gure de place pour une identit europenne au sein de l'OTAN.

Il importe aussi que le Conseil de l'UEO use effectivement de l'indpendance de dcision que lui confre le Trait de Bruxelles modifi, qui le dispense de devoir se rfrer de faon systmatique la PESC pour dfinir ses missions. Dans la mesure o cinq pays membres de l'Union europenne ont refus d'adhrer l'UEO et l'OTAN, il ne convient videmment pas de les laisser peser d'un trop grand poids sur les dcisions d'une organisation envers laquelle ils n'ont pas voulu s'engager. Par ailleurs, la perspective d'une fusion de l'UEO dans l'Union europenne n'est envisageable que si tous les membres de l'Union se montrent prts accepter les objectifs et les obligations qu'impose ses signataires le Trait de Bruxelles modifi.


Les ralits de demain

L'ide d'une Identit europenne de dfense et de scurit au sein de l'OTAN peut certainement tre encore dveloppe. Nul ne saurait dire ce que deviendra l'OTAN au cours des prochaines dcennies, ni quel rythme une Europe unie laborera une vritable politique trangre ou une politique de scurit et de dfense commune. Nous ignorons aussi comment s'accomplira l'largissement de l'une et de l'autre et quelles en seront les consquences. Peut-tre la notion d'IESD fera-t-elle place d'autres formules, dont il faut esprer qu'elles apprhenderont mieux les ralits de demain.

Nanmoins, telle qu'elle existe, cette notion prsente une trs grande utilit, car elle demande une approche raliste de la vocation europenne dans le domaine de la dfense. Il ne peut certes pas y avoir de dfense europenne sans une coopration troite avec les Etats-Unis, pour qui l'OTAN constitue le seul cadre concevable. Mais cette coopration appelle un rquilibrage l'intrieur de l'Alliance, lequel ne pourra tre ralis que si les Europens se donnent les moyens militaires et politiques d'une action indpendante.


Back to Index Back to Homepage Go to Next Page