Edition Web
No. 5 - sept.-
oct. 1997
Vol. 45 - pp. 17-20

Le rquilibrage des relations transatlantiques

Klaus Francke

Chef de la dlgation allemande l'Assemble de l'Atlantique nord,
membre de la Commission des Affaires extrieures du Bundestag




(19Kb)
La transformation fondamentale du paysage politique mondial et la multiplication des dfis l'chelle mondiale ont entran des changements dans les relations transatlantiques. L'auteur affirme que le nouvel quilibre des influences l'intrieur du partenariat euro-atlantique doit se reflter dans un partage efficace des responsabilits, afin de contribuer ensemble la scurit et la stabilit. Ce nouvel quilibre doit tre fond sur un plus grand pragmatisme dans les relations transatlantiques et sur un engagement en faveur d'un partenariat galit. A cet gard, un dialogue soutenu et intensif sur des stratgies politiques conjointes et sur leur mise en uvre est essentiel.


Transformation et changement sont les mots d'ordre de notre poque. Les paramtres traditionnels de la politique de scurit ont t remplacs. L'intransigeance et la confrontation directe entre les deux blocs ont laiss place la souplesse et l'interaction. Mais la situation est encore fluctuante, et elle risque de le rester quelque temps. Les risques actuels, dans le domaine de la scurit, sont diffrents et imprvisibles, et il est impossible d'y faire face avec les stratgies et les instruments du pass. Le transfert de prosprit devenant un processus de plus en plus critique, la paix et la stabilit sont sans cesse plus menaces par des dsquilibres politiques et conomiques.

En raison de la mondia-lisation des dfis naissants, la coopration multilatrale entre les Etats acquiert une importance grandissante. Cela ajoute une dimension nouvelle la coopration et au partenariat entre les deux centres de la politique mondiale que sont les Etats-Unis et l'Union europenne.


Madeleine Albright, Secrtaire d'Etat amricain, en compagnie du Chancelier allemand Helmut Kohl lors d'une visite Bonn, au dbut de l'anne, pour y discuter des problmes transatlantiques.
(Reuters - 25Kb)

Ce qui distingue le partenariat transatlatique de tous les autres types de relations internationales, c'est qu'il s'agit avant tout d'une communaut de valeurs partages. Les deux partenaires reprsentent et dfendent les principes de la dmocratie et de la primaut du droit, des droits de l'homme et de l'conomie de march. Si ces valeurs taient adoptes l'chelle mondiale, elles pourraient apporter une importante contribution la paix et la prosprit universelles.

Pourtant, les relations transatlantiques ont elles aussi chang par suite des vnements survenus dans le monde. C'est manifeste dans tous les domaines des relations transatlantiques, mais plus spcialement dans celui de la politique de scurit. Le point essentiel, c'est que la menace pesant sur la scurit est fondamentalement diffrente de nos jours. Le contexte et les contraintes d'autrefois sont dpasss, et le besoin de cooprer semble moins pressant. Les relations intensives et multiformes de l'aprs-guerre ne paraissent plus aller de soi.

Un nouvel quilibre dans l'Alliance

Dans le mme temps, l'quilibre des influences entre les deux partenaires transatlantiques s'est modifi. Avec une nouvelle dfinition de la scurit qui met de plus en plus l'accent sur la ralisation d'un quilibre entre la prosprit, la dmocratie au niveau national, l'galit politique des minorits ethniques et la diplomatie prventive, tout en accordant relativement moins d'importance la dissuasion nuclaire. De ce fait, l'quilibre des influences entre les partenaires transatlantiques est meilleur. L'intrt vident et fondamental des Europens maintenir un partenariat de scurit avec les Etats-Unis n'a pas disparu: les Etats-Unis demeurent un partenaire indispensable pour la scurit europenne. La direction amricaine, en particulier, reste ncessaire la rsolution des crises europennes, comme le conflit bosniaque l'a montr. En outre, les Europens continueront, longue chance, de s'appuyer sur les Etats-Unis en matire de ressources et de logistique, de tlcommunications et de reconnaissance.



"La direction amricaine reste ncessaire la rsolution des crises europennes, comme le conflit bosniaque l'a montr."
(AP - 54Kb)
En revanche, avec la disparition des blocs, l'intrt amricain en Europe, sur le plan scuritaire, a chang. Son intrt gopolitique fondamental maintenir la stabilit sur l'autre rive de l'Atlantique - l'Europe tant son premier partenaire commercial en dehors du continent nord-amricain - subsistera encore long terme. Mais comme aucune menace ne semble peser sur la scurit des Etats-Unis dans l'immdiat, ils pourraient rduire leur engagement par rapport aux niveaux de l'aprs-guerre et se concentrer sur des intrts plus spcifiques. Par consquent, dans l'avenir, nous autres Europens devrons compter avec une prsence amricaine en Europe qui confrera une voix politique aux Etats-Unis sans les engager activement et systmatiquement dans les affaires europennes.

Afin d'allger la charge des Etats-Unis et, de la sorte, de garantir encore davantage le maintien de leur prsence en Europe, mais aussi de reflter l'influence croissante des Europens, avec des initiatives grandissantes en vue d'laborer une politique trangre et de scurit commune, ceux-ci doivent assumer une plus grande part de responsabilit au sein de l'Alliance. Cependant, pour garantir l'quilibre des influences dans l'OTAN, nous devons faire progresser la mise en uvre de l'Identit europenne de scurit et de dfense (IESD) et du concept de Groupes de forces interarmes multinationales (GFIM) au mme rythme que celui de la politique trangre et de scurit commune.

Des efforts communs indispensables

C'est sur cette base que nous devons prparer la coopration, de telle sorte que le partage des responsabilits soit en rapport avec les capacits et les attentes de chacun des partenaires. Pour tre efficace, ce partage doit avoir une double base: premirement, un engagement de crer un partenariat galit et, deuximement, un dialogue continu et ouvert entre les deux partenaires transatlantiques.

Un partenariat galit implique que les Etats-Unis abandonnent quelques-unes de leurs responsabilits, ce qui aurait pour corollaire d'allger leurs charges. Dans un monde de plus en plus interconnect, dans lequel mme une puissance mondiale comme les Etats-Unis perd de sa capacit d'influer, elle seule, sur les vnements, les Etats qui, jusqu'ici, ont surtout agi de faon unilatrale, doivent maintenant se prparer au compromis et ngocier des accords avec d'autres s'ils veulent conserver des chances de russir. D'un point de vue europen, les Etats-Unis ont encore un peu de terrain rattraper pour ce qui est de l'exprience de l'intgration multilatrale, que les Etats europens ont acquise ces dernires dcennies au sein de l'Union europenne.

Pour leur part, les Europens doivent crer les conditions leur permettant d'assumer davantage de responsabilits. Ils ne peuvent escompter que les Etats-Unis les reconnaissent comme un partenaire galit que s'ils parlent d'une seule voix. Bien que je sois, en ce qui me concerne, convaincu que dans les prochaines annes les Europens feront de plus en plus preuve de leur unit dans le cadre de diverses initiatives communes, du point de vue amricain, cette unit est encore sujette caution.

Un dialogue continu qui aborde les diffrentes opinions et perceptions et dfinit, sur cette base, des politiques communes, est donc indispensable. Selon moi, il subsiste cet gard un dficit de communication transatlantique: en dpit des nombreuses expressions de l'intention d'introduire une coordination accrue - comme on peut en trouver dans l'ordre du jour transatlantique de dcembre 1995 - en pratique, le dialogue entre les deux rives de l'Atlantique s'est considrablement relch. Nous ne devons pas oublier qu'il repose sur un grand nombre de contacts personnels qui sont cultivs et aboutissent mme, dans les cas idaux, l'instauration de liens d'amiti. Or le nombre de runions euro-atlantiques a constamment diminu, et les forums de discussion existants sont sous-exploits ou n'ont pas suffisamment d'incidences sur les politiques des deux partenaires. Les programmes d'changes sont rduits un point inquitant. A long terme, cela dbouchera sur l'mergence de nouvelles lites politiques qui auront une mentalit trs diffrente et une tout autre vision de leur partenaire transatlantique respectif. Il est urgent de relancer ce dialogue tous les niveaux, y compris par-del le cadre de l'OTAN. Telle est la condition pralable la plus importante l'laboration de politiques communes et, par consquent, d'actions communes.

Le dialogue transatlantique doit galement tre ouvert aux partenaires de la coopration. C'est pourquoi un accord sur un dialogue intensif entre l'Assemble de l'Atlantique nord et la Douma de Russie sous-tend l'Acte fondateur OTAN-Russie.

Les tches communes en perspective

Le plus grand dfi venir pour l'Alliance est la rvision du systme scuritaire europen et l'ouverture de l'OTAN l'Est. La question fondamentale de l'largissement de l'OTAN a t rsolue pour quelques annes. La premire phase de ce processus a t conclue au Sommet de Madrid, avec les invitations adhrer lances la Rpublique tchque, la Hongrie et la Pologne. Maintenant, nous devons rflchir, ensemble, sur une question potentiellement plus capitale pour l'avenir du continent europen: quelles perspectives pouvons-nous offrir aux pays qui ne deviendront pas membres de l'OTAN?


Boris Eltsine, Prsident de la Russie (au centre), serrant la main de Javier Solana, Secrtaire gnral de l'OTAN ( droite) et de Bill Clinton, Prsident des Etats-Unis, devant d'autres dirigrants de l'Alliance aprs la signature de l'Acte fondateur entre l'OTAN et la Russie Paris, au mois de mai.
(Photo OTAN - 22Kb)

Il est important, ce sujet, de bien insister sur le fait qu'un processus acclr d'adhsion l'Union europenne, tels que les Etats-Unis l'ont prconis pour les pays baltes, ne peut tre une solution. En effet, l'heure actuelle, l'Union europenne est moins en mesure que l'OTAN de rpondre aux aspirations des candidats l'accession en matire de scurit. Nanmoins je suis convaincu qu' long terme, l'appartenance l'Union europenne, et donc la participation la prosprit conomique de l'Europe, apportera tout autant de stabilit, et donc de scurit, que les garanties de l'Article 5 du Trait de l'Atlantique nord.

Nous souhaitons tous viter la cration de "zones grises de scurit" en Europe. Pour cela, il nous faut renforcer les programmes et les institutions qui rassemblent, autour d'une table paneuropenne, tous ceux, sans exceptions, qui expriment un intrt pour la coopration. Nous devons complter la coopration active dans le domaine militaire par un change intensif d'informations sur les questions politiques. C'est pourquoi nous devons maximiser les possibilits de coopration politique qu'offre le nouveau Conseil de partenariat euro-atlantique. Nous devons aussi tablir clairement que l'largissement de l'OTAN ne s'arrtera pas la premire vague d'adhsions. Ce serait contraire sa politique d'ouverture et d'extension de la zone de stabilit l'ensemble de l'Europe. La tche la plus importante de l'alliance transatlantique aprs le Sommet de Madrid consistera donc veiller ce que les barrires entre ceux qui accderont l'OTAN et les autres deviennent de plus en plus mouvantes.

Les efforts d'intgration de la Russie ne doivent pas non plus tre relchs sous prtexte que l'Acte fondateur a t sign. Ils doivent au contraire tre poursuivis avec une nouvelle vigueur afin d'assurer le succs de cet accord. Il convient en particulier de prendre de nouvelles mesures sur l'assistance conjointe dans les secteurs conomique et financier. Mais qui dit nouvelles initiatives politiques dit aussi action renforce dans d'autres domaines d'intrt : le partenariat spcifique avec l'Ukraine, l'intgration, terme, des pays baltes, mais aussi, dans une mesure grandissante, la rgion mditerranenne.

Ces mesures doivent tre lies la plus grande participation des pays riverains de la Mditerrane au dialogue avec l'OTAN sur la politique de scurit. En fait, nombre de ceux-ci - comme Isral et l'Egypte - ont dj le statut d'observateur au sein de l'Assemble de l'Atlantique nord, et le Groupe spcial sur la Mditerrane de l'AAN a rcemment entam des travaux intensifs sur les problmes relatifs aux pays de la Mditerrane. Mais cet engagement doit tre complt par d'autres activits dans le cadre transatlantique. Et, surtout, nous ne devons pas permettre que ces efforts soient arrts ou entravs par les retards et l'inertie du processus de paix au Moyen-Orient.

Bien entendu, il existe aussi des domaines dans lesquels les partenaires transatlantiques ont des positions fondamentalement diffrentes. Il suffit de citer l'exemple de l'Iran, bien que leurs points de vue semblent se rapprocher aprs les vnements rcents. Mais leurs opinions divergent galement sur le lien qui existe entre les intrts commerciaux l'tranger et les exigences politiques, et ces divergences sont avives par la concurrence entre les grandes socits sur le march mondial. Les conflits commerciaux de ce genre doivent tre traits dans un cadre multilatral appropri et tre soumis, le cas chant, l'arbitrage de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Nous ne pouvons admettre qu'ils altrent la qualit foncirement bonne des relations transatlantiques. La politique amricaine qui consiste adopter des sanctions juridiques contre des tiers situs en dehors de leur territoire, comme le permet la loi Helms-Burton, doit tre rejete comme un comportement inacceptable entre partenaires.

Des efforts supplmentaires ncessaires

En cette re post-idologique, les relations euro- atlantiques sont caractrises par un plus grand ralisme et un plus grand pragmatisme. Des deux cts de l'Atlantique, on voit natre de nouvelles lites politiques qui, de toute vidence, effectuent des analyses de cots et rendements. Pourtant, mme dans ce contexte, les aspects positifs d'une coopration euro-atlantique troite sont manifestes. Il convient nanmoins de faire davantage d'efforts pour les reconnatre et pour en tirer les consquences lorsque certaines questions sont examines et des dcisions prises au cas par cas. Nous devons fournir cet effort si nous voulons nous acquitter de nos responsabilits communes sur la scne politique mondiale et continuer de dfendre la paix et la libert, en Europe et dans d'autres rgions du monde, au XXIe sicle.


Back to Index Back to Homepage