Edition Web
Vol. 43- No. 4
Juillet 1995
p. 3-8
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Quarante
années d'appartenance de
l'Allemagne à l'OTAN
Karl Kaiser
Directeur, Société allemande pour les Affaires étrangères
Professeur à l'Université de Bonn
L'Allemagne a adhéré à l'OTAN il y a quarante
ans - un événement qui, à l'époque, ne fut
pas sans soulever de controverses tant à l'intérieur qu'à
l'extérieur du pays. Le chancelier Adenauer soutenait que cette
accession mènerait à l'unification, et l'histoire a fini
par lui donner raison. Depuis la réunification et la fin de la
guerre froide, un débat s'est engagé afin de créer
un consensus permettant à l'Allemagne d'agir avec ses alliés
pour défendre les principes fondamentaux du droit international
et des droits de l'homme. L'Alliance, au cours de son processus d'adaptation
à son nouveau rôle, s'ouvre aux nouvelles démocraties
de l'Est et doit faire face à une crise qui constitue une épreuve
pour elle comme pour l'Allemagne: comment traiter efficacement le type
de conflit auquel nous assistons actuellement dans l'ex-Yougoslavie?
L'adhésion de la République fédérale d'Allemagne
à l'OTAN, en mai 1955, a été un événement
historique. Le chancelier Konrad Adenauer en personne participa au premier
Conseil de l'OTAN de l'Allemagne, le 9 mai, ce qui est aussi, en soi,
un fait historique. Dix années après la fin de la pire guerre
de l'histoire, déclenchée par l'Allemagne sous Hitler, les
démocraties de l'Ouest s'alliaient à la partie occidentale
de ce pays afin d'effectuer avec elle un long voyage vers un avenir incertain.
Dans quel but? Celui de préserver la paix en Europe, de s'opposer
au totalitarisme et de rétablir la démocratie et la liberté
dans la partie orientale de l'Allemagne et de l'Europe. Chacun nourrissait
des espérances, mais peu de gens pensaient qu'elles se concrétiseraient
en moins de quatre décennies, un laps de temps relativement court
à l'échelle de l'histoire, et sans nul doute minime si l'on
pense à l'intensité et aux implications du conflit Est-Ouest.
L'entrée au sein de l'OTAN clarifia la situation, après
un long débat dans un pays divisé. En fait, ce débat
avait véritablement commencé en 1950, lorsque la Corée
du Nord envahit le Sud de la péninsule et que beaucoup d'Allemands,
et même d'Européens, se dirent que l'Europe pourrait bien
connaître le même sort. Si cette accession à l'OTAN
décida du cours de l'histoire allemande, mais aussi européenne
et occidentale, elle ne mit cependant pas fin à la controverse,
que ce soit en Allemagne ou à l'étranger.
Dans le pays même, le Parti social-démocrate continua de
marquer son opposition vis-à-vis de l'appartenance à l'OTAN
durant cinq ans, jusqu'en 1960. Et à l'extérieur de l'Allemagne,
les préoccupations liées à la remilitarisation du
pays qui avait été responsable de la Seconde Guerre mondiale
mirent longtemps à s'apaiser, mais finirent par disparaître.
Le débat sur le réarmement fut parmi les plus importants
de l'histoire allemande de l'après-guerre, mais aussi l'un des
plus controversés. Ce fut une décision extrêmement
difficile. Franz Josef Strauss lui-même, qui devint ministre de
la Défense en 1956, déclara alors:
"Que dépérisse la main qui s'empare à nouveau
d'un fusil."
Le pacifisme d'alors n'était pas le pacifisme actuel de l'Etat-provi-dence,
mais un pacifisme nourri des souvenirs d'une guerre terrible, qui avait
fait des millions de morts. C'était un pacifisme moralisateur qui,
sur le plan politique, était très puissant.
Il n'y a rien de surprenant à ce que, pendant cette période,
l'Allemagne ait été profondément divisée.
En 1950,46 pour cent de la population d'Allemagne de l'Ouest était
opposée à la participation allemande à une armée
européenne, contre 36 pour cent de personnes favorables. Mais les
hommes politiques de l'époque - dans un camp comme dans l'autre
- n'étaient pas de ceux qui passent leur temps à étudier
les sondages d'opinion. Ils se souciaient des objectifs à long
terme de leur politique, en sachant ce qui était enjeu. Le débat
fut donc passionné.
L'opposition prétendait que l'adhésion à l'OTAN
perpétuerait la division de l'Allemagne. Lors d'une des manifestations
qui eut lieu à l'époque, on entendit le slogan: "Celui
qui vote pour ce traité (sur le réarmement) n'est plus un
Allemand." Mais Adenauer milita avec acharnement contre ce point
de vue. Deux jours avant l'adhésion de l'Allemagne à l'OTAN,
il déclara: "Nous allons désormais faire partie de
l'Alliance la plus forte qui ait existé dans l'histoire. Cela nous
mènera à la réunification." L'historien allemand
Rolf Steininger le cita, en 1985, écrivant ironiquement que s'il
croyait vraiment à ce qu'il disait, l'histoire lui avait donné
tort. Aujourd'hui, bien entendu, nous savons qui avait raison à
long terme.
Le pire moment dans cette bataille fut évidemment la note de Staline,
en 1952, qui proposait, au beau milieu de cette discorde, des élections
pangermaniques. Adenauer, soutenu par les Alliés, refusa carrément
toute négociation, craignant des pourparlers interminables et pensant
que ce n'était qu'un stratagème pour faire capoter l'ensemble
du projet et, du même coup, l'entrée de l'Allemagne dans
la communauté occidentale. Pendant des années, le chancelier
et ses successeurs furent accusés d'avoir laissé passer
une occasion historique.
En fait, à l'époque, l'adhésion à l'OTAN
n'était considérée que comme le deuxième meilleur
choix par ses partisans, car elle se substituait à une solution
européenne qui avait fait l'objet de discussions pendant trois
ans: la Communauté européenne de défense. Si cette
solution européenne l'avait emporté, l'histoire aurait pris
un tour différent. Il y aurait eu un élément d'Europe
fédérale, un ministre européen de la défense,
et même une Alliance à deux piliers. Une telle solution aurait
sans nul doute eu des inconvénients, mais il est bon de se souvenir
qu'elle fut envisagée. Toujours est-il qu'en 1954, l'Assemblée
nationale française rejeta ce projet et que tous les gouvernements
concernés se tournèrent alors vers le projet d'adhésion
de l'Allemagne à l'OTAN, qui fut rapidement réalisé.
Avec quatre décennies de recul, que nous ont apporté ces
années de participation allemande à l'Alliance?
L'OTAN a toujours été, et est encore, une alliance politique,
mais au milieu des années 60, l'heure était venue d'en réexaminer
l'objectif politique. Sous la direction du ministre des Affaires étrangères
de Belgique, Pierre Harmel, elle a effectué cette étude
et reformule sa stratégie à long terme. Ce fut la période
de la grande coalition entre le SPD et l'Union chrétienne-démocrate
(CDU), qui avaient uni leurs forces après s'être opposés.
L'arrivée au pouvoir de la coalition sociale-démocrate/libérale,
sous Willy Brandt, en 1968, marqua un net changement de politique. L'Ostpolitik
de Brandt était dans la ligne suivie par Harmel, mais elle alla
beaucoup plus loin: elle incluait un dialogue avec l'Est et la reconnaissance
du statu quo en Europe. Cela fut particulièrement difficile pour
l'Allemagne - notamment pour ce qui est de la reconnaissance des frontières
- mais c'était une nécessité parce qu'autrement,
le statu quo n'aurait pu être remis en cause.
A l'époque, on se préoccupait beaucoup de l'Ostpolitik
et de l'ouverture allemande à l'Union soviétique. Mais les
gouvernements occidentaux avaient suffisamment confiance dans l'attachement
à l'Ouest de la République fédérale pour soutenir
sa politique même si, au plan intérieur, l'Allemagne était
de nouveau profondément divisée entre le gouvernement de
coalition de Willy Brandt et l'opposition chrétienne-démocrate.
En fin de compte, cette nouvelle politique fut couronnée de succès.
C'est la conjugaison de la résolution occidentale en matière
de défense et de l'ouverture dans le domaine politique qui a apporté
les germes du changement à l'Est et amené la chute du communisme
tel que nous l'avons connu.
Le débat sur la stratégie nucléaire et sur l'arme
atomique était un autre élément de changement à
gérer en commun. Le dilemme allemand est bien connu: en cas de
guerre, l'Allemagne aurait été le champ de bataille de deux
alliances adverses et, de ce fait, aurait été plus touchée
que tout autre pays. Cela explique pourquoi la prévention de la
guerre a toujours été l'objectif persistant de la politique
allemande. Mais on ne pouvait prévenir la guerre qu'en étant
prêt à la faire. Si la dissuasion était un impératif
pour l'Alliance, elle l'était plus encore pour l'Allemagne. La
dissuasion exercée au moyen d'armes nucléaires faisait partie
de cette équation mais, dans le même temps, les Allemands
ne voulaient pas qu'elles assument une fonction offensive, parce que c'est
l'Allemagne qui en aurait souffert le plus. Il en a résulté
une attitude schizophrène à l'égard des armes nucléaires
qui a troublé profondément et longtemps la politique intérieure
allemande.
Cette situation atteignit son paroxysme à la fin des années
70, avec la "double décision" de l'OTAN. Le chancelier
de l'époque, Helmut Schmidt, résista fermement aux protestations
d'une minorité vociférante, une persévérance
qu'il paya très cher politiquement, puisqu'il perdit son poste.
En fait, c'est le chancelier Helmut Kohi qui appliqua cette politique.
Nous savons maintenant par Mikhaël Gorbatchev, qui l'a dit tant au
chancelier Kohi qu'à l'ex-chancelier Schmidt, que sans la résolution
occidentale pendant cette phase particulière des relations Est-Ouest,
la vieille politique soviétique ne se serait pas effondrée.
C'est la fermeté des Occidentaux qui fît la preuve de la
faillite de la politique soviétique consistant à mettre
exagérément l'accent sur la dimension militaire de la sécurité.
Un des grands ambassadeurs français auprès de l'OTAN, François
de Rosé, vient de publier sur l'Alliance de l'Atlantique Nord un
livre, intitulé La troisième guerre mondiale n 'a pas eu
lieu,(1) qui résume très bien le succès
majeur de l'Alliance: elle a su prévenir une grande guerre dont
l'escalade aurait mené à une destruction nucléaire
massive. Or bien des adversaires de l'OTAN et de la dissuasion nucléaire,
et parmi eux des personnalités allemandes, tenaient cette issue
pour quasiment inéluctable. La plus longue période de paix
de ce siècle a, bien entendu, de nombreuses origines, mais le facteur
spécifique le plus important a été l'existence de
cette alliance de démocraties. Et aucun pays ne lui est aussi reconnaissant
que l'Allemagne autrefois divisée, qui aurait autrement été
la première à souffrir, avec les conséquences les
plus fatales.
Une nouvelle Bundeswehr
Pendant cette période, de nouvelles forces armées allemandes
ont émergé - la Bundeswehr - sur la base d'un concept démocratique.
Ses représentants au siège de l'OTAN et au sein des diverses
institutions de l'OTAN étaient très différents des
officiers claquant les talons de la période précédente.
Une nouvelle classe de militaires ayant grandi en démocratie coopéra
avec les autres pays au sein des institutions de l'Alliance, de nombreux
contacts furent établis, et les partenaires devinrent amis, faisant
de la guerre entre eux un événement inimaginable. Tous coopéraient
à un dessein commun.
L'intégration militaire de l'Allemagne à l'OTAN fut un élément
essentiel du processus de réconciliation entre l'Allemagne et les
pays occidentaux. L'Allemagne créa les forces conventionnelles
les plus fortes d'Europe occidentale, en coopération avec les Alliés.
Ce faisant, elle montra qu'elle pouvait gérer le pouvoir de façon
responsable, et notamment le pouvoir politique, et elle instaura entre
le système politique et les forces armées du pays, le climat
de confiance sans lequel la création d'une Allemagne forte et unie,
en 1990, aurait difficilement été pensable.
Le 3 octobre 1990, jour historique de la réunification de l'Allemagne,
l'ambassadeur allemand auprès de l'OTAN, Hans von Ploetz, adressa
au Conseil de l'OTAN un message dans lequel il exprima une position très
largement partagée en Allemagne: "En ce jour, c'est avec reconnaissance
que nous songeons à ces hommes et à ces femmes qui, dans
les gouvernements, les parlements et les forces armées des pays
alliés, ou à d'autres responsabilités, ont fait preuve
pendant des années et des années d'une solidarité
sans faille et d'une détermination inébranlable qui les
ont souvent conduits à des sacrifices personnels, loin de leur
patrie." Il exprima également devant le Conseil la sincère
gratitude du chancelier et du ministre des Affaires étrangères
de l'Allemagne. Tous les Allemands se souviennent du rôle que l'Alliance,
et en particulier les trois puissances occidentales, a joué pour
préserver la liberté de Berlin, ville et enclave, militairement
presque indéfendable, qui était devenue un symbole d'espoir
et va redevenir à présent la capitale d'une Allemagne réunifiée
au sein d'une Europe en pleine unification.
L'extension de la liberté à l'Est
L'OTAN a apporté la liberté à l'Allemagne de l'Est
et à l'Europe centrale et orientale. Il est important de rappeler
que pour Adenauer et la majorité des Allemands, c'est la liberté,
et non l'unité, qui était la priorité en matière
de politique nationale. Pendant l'après-guerre, l'Allemagne aurait
pu avoir l'unité sans la liberté, mais elle ne le voulut
pas. Lors du premier Conseil de l'OTAN auquel participa Konrad Adenauer,
il déclara d'ailleurs: "Le gouvernement fédéral
est résolu à travailler avec les autres Etats membres pour
la paix et la liberté. Je sais que c'est là ce que ressent
et pense la nation allemande tout entière, ainsi que les dix-huit
millions d'hommes auxquels est encore refusé le droit de s'exprimer
librement et de choisir librement leur destin." La stratégie
adoptée était: la liberté d'abord! Et si l'on créait
les conditions nécessaires à la liberté, cela devait
résoudre automatiquement le problème allemand et même
le problème de la division de l'Europe.
Lorsque l'on pense, rétrospectivement, aux années 50, on
ne peut qu'être impressionné par l'extraordinaire clairvoyance
des hommes politiques et des hommes d'Etat de cette époque. Les
Accords de Paris, qui prirent tout d'abord la forme de la convention de
1952 entre les trois puissances occidentales et la République fédérale,
avant d'être légèrement modifiés en 1954 et
signés en octobre de la même année, indiquaient que
les Etats signataires coopéreraient afin de réaliser par
des moyens pacifiques leur objectif commun d'une Allemagne réunifiée
ayant une constitution libérale-démocrate comme celle de
la République fédérale et intégrée
à la communauté européenne. Ce vu, formulé
à l'Article 7 des Accords, décrit très exactement
ce qui s'est passé quelques décennies plus tard. Il est
très rare, dans l'histoire, de voir une stratégie à
long terme appliquée intégralement. Les démocraties
occidentales peuvent se féliciter d'être parvenues à
une telle issue.
En 1989 et 1990, une occasion historique se présenta. Les pays
occidentaux, coopérant avec une Union soviétique en pleine
mutation, saisirent la chance qui s'offrait à eux et obtinrent
ce qui peut être considéré comme le plus grand triomphe
de la diplomatie au cours de ce siècle. En effet, il ne s'écoula
même pas une année entre la chute du mur de Berlin et l'acte
final de création d'une Allemagne unifiée. Grâce au
sens aigu de la stratégie dont ont fait preuve le chancelier allemand
Helmut Kohi et le ministre des Affaires étrangères de l'époque,
Hans-Dietrich Genscher, mais aussi leurs homologues occidentaux, il fut
possible d'aboutir rapidement à cet extraordinaire résultat.
Les chefs d'Etat et de gouvernement des Etats-Unis, de France et de Grande-Bretagne,
qui avaient des responsabilités particulières - et qui furent
soutenus par l'OTAN tout au long de cette période - parvinrent,
en coopération avec leurs partenaires allemands et soviétiques,
à une conclusion que beaucoup avaient cru impossible, y compris
bon nombre d'hommes politiques allemands qui pensaient que la réunification
ne se ferait pas de leur vivant. En même temps que les Allemands
de l'Est, quatre cents millions de personnes furent libérées
du joug communiste, un résultat impensable sans les efforts persistants
des Alliés de l'OTAN.
L'adaptation à une ère nouvelle
Depuis les événements historiques de 1989/1990, tant l'Allemagne
réunifiée que l'OTAN essaient de s'adapter à l'évolution
du contexte international et de redéfinir leurs rôles.
Il est important de noter, vu la place de l'Allemagne dans l'OTAN, qu'aujourd'hui,
le soutien de ce pays à l'Alliance est plus important qu'il ne
l'a jamais été. La gauche, à l'exception des Verts,
n'est plus divisée et est plus favorable à l'OTAN que par
le passé. Les craintes exprimées à l'étranger
au moment de la réunification, à propos d'une trop grande
puissance de l'Allemagne, se sont dissipées. Le problème
de l'Allemagne n'est pas sa force, mais sa faiblesse. En effet, l'intégration
de l'Allemagne de l'Est a été beaucoup plus difficile que
ne l'avaient supposé ceux qui, en 1989 et 1990, prédisaient
le "Quatrième Reich", et l'adaptation au nouveau rôle
du pays en matière de sécurité se heurte aussi à
des écueils.
Au beau milieu des discussions "deux plus quatre", Saddam Hussein
envahit le Koweït, et la deuxième guerre du Golfe éclata.
A l'époque, beaucoup réclamèrent une participation
militaire allemande, mais les négociations en question n'étaient
pas terminées. Lorsque la coalition, mandatée par une résolution
du Conseil de sécurité des Nations unies, lança sa
contre-attaque contre l'Irak en janvier 1991, il fut à nouveau
demandé que l'Allemagne puisse jouer un rôle. Mais le président
Gorbatchev, dont la position politique était déjà
moins forte que l'année précédente, n'avait pas encore
pu ratifier les divers accords bilatéraux et multilatéraux
accompagnant la réunification allemande. Le gouvernement allemand
avait donc de bonnes raisons de ne pas envoyer de troupes dans le Golfe.
Ni l'opinion publique ni la Bundeswehr n'étaient prêtes à
s'affranchir aussi radicalement des orientations politiques de l'après-guerre,
ce que les gouvernements alliés n'avaient de toute façon
pas demandé, réalisant qu'une telle démarche n'était
ni recommandée, ni envisageable. Cependant, la République
fédérale apporta une contribution, jugée indispensable
aux yeux de certains observateurs bien informés, à l'effort
de guerre dans plusieurs domaines - matériel militaire, formation,
soutien logistique et moyens financiers.
L'adaptation de l'Allemagne à son nouveau rôle en matière
de sécurité a été et demeure difficile. Alors
que depuis la Deuxième Guerre mondiale, beaucoup de ses alliés,
et notamment les grandes démocraties, avaient pris part à
un certain nombre de conflits ainsi qu'à des missions des Nations
unies, nécessitant parfois la présence de forces armées
étoffées, le dernier décès d'un soldat allemand
au combat remontait à 1945 et il n'y a pas eu de soldat allemand
blessé dans un conflit avant 1993 - un pilote lors d'une mission
d'aide à Sarajevo. Le premier Allemand tombé lors d'une
action multilatérale est un membre d'une unité médicale
assassiné au Cambodge l'année dernière. Pendant la
longue période intermédiaire, et en dépit des sacrifices
faits par des soldats allemands, l'opinion publique allemande n'eut jamais
véritablement à faire face aux conséquences d'un
emploi effectif des forces armées dans le cadre d'un conflit militaire.
Ce n'est qu'au cours de ces dernières années qu'elle a dû
réfléchir à ces problèmes, qui sont inévitablement
liés aux nouvelles responsabilités du pays.
Le jugement rendu par la Cour constitutionnelle dans sa décision
au sujet de la participation militaire de l'Allemagne à des actions
multilatérales avait été prédit par presque
tous les experts en droit constitutionnel, qui affirmaient qu'un tel rôle
de la Bundeswehr était conforme aux termes de la Constitution.
Mais la politique doit désormais dépasser la dimension juridique
et créer le consensus politique nécessaire à un nouveau
rôle de la Bundeswehr. En effet, il ne suffirait pas d'obtenir un
soutien de 51 pour cent à de telles interventions. S'agissant de
la guerre et de la paix, une démocratie doit se prononcer plus
massivement. L'Allemagne se trouve précisément au milieu
d'un débat pour susciter ce consensus qui émerge lentement.
De toute évidence, la plus grande démocratie d'Europe ne
peut rester à l'écart lorsqu'il s'agit d'intervenir avec
les Alliés pour défendre des principes fondamentaux du droit
international et de l'humanité. Il y a donc tout lieu de penser
que tandis que le débat se poursuivra, la Bundeswehr prendra part
à des actions multilatérales aux côtés des
forces années d'autres pays de l'Alliance. En cela, l'Allemagne
devra encore être soutenue par les Alliés, parce qu'il s'agit
encore là d'un processus pénible pour les hommes politiques.
Pour sa part, l'OTAN s'adapte à son nouveau rôle et bien
entendu, dans le même temps, préserve ceux qui ont toujours
été les siens. Il convient de rendre tout particulièrement
hommage feu le Secrétaire général Manfred Wôrner,
grâce à qui le processus de transformation de F Alliance
a pu progresser et s'accélérer, notamment en ce qui concerne
l'ouverture aux nouvelles démocraties à l'Est. Aujourd'hui,
l'OTAN et l'Union européenne sont les instruments majeurs pour
créer la stabilité et susciter un changement construc-tif
en Europe, processus qui n'en est qu'à sa première phase.
La guerre est de retour en Europe. Pendant la guerre froide, alors que
la paix entre l'Est et l'Ouest était préservée, l'hémisphère
Sud était encore déchiré par ce fléau, et
l'Europe de l'Est ébranlée par des conflits répétés
qui marquèrent des tentatives infructueuses pour secouer l'hégémonie
soviétique. Aujourd'hui, la crise en cours dans les Balkans préoccupe
énormément l'Alliance. L'OTAN a été créée
avant tout pour défendre ses membres et amener un changement politique,
et sur ces deux plans, elle a très bien réussi. Si elle
éprouve des difficultés à développer son nouveau
rôle, c'est parce qu'il s'agit ni plus ni moins de s'engager activement
en dehors de la zone de l'Alliance. En attendant, nos opinions publiques
démocratiques assistent à la tragédie des Balkans
avec de plus en plus d'impatience et de frustration.
La capacité qu'a l'Alliance de faire face efficacement à
la guerre en cours dans l'ex-Yougoslavie pourrait être déterminante
pour son avenir. Si, en l'occurrence, l'OTAN, est incapable d'apaiser
le conflit ou d'y mettre fin, quelle sera, à terme, sa finalité?
Bien entendu, elle conservera sa fonction de rempart contre une agression,
mais on ne voit pas bien quelles forces pourraient attaquer l'OTAN, tout
au moins pas à l'heure actuelle, même s'il demeure toujours
possible que des adversaires resurgissent. La plus importante tâche
qui lui incombera dans les années à venir concerne donc
son rôle dans des conflits du type de celui qui est actuellement
en cours dans l'ex-Yougoslavie. Cette crise est par conséquent
une épreuve pour l'Alliance et pour l'Allemagne, au moment où
celle-ci entre dans une nouvelle phase de sa politique étrangère,
libérée des contraintes antérieures, investie de
responsabilités nouvelles et appelée à contribuer,
aux côtés des autres Alliés, à une redéfinition
du rôle de l'OTAN dans la difficile période qui s'annonce
pour la politique mondiale.
(1) Voir article de M. de Rosé p. 9.

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