Revue de l'OTAN
Mise à jour: 24-Sep-2002 Revue de l'OTAN

Edition Web
Vol. 43- No. 4
Juillet 1995
p. 3-8

Quarante années d'appartenance de
l'Allemagne à l'OTAN

Karl Kaiser
Directeur, Société allemande pour les Affaires étrangères Professeur à l'Université de Bonn

L'Allemagne a adhéré à l'OTAN il y a quarante ans - un événement qui, à l'époque, ne fut pas sans soulever de controverses tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays. Le chancelier Adenauer soutenait que cette accession mènerait à l'unification, et l'histoire a fini par lui donner raison. Depuis la réunification et la fin de la guerre froide, un débat s'est engagé afin de créer un consensus permettant à l'Allemagne d'agir avec ses alliés pour défendre les principes fondamentaux du droit international et des droits de l'homme. L'Alliance, au cours de son processus d'adaptation à son nouveau rôle, s'ouvre aux nouvelles démocraties de l'Est et doit faire face à une crise qui constitue une épreuve pour elle comme pour l'Allemagne: comment traiter efficacement le type de conflit auquel nous assistons actuellement dans l'ex-Yougoslavie?

L'adhésion de la République fédérale d'Allemagne à l'OTAN, en mai 1955, a été un événement historique. Le chancelier Konrad Adenauer en personne participa au premier Conseil de l'OTAN de l'Allemagne, le 9 mai, ce qui est aussi, en soi, un fait historique. Dix années après la fin de la pire guerre de l'histoire, déclenchée par l'Allemagne sous Hitler, les démocraties de l'Ouest s'alliaient à la partie occidentale de ce pays afin d'effectuer avec elle un long voyage vers un avenir incertain. Dans quel but? Celui de préserver la paix en Europe, de s'opposer au totalitarisme et de rétablir la démocratie et la liberté dans la partie orientale de l'Allemagne et de l'Europe. Chacun nourrissait des espérances, mais peu de gens pensaient qu'elles se concrétiseraient en moins de quatre décennies, un laps de temps relativement court à l'échelle de l'histoire, et sans nul doute minime si l'on pense à l'intensité et aux implications du conflit Est-Ouest.

L'entrée au sein de l'OTAN clarifia la situation, après un long débat dans un pays divisé. En fait, ce débat avait véritablement commencé en 1950, lorsque la Corée du Nord envahit le Sud de la péninsule et que beaucoup d'Allemands, et même d'Européens, se dirent que l'Europe pourrait bien connaître le même sort. Si cette accession à l'OTAN décida du cours de l'histoire allemande, mais aussi européenne et occidentale, elle ne mit cependant pas fin à la controverse, que ce soit en Allemagne ou à l'étranger.

Dans le pays même, le Parti social-démocrate continua de marquer son opposition vis-à-vis de l'appartenance à l'OTAN durant cinq ans, jusqu'en 1960. Et à l'extérieur de l'Allemagne, les préoccupations liées à la remilitarisation du pays qui avait été responsable de la Seconde Guerre mondiale mirent longtemps à s'apaiser, mais finirent par disparaître.
Le débat sur le réarmement fut parmi les plus importants de l'histoire allemande de l'après-guerre, mais aussi l'un des plus controversés. Ce fut une décision extrêmement difficile. Franz Josef Strauss lui-même, qui devint ministre de la Défense en 1956, déclara alors:

"Que dépérisse la main qui s'empare à nouveau d'un fusil."


Le pacifisme d'alors n'était pas le pacifisme actuel de l'Etat-provi-dence, mais un pacifisme nourri des souvenirs d'une guerre terrible, qui avait fait des millions de morts. C'était un pacifisme moralisateur qui, sur le plan politique, était très puissant.

Il n'y a rien de surprenant à ce que, pendant cette période, l'Allemagne ait été profondément divisée. En 1950,46 pour cent de la population d'Allemagne de l'Ouest était opposée à la participation allemande à une armée européenne, contre 36 pour cent de personnes favorables. Mais les hommes politiques de l'époque - dans un camp comme dans l'autre - n'étaient pas de ceux qui passent leur temps à étudier les sondages d'opinion. Ils se souciaient des objectifs à long terme de leur politique, en sachant ce qui était enjeu. Le débat fut donc passionné.

L'opposition prétendait que l'adhésion à l'OTAN perpétuerait la division de l'Allemagne. Lors d'une des manifestations qui eut lieu à l'époque, on entendit le slogan: "Celui qui vote pour ce traité (sur le réarmement) n'est plus un Allemand." Mais Adenauer milita avec acharnement contre ce point de vue. Deux jours avant l'adhésion de l'Allemagne à l'OTAN, il déclara: "Nous allons désormais faire partie de l'Alliance la plus forte qui ait existé dans l'histoire. Cela nous mènera à la réunification." L'historien allemand Rolf Steininger le cita, en 1985, écrivant ironiquement que s'il croyait vraiment à ce qu'il disait, l'histoire lui avait donné tort. Aujourd'hui, bien entendu, nous savons qui avait raison à long terme.

Le pire moment dans cette bataille fut évidemment la note de Staline, en 1952, qui proposait, au beau milieu de cette discorde, des élections pangermaniques. Adenauer, soutenu par les Alliés, refusa carrément toute négociation, craignant des pourparlers interminables et pensant que ce n'était qu'un stratagème pour faire capoter l'ensemble du projet et, du même coup, l'entrée de l'Allemagne dans la communauté occidentale. Pendant des années, le chancelier et ses successeurs furent accusés d'avoir laissé passer une occasion historique.

En fait, à l'époque, l'adhésion à l'OTAN n'était considérée que comme le deuxième meilleur choix par ses partisans, car elle se substituait à une solution européenne qui avait fait l'objet de discussions pendant trois ans: la Communauté européenne de défense. Si cette solution européenne l'avait emporté, l'histoire aurait pris un tour différent. Il y aurait eu un élément d'Europe fédérale, un ministre européen de la défense, et même une Alliance à deux piliers. Une telle solution aurait sans nul doute eu des inconvénients, mais il est bon de se souvenir qu'elle fut envisagée. Toujours est-il qu'en 1954, l'Assemblée nationale française rejeta ce projet et que tous les gouvernements concernés se tournèrent alors vers le projet d'adhésion de l'Allemagne à l'OTAN, qui fut rapidement réalisé. Avec quatre décennies de recul, que nous ont apporté ces années de participation allemande à l'Alliance?
L'OTAN a toujours été, et est encore, une alliance politique, mais au milieu des années 60, l'heure était venue d'en réexaminer l'objectif politique. Sous la direction du ministre des Affaires étrangères de Belgique, Pierre Harmel, elle a effectué cette étude et reformule sa stratégie à long terme. Ce fut la période de la grande coalition entre le SPD et l'Union chrétienne-démocrate (CDU), qui avaient uni leurs forces après s'être opposés. L'arrivée au pouvoir de la coalition sociale-démocrate/libérale, sous Willy Brandt, en 1968, marqua un net changement de politique. L'Ostpolitik de Brandt était dans la ligne suivie par Harmel, mais elle alla beaucoup plus loin: elle incluait un dialogue avec l'Est et la reconnaissance du statu quo en Europe. Cela fut particulièrement difficile pour l'Allemagne - notamment pour ce qui est de la reconnaissance des frontières - mais c'était une nécessité parce qu'autrement, le statu quo n'aurait pu être remis en cause.

A l'époque, on se préoccupait beaucoup de l'Ostpolitik et de l'ouverture allemande à l'Union soviétique. Mais les gouvernements occidentaux avaient suffisamment confiance dans l'attachement à l'Ouest de la République fédérale pour soutenir sa politique même si, au plan intérieur, l'Allemagne était de nouveau profondément divisée entre le gouvernement de coalition de Willy Brandt et l'opposition chrétienne-démocrate. En fin de compte, cette nouvelle politique fut couronnée de succès. C'est la conjugaison de la résolution occidentale en matière de défense et de l'ouverture dans le domaine politique qui a apporté les germes du changement à l'Est et amené la chute du communisme tel que nous l'avons connu.

Le débat sur la stratégie nucléaire et sur l'arme atomique était un autre élément de changement à gérer en commun. Le dilemme allemand est bien connu: en cas de guerre, l'Allemagne aurait été le champ de bataille de deux alliances adverses et, de ce fait, aurait été plus touchée que tout autre pays. Cela explique pourquoi la prévention de la guerre a toujours été l'objectif persistant de la politique allemande. Mais on ne pouvait prévenir la guerre qu'en étant prêt à la faire. Si la dissuasion était un impératif pour l'Alliance, elle l'était plus encore pour l'Allemagne. La dissuasion exercée au moyen d'armes nucléaires faisait partie de cette équation mais, dans le même temps, les Allemands ne voulaient pas qu'elles assument une fonction offensive, parce que c'est l'Allemagne qui en aurait souffert le plus. Il en a résulté une attitude schizophrène à l'égard des armes nucléaires qui a troublé profondément et longtemps la politique intérieure allemande.

Cette situation atteignit son paroxysme à la fin des années 70, avec la "double décision" de l'OTAN. Le chancelier de l'époque, Helmut Schmidt, résista fermement aux protestations d'une minorité vociférante, une persévérance qu'il paya très cher politiquement, puisqu'il perdit son poste. En fait, c'est le chancelier Helmut Kohi qui appliqua cette politique. Nous savons maintenant par Mikhaël Gorbatchev, qui l'a dit tant au chancelier Kohi qu'à l'ex-chancelier Schmidt, que sans la résolution occidentale pendant cette phase particulière des relations Est-Ouest, la vieille politique soviétique ne se serait pas effondrée. C'est la fermeté des Occidentaux qui fît la preuve de la faillite de la politique soviétique consistant à mettre exagérément l'accent sur la dimension militaire de la sécurité.

Un des grands ambassadeurs français auprès de l'OTAN, François de Rosé, vient de publier sur l'Alliance de l'Atlantique Nord un livre, intitulé La troisième guerre mondiale n 'a pas eu lieu,(1) qui résume très bien le succès majeur de l'Alliance: elle a su prévenir une grande guerre dont l'escalade aurait mené à une destruction nucléaire massive. Or bien des adversaires de l'OTAN et de la dissuasion nucléaire, et parmi eux des personnalités allemandes, tenaient cette issue pour quasiment inéluctable. La plus longue période de paix de ce siècle a, bien entendu, de nombreuses origines, mais le facteur spécifique le plus important a été l'existence de cette alliance de démocraties. Et aucun pays ne lui est aussi reconnaissant que l'Allemagne autrefois divisée, qui aurait autrement été la première à souffrir, avec les conséquences les plus fatales.


Une nouvelle Bundeswehr

Pendant cette période, de nouvelles forces armées allemandes ont émergé - la Bundeswehr - sur la base d'un concept démocratique. Ses représentants au siège de l'OTAN et au sein des diverses institutions de l'OTAN étaient très différents des officiers claquant les talons de la période précédente. Une nouvelle classe de militaires ayant grandi en démocratie coopéra avec les autres pays au sein des institutions de l'Alliance, de nombreux contacts furent établis, et les partenaires devinrent amis, faisant de la guerre entre eux un événement inimaginable. Tous coopéraient à un dessein commun.
L'intégration militaire de l'Allemagne à l'OTAN fut un élément essentiel du processus de réconciliation entre l'Allemagne et les pays occidentaux. L'Allemagne créa les forces conventionnelles les plus fortes d'Europe occidentale, en coopération avec les Alliés. Ce faisant, elle montra qu'elle pouvait gérer le pouvoir de façon responsable, et notamment le pouvoir politique, et elle instaura entre le système politique et les forces armées du pays, le climat de confiance sans lequel la création d'une Allemagne forte et unie, en 1990, aurait difficilement été pensable.

Le 3 octobre 1990, jour historique de la réunification de l'Allemagne, l'ambassadeur allemand auprès de l'OTAN, Hans von Ploetz, adressa au Conseil de l'OTAN un message dans lequel il exprima une position très largement partagée en Allemagne: "En ce jour, c'est avec reconnaissance que nous songeons à ces hommes et à ces femmes qui, dans les gouvernements, les parlements et les forces armées des pays alliés, ou à d'autres responsabilités, ont fait preuve pendant des années et des années d'une solidarité sans faille et d'une détermination inébranlable qui les ont souvent conduits à des sacrifices personnels, loin de leur patrie." Il exprima également devant le Conseil la sincère gratitude du chancelier et du ministre des Affaires étrangères de l'Allemagne. Tous les Allemands se souviennent du rôle que l'Alliance, et en particulier les trois puissances occidentales, a joué pour préserver la liberté de Berlin, ville et enclave, militairement presque indéfendable, qui était devenue un symbole d'espoir et va redevenir à présent la capitale d'une Allemagne réunifiée au sein d'une Europe en pleine unification.

L'extension de la liberté à l'Est

L'OTAN a apporté la liberté à l'Allemagne de l'Est et à l'Europe centrale et orientale. Il est important de rappeler que pour Adenauer et la majorité des Allemands, c'est la liberté, et non l'unité, qui était la priorité en matière de politique nationale. Pendant l'après-guerre, l'Allemagne aurait pu avoir l'unité sans la liberté, mais elle ne le voulut pas. Lors du premier Conseil de l'OTAN auquel participa Konrad Adenauer, il déclara d'ailleurs: "Le gouvernement fédéral est résolu à travailler avec les autres Etats membres pour la paix et la liberté. Je sais que c'est là ce que ressent et pense la nation allemande tout entière, ainsi que les dix-huit millions d'hommes auxquels est encore refusé le droit de s'exprimer librement et de choisir librement leur destin." La stratégie adoptée était: la liberté d'abord! Et si l'on créait les conditions nécessaires à la liberté, cela devait résoudre automatiquement le problème allemand et même le problème de la division de l'Europe.

Lorsque l'on pense, rétrospectivement, aux années 50, on ne peut qu'être impressionné par l'extraordinaire clairvoyance des hommes politiques et des hommes d'Etat de cette époque. Les Accords de Paris, qui prirent tout d'abord la forme de la convention de 1952 entre les trois puissances occidentales et la République fédérale, avant d'être légèrement modifiés en 1954 et signés en octobre de la même année, indiquaient que les Etats signataires coopéreraient afin de réaliser par des moyens pacifiques leur objectif commun d'une Allemagne réunifiée ayant une constitution libérale-démocrate comme celle de la République fédérale et intégrée à la communauté européenne. Ce vœu, formulé à l'Article 7 des Accords, décrit très exactement ce qui s'est passé quelques décennies plus tard. Il est très rare, dans l'histoire, de voir une stratégie à long terme appliquée intégralement. Les démocraties occidentales peuvent se féliciter d'être parvenues à une telle issue.

En 1989 et 1990, une occasion historique se présenta. Les pays occidentaux, coopérant avec une Union soviétique en pleine mutation, saisirent la chance qui s'offrait à eux et obtinrent ce qui peut être considéré comme le plus grand triomphe de la diplomatie au cours de ce siècle. En effet, il ne s'écoula même pas une année entre la chute du mur de Berlin et l'acte final de création d'une Allemagne unifiée. Grâce au sens aigu de la stratégie dont ont fait preuve le chancelier allemand Helmut Kohi et le ministre des Affaires étrangères de l'époque, Hans-Dietrich Genscher, mais aussi leurs homologues occidentaux, il fut possible d'aboutir rapidement à cet extraordinaire résultat. Les chefs d'Etat et de gouvernement des Etats-Unis, de France et de Grande-Bretagne, qui avaient des responsabilités particulières - et qui furent soutenus par l'OTAN tout au long de cette période - parvinrent, en coopération avec leurs partenaires allemands et soviétiques, à une conclusion que beaucoup avaient cru impossible, y compris bon nombre d'hommes politiques allemands qui pensaient que la réunification ne se ferait pas de leur vivant. En même temps que les Allemands de l'Est, quatre cents millions de personnes furent libérées du joug communiste, un résultat impensable sans les efforts persistants des Alliés de l'OTAN.

L'adaptation à une ère nouvelle

Depuis les événements historiques de 1989/1990, tant l'Allemagne réunifiée que l'OTAN essaient de s'adapter à l'évolution du contexte international et de redéfinir leurs rôles.

Il est important de noter, vu la place de l'Allemagne dans l'OTAN, qu'aujourd'hui, le soutien de ce pays à l'Alliance est plus important qu'il ne l'a jamais été. La gauche, à l'exception des Verts, n'est plus divisée et est plus favorable à l'OTAN que par le passé. Les craintes exprimées à l'étranger au moment de la réunification, à propos d'une trop grande puissance de l'Allemagne, se sont dissipées. Le problème de l'Allemagne n'est pas sa force, mais sa faiblesse. En effet, l'intégration de l'Allemagne de l'Est a été beaucoup plus difficile que ne l'avaient supposé ceux qui, en 1989 et 1990, prédisaient le "Quatrième Reich", et l'adaptation au nouveau rôle du pays en matière de sécurité se heurte aussi à des écueils.

Au beau milieu des discussions "deux plus quatre", Saddam Hussein envahit le Koweït, et la deuxième guerre du Golfe éclata. A l'époque, beaucoup réclamèrent une participation militaire allemande, mais les négociations en question n'étaient pas terminées. Lorsque la coalition, mandatée par une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies, lança sa contre-attaque contre l'Irak en janvier 1991, il fut à nouveau demandé que l'Allemagne puisse jouer un rôle. Mais le président Gorbatchev, dont la position politique était déjà moins forte que l'année précédente, n'avait pas encore pu ratifier les divers accords bilatéraux et multilatéraux accompagnant la réunification allemande. Le gouvernement allemand avait donc de bonnes raisons de ne pas envoyer de troupes dans le Golfe. Ni l'opinion publique ni la Bundeswehr n'étaient prêtes à s'affranchir aussi radicalement des orientations politiques de l'après-guerre, ce que les gouvernements alliés n'avaient de toute façon pas demandé, réalisant qu'une telle démarche n'était ni recommandée, ni envisageable. Cependant, la République fédérale apporta une contribution, jugée indispensable aux yeux de certains observateurs bien informés, à l'effort de guerre dans plusieurs domaines - matériel militaire, formation, soutien logistique et moyens financiers.

L'adaptation de l'Allemagne à son nouveau rôle en matière de sécurité a été et demeure difficile. Alors que depuis la Deuxième Guerre mondiale, beaucoup de ses alliés, et notamment les grandes démocraties, avaient pris part à un certain nombre de conflits ainsi qu'à des missions des Nations unies, nécessitant parfois la présence de forces armées étoffées, le dernier décès d'un soldat allemand au combat remontait à 1945 et il n'y a pas eu de soldat allemand blessé dans un conflit avant 1993 - un pilote lors d'une mission d'aide à Sarajevo. Le premier Allemand tombé lors d'une action multilatérale est un membre d'une unité médicale assassiné au Cambodge l'année dernière. Pendant la longue période intermédiaire, et en dépit des sacrifices faits par des soldats allemands, l'opinion publique allemande n'eut jamais véritablement à faire face aux conséquences d'un emploi effectif des forces armées dans le cadre d'un conflit militaire. Ce n'est qu'au cours de ces dernières années qu'elle a dû réfléchir à ces problèmes, qui sont inévitablement liés aux nouvelles responsabilités du pays.

Le jugement rendu par la Cour constitutionnelle dans sa décision au sujet de la participation militaire de l'Allemagne à des actions multilatérales avait été prédit par presque tous les experts en droit constitutionnel, qui affirmaient qu'un tel rôle de la Bundeswehr était conforme aux termes de la Constitution. Mais la politique doit désormais dépasser la dimension juridique et créer le consensus politique nécessaire à un nouveau rôle de la Bundeswehr. En effet, il ne suffirait pas d'obtenir un soutien de 51 pour cent à de telles interventions. S'agissant de la guerre et de la paix, une démocratie doit se prononcer plus massivement. L'Allemagne se trouve précisément au milieu d'un débat pour susciter ce consensus qui émerge lentement.

De toute évidence, la plus grande démocratie d'Europe ne peut rester à l'écart lorsqu'il s'agit d'intervenir avec les Alliés pour défendre des principes fondamentaux du droit international et de l'humanité. Il y a donc tout lieu de penser que tandis que le débat se poursuivra, la Bundeswehr prendra part à des actions multilatérales aux côtés des forces années d'autres pays de l'Alliance. En cela, l'Allemagne devra encore être soutenue par les Alliés, parce qu'il s'agit encore là d'un processus pénible pour les hommes politiques.

Pour sa part, l'OTAN s'adapte à son nouveau rôle et bien entendu, dans le même temps, préserve ceux qui ont toujours été les siens. Il convient de rendre tout particulièrement hommage feu le Secrétaire général Manfred Wôrner, grâce à qui le processus de transformation de F Alliance a pu progresser et s'accélérer, notamment en ce qui concerne l'ouverture aux nouvelles démocraties à l'Est. Aujourd'hui, l'OTAN et l'Union européenne sont les instruments majeurs pour créer la stabilité et susciter un changement construc-tif en Europe, processus qui n'en est qu'à sa première phase.

La guerre est de retour en Europe. Pendant la guerre froide, alors que la paix entre l'Est et l'Ouest était préservée, l'hémisphère Sud était encore déchiré par ce fléau, et l'Europe de l'Est ébranlée par des conflits répétés qui marquèrent des tentatives infructueuses pour secouer l'hégémonie soviétique. Aujourd'hui, la crise en cours dans les Balkans préoccupe énormément l'Alliance. L'OTAN a été créée avant tout pour défendre ses membres et amener un changement politique, et sur ces deux plans, elle a très bien réussi. Si elle éprouve des difficultés à développer son nouveau rôle, c'est parce qu'il s'agit ni plus ni moins de s'engager activement en dehors de la zone de l'Alliance. En attendant, nos opinions publiques démocratiques assistent à la tragédie des Balkans avec de plus en plus d'impatience et de frustration.

La capacité qu'a l'Alliance de faire face efficacement à la guerre en cours dans l'ex-Yougoslavie pourrait être déterminante pour son avenir. Si, en l'occurrence, l'OTAN, est incapable d'apaiser le conflit ou d'y mettre fin, quelle sera, à terme, sa finalité? Bien entendu, elle conservera sa fonction de rempart contre une agression, mais on ne voit pas bien quelles forces pourraient attaquer l'OTAN, tout au moins pas à l'heure actuelle, même s'il demeure toujours possible que des adversaires resurgissent. La plus importante tâche qui lui incombera dans les années à venir concerne donc son rôle dans des conflits du type de celui qui est actuellement en cours dans l'ex-Yougoslavie. Cette crise est par conséquent une épreuve pour l'Alliance et pour l'Allemagne, au moment où celle-ci entre dans une nouvelle phase de sa politique étrangère, libérée des contraintes antérieures, investie de responsabilités nouvelles et appelée à contribuer, aux côtés des autres Alliés, à une redéfinition du rôle de l'OTAN dans la difficile période qui s'annonce pour la politique mondiale.


(1) Voir article de M. de Rosé p. 9.