Revue de l'OTAN
Mise à jour: 08-Sep-2002 Revue de l'OTAN

Edition Web
Vol. 39- No. 1
Avril 1991
p. 12-16

La dissolution du Pacte de Varsovie

Professeur Otto Pick

Les ministres des Affaires étrangères et de la Défense de l'Organisation du Traité de Varsovie se sont réunis le 25 février 1991 à Budapest pour mettre un terme aux institutions créées dans le cadre de la guerre froide. Auparavant, l'Union soviétique avait anticipé la possibilité du retrait unilatéral de certains Etats membres, lorsqu'elle avait suggéré la cessation des activités militaires de l'Organisation à partir du 1er avril 1991. Cette proposition a été adoptée sans difficulté lors de la réunion de Budapest. Les ministres ont également décidé de mettre un terme aux activités politiques du Pacte plus tard dans 1 ' année, mais la di scussion sur la dissolution du Conseil d'assistance économique mutuelle (CAEM) a été reportée à une date ultérieure. Ces développements mettent fin aux tentatives permanentes de l'Union soviétique de consolider son hégémonie en Europe de l'Est par des structures multilatérales.

L'Organisation du Traité de Varsovie (OTV) a été créée en mai 1955, en réaction ostensible à l'adhésion de la République fédérale d'Allemagne à l'Alliance de l'Atlantique Nord. Ses membres fondateurs étaient l'URSS, la République démocratique allé-mande, la Pologne, la Hongrie, la Tchécoslovaquie, la Roumanie, la Bulgarie et l'Albanie. On a souvent dit que l'OTV constituait le pendant de l'OTAN, et donc un rouage important du mécanisme de stabilisation qui a contribué à préserver un certain équilibre en Europe. En fait, le Pacte de Varsovie et l'OTAN n'ont jamais été comparables. A la différence du traité instituant l'OTAN en 1949, le Traité de Varsovie a été superposé à une série d'accords bilatéraux entre ses Etats membres, restés en vi-gueurparallèlementauPacte. Ces accords sont aujourd'hui délaissés en grande partie, mais ils pourraient être remplacés, en temps voulu, par des accords de sécurité d'un type tout à fait différent.

Bien que l'OTAN se soit avérée un instrument essentiel de la consolidation de la participation américaine à la défense de l'Europe occidentale, elle a réalisé bien plus que cela. Jouissant d'un appui considérable parmi les populations des Etats membres, l'OTAN a su s'adapter de façon remarquable et a toujours pris grand soin d'éviter toute ingérence dans les affaires intérieures de ses membres. L'OTV, en revanche, était perçue comme un instrument du pouvoir soviétique, servant principalement les intérêts de sécurité de l'URSS. C'était la puissance militaire soviétique qui maintenait le Pacte en vie. Si l'Union soviétique a écrasé le soulèvement hongrois en 1956 et provoqué la chute du gouvernement légitime de ce pays, c'est bien parce que le Traité de Varsovie l'y autorisait, "pourprotégerlaHongriede la subversion" - comme l'avait déclaré à l'époque le représentant soviétique au Conseil de sécurité des Nations unies. L'invasion de la Tchécoslovaquie en 1968 a constitué, en réalité, un acte de guerre auquel ont pris part tous les Etats membres du Pacte, à l'exception de la Roumanie. Par la suite, la "doctrine Brejnev" a été invoquée pour tenter de légitimer une agression nullement "provoquée", en affirmant que "la souveraineté des pays socialistes ne peut servir de contrepoids aux intérêts du socialisme mondial", (l) Bien qu'elle se déclarât une alliance défensive, l'OTV était pratiquement unique en son genre puis-qu'elle a, à deux reprises au moins, déclaré la guerre à l'un de ses membres. C'est pourquoi l'analogie avec l'OTAN n'a jamais été pertinente.

Un nouveau courant de pensée

Le Pacte de Varsovie a disparu dès l'instant où il s'est avéré que le pouvoir soviétique ne pouvait plus constituer l'ultime ligne de défense intérieure des régimes communistes moribonds d'Europe centrale et orientale. La décision de Moscou d'abandonner son emprise sur la région a été provoquée, principalement, par les difficultés économiques internes de l' Union soviétique, difficultés elles-mêmes suscitées dans une certaine mesure par l'incapacité d'une économie totalement inefficace à continuer de supporter le poids de dépenses militaires excessives. Par ailleurs, les dirigeants soviétiques en étaient apparemment arrivés depuis quelque temps à la conclusion que l'Europe de l'Est devait être inscrite au passif du bilan plutôt qu'à l'actif. Le nouveau courant de pensée qui a pris forme en politique étrangère, sous l'impulsion de MM. Gorbatchev et Chevardnadze, consistait essentiellement à étudier la rentabilité des engagements et participations soviétiques dans le monde. Du point de vue soviétique, l'Europe de l'Est n'avait pas grand-chose à offrir. Engloutissant les ressources soviétiques, elle apparaissait surtout comme un consommateur de l'énergie que l'URSS pouvait vendre ailleurs avec plus de profit. Les liens idéologiques à l'origine de la doctrine Brejnev ont perdu leur signification, dès 1 ' instant où l'on s'est rendu compte que seule la puissance militaire soviétique permettait de les maintenir - un exercice qui ne présentait aucun avantage dans le meilleur des cas, alors que Moscou était décidée à améliorer ses relations avec l'Ouest. En ce qui concerne la sécurité militaire, il semble que la perception soviétique des menaces se soit transformée sous l'effet de la nouvelle orientation observée dans les relations Est-Ouest, rendant obsolète le "bloc défensif ' constitué par le Pacte de Varsovie; cette opinion n'était cependant pas nécessairement partagée par les chefs militaires soviétiques.

Entre-temps, la perte de l'Europe de l'Est est devenue un aspect important du débat dans la lutte interne pour le pouvoir en URSS. Les nationalistes russes, les partisans du communisme et de nombreux militaires semblent partager la même rancœur face à la perte de prestige due à la fois à la dissolution de l'OTV et au retrait de leurs troupes des pays d'Europe centrale et orientale. Les dirigeants politiques doivent faire face à des pressions considérables les contraignant à rendre une partie des gains obtenus à grand frais pendant la Seconde guerre mondiale, sans espoir d'obtenir quelque chose en retour. Plus récemment, le problème de la sécurité a été soulevé une nouvelle fois, peut-être à la lumière de la supériorité technologique démontrée par les Américains dans le Golfe. Rapportant les vues du Comité central du parti communiste soviétique, la Pravda (2) sou-lignait que la frontière occidentale du pays devait rester sûre, d'autant que personne en Europe de 1 'Est n'était prêt à accorder le moindre crédit à l'URSS pour "l'investissement matériel et spirituel considérable" consenti par elle dans cette région! L'article poursuivait en déplorant "l'influence nettement négative" des événements en Europe de l'Est sur la société soviétique.

L'Union soviétique a indéniablement subi une perte. Outre le cadre qu'il constituait pour les traités bilatéraux portant sur le stationnement de forces soviétiques dans la région, le Pacte de Varsovie a rempli plusieurs fonctions utiles. Il a permis au ministère de la Défense et à l'état-major soviétiques de forger des liens directs avec les commandements militaires des autres Etats membres, évitant les voies de communication, plus pesantes, des gouvernements et du Parti.

Au cours de ses premières années d'existence, le Pacte a mené des activités essentiellement symboliques, et le rôle du commandement conjoint semblait se limiter à celui d'une agence de coordination des procédures d'entraînement. Les premières manœuvres militaires communes datent d'octobre 1961. Par la suite, ce type de manœuvre a été organisé à intervalles réguliers, sous un commandement conjoint dominé par les Soviétiques dont le rôle s'est fait de plus en plus autoritaire. La fiabilité des éléments non soviétiques du régime de l'OTV a toujours été mise en doute, mais il est clair que la disparition de cette organisation a balayé dans son sillage l'idée d'une menace d'agression en provenance de l'Est.

La prépondérance de l'Union soviétique se reflétait également dans la politique des pays du Pacte de Varsovie en matière d'achats d'armements. Presque tous les équipements militaires des pays membres de l'OTV étaient de conception soviétique, soit importés d'URSS, soit fabriqués sous licence. Cela étant, la normalisation des armements ne posait pratiquement aucun problème. Aujourd'hui pourtant, des difficultés pratiques pourraient surgir suite à la disparition de l'OTV et du rouble transférable.

Outre ces aspects essentiellement militaires, le Pacte de Varsovie présentait une certaine valeur politique, puisque son Comité consultatif politique avait pour mission de coordonner et de formuler les positions des Etats membres sur des questions de politique étrangère et de sécurité. En dépit du désir soviétique de renforcer le rôle du Pacte en tant que facteur d'intégration, l'unanimité totale ne fut jamais atteinte. La Roumanie notamment se dressa contre la plupart des tentatives visant à renforcer l'OTV et le Conseil d'assistance économique mutuelle. Après 1968, elle cessa de participer aux activités militaires de l'OTV. L'invasion de la Tchécoslovaquie en 1968 avait, en quelque sorte, servi à tester la fidélité des membres du Pacte de Varsovie: la Roumanie refusa de prendre part à l'invasion tandis que l'Albanie se retirait officiellement de l'Organisation - après avoir cessé de participer à ses activités depuis plusieurs années déjà.

L'URSS avait, quant à elle, d'autres problèmes. Au sommet de l'OTV à Budapest, en 1969 par exemple - sommet organisé quelques mois après une démonstration particulièrement convaincante de la puissance militaire de l'URSS - les Soviétiques omirent d'aborder les accrochages survenus peu de temps auparavant à la frontière sino-sovié-tique. Au cours du même sommet, la structure de l'OTV fut remaniée pour y inclure un nouveau Conseil militaire et un nouveau Comité des ministres de la Défense - ces deux instances renforçant, officiellement du moins, la position des alliés d'Europe de l'Est, puisque leurs ministres de la Défense ne devaient plus désormais jouer le rôle de représentants subordonnés au commandant en chef soviétique.

A la recherche d'autres solutions


Aucune réforme ne parvint cependant à masquer la principale lacune du Pacte - à savoir, son extrême dépendance vis-vis de la détermination soviétique à recourir à la force pour maintenir l'Organisation en vie et l'absence quasi-totale de légitimité du Pacte aux yeux des peuples qu'il était censé protéger. Au départ pourtant, les nouveaux régimes apparus en Europe de l'Est ne savaient pas très bien quand, ni comment, agir pour démanteler l'OTV. Pendant un certain temps, il a été suggéré de la transformer en une organisation politique, laquelle pourrait jouer le rôle de partenaire dans des négociations avec l'OTAN sur la maîtrise des armements. Mais alors que le rythme même des événements en Europe de l'Est et l'interprétation exagérément souple donnée par l'Union soviétique au Traité sur les Forces conventionnelles en Europe (FCE) diminuaient la pertinence de négociations à court terme sur la maîtrise des armements, d'autres possibilités furent étudiées. Cependant, les groupes d'experts qui débattirent de la question à Prague et ailleurs n'étant pas parvenus à formuler de propositions valables, le Pacte de Varsovie connut une agonie relativement courte et ses obsèques se déroulèrent sans encombres.

Avec la disparition du Pacte de Varsovie, l'Euro-pe centrale et orientale se trouve confrontée à une lacune importante en matière de sécurité, car aucune garantie ne couvre le nouveau régime. Trois causes potentielles d'insécurité peuvent être identifiées: l'unification allemande a fait resurgir la question allemande, quoique la solution proposée par TOT AN en ce qui concerne l'Allemagne ait largement calmé les inquiétudes sur les options allemandes; la disparition des restrictions imposées par des gouvernements totalitaires et par l'hégémonie soviétique a entraîné la réapparition de tendances nationalistes et de rivalités ethniques, aggravées par les conséquences politiques et sociales d'économies en difficulté; l'Union soviétique est en train de se désintégrer - ce phénomène est sans doute le plus aigu - et ces remous pourraient déclencher une réaction en chaîne de troubles et de désordres accompagnés d'agressions potentielles dans toute la région. Aucune de ces conditions pourtant ne devrait dégénérer en conflits ou en actes de violence armée à grande échelle. L'unification de l'Allemagne est un fait acquis et un retour de l'Armée rouge en Europe de l'Est est tout à fait improbable, ne serait-ce qu'en raison des préoccupations actuelles des Soviétiques au sujet de leurs propres difficultés internes.

Mais la sécurité est un état d'esprit, et nombreux sont ceux qui, en Europe centrale et orientale, ne se sentent pas en sécurité pour toutes sortes de raisons. L'une d'elles est l'incertitude que leur réserve l'avenir. Les accords traditionnels de sécurité nationale ne peuvent pas grand-chose pour lever cette incertitude. Une solution au problème de la sécurité militaire revêtirait néanmoins une importance cruciale dans le cadre de l'équilibre tant régional qu'européen. Un système de sécurité paneuropéenne, dérivé de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE), présenterait certaines des lacunes à l'origine du concept de sécurité collective forgé avant la guerre sur la base de la Ligue des Nations. Il serait, en l'occurrence, à la fois trop futile et trop difficile de définir conjointement la notion d'agression, puisque l'agresseur potentiel pourrait être l'un des membres de l'organisation elle-même.

La coopération régionale pourrait être la réponse à ce problème. Bien que la situation demeure incertaine dans le sud-est de l'Europe, en raison notamment de 1' instabilité profonde qui règne en Roumanie et en Bulgarie et de la crise qui n'en finit pas de déchirer la Yougoslavie, d'importantes mesures ont été prises dans le sens d'une coopération régionale en Europe centrale. Début 1991, des accords de coopération en matière de défense ont été conclus entre la Tchécoslovaquie et la Hongrie, ainsi qu'entre la Tchécoslovaquie et la Pologne. En février, les présidents et Premiers ministres de Pologne, de Tchécoslovaquie et de Hongrie se sont rencontrés à Visegrad, près de Budapest, là où les rois de Bohême, de Pologne et de Hongrie s'étaient réunis en 1335 pour débattre de la coopération entre leurs royaumes. L'objet principal de la réunion de février était - pour reprendre les termes du président Vâclav Havel - de "s ' aider mutuellement à rendre le chemin plus court" qui doit mener à une association plus directe avec l'Europe de l'Ouest. En matière toutefois de coopération sur les questions de défense, la Déclaration publiée au terme du sommet de Visegrad se contente de noter que les pays signataires ont entrepris de "se consulter sur des questions relatives à leur sécurité".

Une organisation.régionale de sécurité collective, réunissant ces pays dans le cadre d'un régime de défense soigneusement planifié et structuré, pourrait s'avérer un facteur de stabilité en Europe, mais il faudra veiller à rassurer l'Union soviétique en maintenant un tel régime dans les limites de la CSCE et en négociant des garanties et traités appropriés de non-agression. Des liens économiques étroits entre les pays concernés contribueraient de toute évidence à intégrer leurs intérêts mutuels mais, à Visegrad, les participants au sommet n ' ont pas pris en considération une proposition hongroise visant à établir une zone de libre-échange.

L'OTAN et l'Europe de l'Est

Jiri Dienstbier, ministre des Affaires étrangères de Tchécoslovaquie, a indiqué au sommet de Visegrad que son pays tenterait de rapprocher davantage ses intérêts en matière de sécurité des systèmes d'Europe de l'Ouest, et les représentants de Hongrie et de Tchécoslovaquie ont tous deux évoqué le développement d'une forme d'association avec l'OTAN. Plusieurs signes identiques ont été notés en Pologne: début février, Piotr Kolodzieczyk, le ministre polonais de la Défense, déclarait que la politique de défense de son pays était basée sur une "neutralité armée". Dans une déclaration faite à Varsovie le 19 février dernier, le ministre des Affaires étrangères annonçait de manière catégorique que la Pologne n'avait pas l'intention de se joindre à l'OTAN, alors que le Président de la Commission des Affaires étrangères du sénat polonais déclarait une semaine plus tard, lors d'une conférence de presse à Bonn, que son pays n'adopterait certainement pas une position de neutralité en matière de défense et chercherait à étoffer ses relations avec l'OTAN et l'Assemblée de l'Atlantique Nord.

Ni au siège de l'OTAN à Bruxelles, ni ailleurs dans le monde occidental, il ne semble y avoir d'intention d'étendre le Traité de l'Atlantique Nord à d'autres pays d'Europe. Une telle orientation serait contraire aux intérêts des alliés de l'OTAN comme à ceux des pays d'Europe centrale et orientale, car Moscou ne manquerait pas de considérer comme une provocation intolérable toute tentative de repousser la frontière de l'OTAN jusqu'à la Bug - ce qui aurait pour effet de renforcer la position du camp des réactionnaires en Union soviétique. L'OTAN est pourtant le seul système de sécurité à avoir survécu aux bouleversements de ces deux dernières années et demeure, actuellement, le seul gardien de la stabilité en Europe. Pour les pays récemment libérés d'Europe centrale, l'organisation et les politiques futures de l'OTAN présentent donc un intérêt vital. Ces pays devraient pouvoir bénéficier des occasions de nouer et de développer des relations diplomatiques qui leur permettraient d ' apporter leur propre contribution au mode de pensée de l'Alliance.


(1) Pravda,25 septembre 1968
(2) 13 mars 1991