Créée à l’initiative de l’ONU, la Journée internationale des personnes handicapées est célébrée tous les ans le 3 décembre. Cette année marque en outre le 75e anniversaire de l'adoption des conventions de Genève de 1949.
Piliers du droit international humanitaire, ces conventions ont vu le jour au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et de l’Holocauste, épisodes de l’Histoire au cours desquels des centaines de milliers de personnes handicapées ont été exterminées aux côtés de juifs et d’autres minorités. Le tribunal de Nuremberg ayant estimé que le massacre de personnes handicapées pendant la Seconde Guerre mondiale constituait un crime contre l’humanité, il a expressément reconnu la réalité de la persécution fondée sur le handicap. Sous le règne de la terreur nazie, les personnes en situation de handicap étaient particulièrement en danger, notamment parce qu’elles étaient exclues de la société et ainsi isolées des leurs. Souvent enfermées dans des établissements lugubres, ces personnes, considérées comme dispensables par le régime hitlérien, étaient ainsi faciles à localiser et à persécuter. L'isolement dans lequel sont maintenues les personnes handicapées les rend d'autant plus vulnérables en période de conflit, comme l'ont observé des organisations telles que Disability Rights International. Les récents conflits au Soudan du Sud, en Syrie et en Ukraine montrent qu’un tel isolement, conjugué à la stigmatisation liée au handicap, renforce les inégalités dont sont victimes les personnes handicapées prises dans un conflit armé.
La guerre d’agression menée par la Russie contre l’Ukraine témoigne de la précarité des personnes handicapées en période de conflit. Divers rapports crédibles révèlent que, dans ce contexte, des personnes handicapées sont abandonnées à leur sort dans des établissements pris pour cibles, que les abris d’évacuation leur sont souvent inaccessibles et qu'elles peuvent avoir des difficultés à obtenir une aide humanitaire. Par ailleurs, ils mettent également en évidence la nécessité de favoriser la réintégration des rescapés d’un conflit armé, qu’il s’agisse de soldats blessés au combat ou de civils affectés par les événements. En effet, il est établi que la reconstruction post-conflit a plus de chances de réussite si, par principe, la méfiance laisse place à l’inclusion. Les personnes handicapées jouent un rôle important dans l’instauration d’un tel changement, le handicap étant bien souvent le trait d’union entre des individus que le conflit oppose, mais qui ont en commun l’expérience du handicap.
L’OTAN n'a pas, à ce jour, de politique de protection des personnes handicapées en période de conflit. Néanmoins, soutenir le programme de l’ONU pour le handicap, la paix et la sécurité est un élément important qui s’inscrit dans le prolongement, d’une part, des efforts qu’elle déploie pour renforcer son approche de la sécurité humaine dans le cadre de la protection des civils en période de conflit armé et, d’autre part, des initiatives que les Alliés mènent pour promouvoir, en temps de paix et en période de conflit, les droits fondamentaux des personnes handicapées. Au vu de ces éléments, l’OTAN devrait notamment prendre les mesures suivantes : 1) reconnaître expressément que les personnes handicapées sont touchées de manière disproportionnée en cas de conflit armé et qu’elles jouent un rôle important en faveur de la paix et de la sécurité ; 2) s’engager à intégrer dans ses politiques les dispositions fondamentales de la résolution 2475 du Conseil de sécurité de l’ONU sur la protection des personnes handicapées dans les conflits armés ; 3) élaborer, pour le compte des chefs d’État et de gouvernement de ses pays membres, une politique pour le handicap, la paix et la sécurité qui guidera son action ; et 4) interagir – par l’intermédiaire de sa Commission consultative de la société civile sur les femmes, la paix et la sécurité – avec des organisations au service des personnes handicapées.
La protection des personnes handicapées – Un enjeu pour le XXIe siècle
Aujourd’hui, la protection des personnes handicapées en période de conflit armé fait à l’évidence partie des préoccupations de la communauté internationale, mais il n’en a pas toujours été ainsi. Pendant des décennies, sinon des siècles, les personnes handicapées ont été considérées comme des « objets », voire comme des objets de protection, et ce notamment au mépris de leur agentivité humaine, de leur autonomie et de leur droit de participer aux décisions affectant leur vie et, plus largement, la vie en société.
En adoptant, en 2006, la Convention relative aux droits des personnes handicapées (CDPH), l’ONU a commencé à codifier la transition vers un modèle social du handicap fondé sur les droits de la personne, dans le cadre duquel les personnes handicapées sont reconnues comme des détenteurs de droits et comme des agents du changement.
Au sujet des conflits armés et autres « situations de risque », l’article 11 de la CDPH dispose que : « Les États Parties prennent, conformément aux obligations qui leur incombent en vertu du droit international, notamment le droit international humanitaire et le droit international des droits de l'homme, toutes mesures nécessaires pour assurer la protection et la sûreté des personnes handicapées dans les situations de risque, y compris les conflits armés, les crises humanitaires et les catastrophes naturelles. »
En 2007, un an après l’adoption de la CDPH, le secrétaire général de l’ONU a indiqué dans un rapport que, malgré les obligations juridiques découlant de l’article 11, les conflits armés avaient un impact disproportionné sur les personnes handicapées et que les risques spécifiques auxquels elles sont confrontées en période de conflit n’étaient pas suffisamment pris en compte. Des faits observés plus récemment en République centrafricaine, au Yémen et à Gaza viennent corroborer ces constatations. Par exemple, en 2018, l’UNICEF a signalé qu’en période de conflit armé, les enfants handicapés étaient plus susceptibles d’être séparés des personnes s’occupant d’eux, notamment en cas d’attaques ou de déplacements, et qu'ils avaient donc plus de risque d’être enlevés ou recrutés dans des groupes armés.
L’ONU a conscience de la situation et s’emploie à promouvoir l’application concrète de l’article 11. En 2019, dans son rapport annuel sur la protection des civils en période de conflit armé, le secrétaire général de l’ONU plaidait pour que les personnes handicapées touchées par un conflit bénéficient de davantage de protection et d'assistance. Peu après, en juin de la même année, le Conseil de sécurité de l’ONU a adopté la résolution 2475, qui énonce spécifiquement les obligations à respecter et les mesures de protection à prendre à l’égard des personnes handicapées en période de conflit armé, et définit un vaste programme de protection. Cette résolution, qui encadre la création d’un programme pour le handicap, la paix et la sécurité, sert à appeler l’attention sur l’impact disproportionné des conflits armés sur les personnes handicapées, à mettre en lumière les mesures à prendre en priorité, comme assurer impérativement un accès sûr, rapide et sans entrave à l’aide humanitaire pour toute personne en ayant besoin dans les zones de conflit, à garantir aux personnes handicapées l’égalité d’accès aux services de base et à prévenir la violence et les abus à leur encontre en période de conflit armé. Dans ce document, il est par ailleurs demandé que les actes criminels commis directement ou indirectement contre des personnes handicapées ne restent pas sans suite, et que ces dernières participent à la recherche de solutions pacifiques aux problèmes de sécurité.
Certains aspects de ces problématiques ont été traités de manière approfondie dans trois rapports successifs, dans lesquels l’ancien rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits des personnes handicapées, le professeur Gerard Quinn, a présenté les mesures de protection applicables en permanence, aussi bien en temps de paix qu’en période de conflit. Comme l'a souligné le rapporteur spécial, il existe de nombreux exemples largement méconnus de situations où des personnes handicapées ont contribué concrètement à la consolidation de la paix, par exemple en Irlande du Nord, en Ouganda et en Afrique du Sud. Cela montre que, dans certains processus de consolidation de la paix, ces personnes ont été de véritables agents du changement, et qu’elles ont ainsi facilité un rapprochement entre des individus appartenant aux différentes parties au conflit. Il est donc logique d’offrir aux personnes handicapées une plus grande marge de manœuvre pour qu'elles puissent jouer un rôle actif.
D’autres organisations commencent à promouvoir les objectifs de la résolution 2475 du Conseil de sécurité de l’ONU, notamment Human Rights Watch, qui multiplie les rapports sur les personnes handicapées dans les zones de conflit. En outre, l’International Council on Disabilities (États-Unis) et le Center for International and Comparative Law de l’Université de Baltimore mènent des travaux qui mettent en évidence comment les enseignements tirés de l’initiative pour « la dimension de genre, les femmes, la paix et la sécurité », du programme pour « les jeunes, la paix et la sécurité » et du programme pour « les enfants touchés par les conflits armés » peuvent éclairer l’élaboration de stratégies visant à mieux intégrer un programme de protection des personnes handicapées dans les activités au service de la paix et de la sécurité.
Certains instituts universitaires commencent à mener des travaux établissant un lien évident entre la CDPH et les régimes du droit international susceptibles d’être exploités pour renforcer la protection des personnes handicapées dans les situations à risque. C’est notamment le cas de la faculté de droit de Harvard, qui, dans le cadre d’un projet intitulé Harvard Law School Project on Disability, a publié des travaux sur la nécessité d’améliorer la protection des personnes handicapées lorsqu'éclatent des hostilités – par exemple en facilitant l’accès aux systèmes d’alerte, aux abris et aux moyens d’évacuation – , et de faire en sorte que les individus leur ayant causé du tort répondent de leurs actes.
La CDPH comporte de nombreux éléments qui peuvent et doivent être exploités en vue d’une meilleure protection des personnes handicapées, aussi bien en temps de paix qu’en période de conflit. Dans les faits, le processus a déjà commencé. Par exemple, la Banque mondiale a soulevé ces questions en 2022 dans la version révisée de son Cadre de responsabilité et d’inclusion du handicap, et le Comité international de la Croix-Rouge intègre la question du handicap dans l'ensemble de ses travaux, en tenant compte des liens qui existent entre la CDPH et le régime de protection prévu par le droit international humanitaire.
Ce que peut faire l’OTAN à l'appui du programme pour le handicap, la paix et la sécurité
Même si la déclaration du sommet de Washington ne fait pas mention d’un programme pour la paix et la sécurité traitant spécifiquement des questions liées au handicap, son paragraphe 1 réaffirme l’attachement de l’OTAN à la liberté individuelle, aux droits de la personne, à la démocratie et à l’état de droit. Il est impératif que les pays membres et les partenaires de l’OTAN échangent des informations et favorisent la tenue de débats sur l’intégration des questions liées au handicap dans diverses opérations et activités militaires spécifiques, l’objectif étant de faire en sorte que le programme pour le handicap, la paix et la sécurité cadre avec d’autres programmes de protection, notamment avec celui pour les femmes, la paix et la sécurité (FPS). Il est également nécessaire que les réflexions sur l'inclusion des personnes handicapées soient prises en compte dans un dialogue mené au niveau des commandements alliés de l’OTAN. Un tel dialogue pourrait éclairer les travaux de l’Organisation dans de nombreux domaines d’importance critique, qu’il s’agisse des opérations multimilieux en environnement urbain, des enseignements identifiés dans le contexte de la guerre en Ukraine ou du programme-cadre pour le développement des capacités de combat. En s’employant à intégrer dans ces domaines les questions liées au handicap, l’OTAN adoptera une approche plus large et plus efficace des défis de sécurité mondiaux.
Dans le prolongement de ses politiques en vigueur concernant les volets FPS et sécurité humaine, et conformément à son engagement en faveur de la sécurité inclusive et des valeurs démocratiques, l’OTAN a l’opportunité, un peu plus de 75 ans après sa création, de traiter la question de la protection des personnes handicapées et de faire en sorte que celles-ci participent à son action. Ces questions peuvent parfaitement faire l’objet d’un consensus. En effet, presque tous les pays membres de l’OTAN sont déjà parties à la CDPH, disposent de cadres juridiques et d’orientations générales solides en matière de handicap et adhèrent au principe d’inclusion des personnes handicapées dans les processus décisionnels démocratiques.
En vue de la mise en œuvre d’un programme OTAN pour le handicap, la paix et la sécurité, il est recommandé que l’Organisation prenne plusieurs mesures, notamment les suivantes :
s’engager à intégrer les dispositions fondamentales de la résolution 2475 du Conseil de sécurité de l’ONU dans ses politiques, en mettant l’accent sur la protection des personnes handicapées en période de conflit armé, ainsi qu’en reconnaissant expressément que ces personnes sont touchées de manière disproportionnée en cas de conflit armé, qu’elles jouent un rôle important en faveur de la paix et de la sécurité, et qu’il est impératif d’intégrer les questions liées au handicap dans les travaux de l’Alliance ;
promouvoir l’égalité de traitement des personnes handicapées, conformément à ses valeurs et dans la logique du concept stratégique de 2022 – ce document, qui guide l’action de l’Alliance, souligne l’importance de plusieurs thèmes transversaux, dont la thématique FPS, qu'elle doit prendre en considération dans ses tâches fondamentales ;
désigner une personne de référence pour les travaux à mener dans ce domaine et la doter des ressources nécessaires, notamment sur les plans humain et financier, pour engager des échanges avec les principales parties prenantes portant la voix des personnes handicapées ;
élaborer – pour le compte des chefs d’État et de gouvernement et dans le cadre de son programme « sécurité humaine » – une politique pour le handicap, la paix et la sécurité, laquelle régira l’établissement d’un programme en la matière, étant entendu que ce processus devra inclure des responsables à même de tenir compte des points de vue des personnes handicapées et des organisations qui les représentent ;
interagir – par l’intermédiaire de sa Commission consultative de la société civile sur les femmes, la paix et la sécurité – avec des organisations représentant les personnes handicapées, l’objectif étant de définir un cap et des modalités pratiques en partant du principe que l’égalité de traitement des personnes handicapées est une dimension importante de sa coopération avec d’autres organisations internationales, notamment l’ONU et l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE).
Les personnes handicapées sont désormais reconnues, bien que tardivement, comme vulnérables pendant et après un conflit armé. La résolution 2475 du Conseil de sécurité de l’ONU constitue le cadre permettant à l’OTAN de prendre en compte la protection des personnes handicapées quasiment de la même manière qu’elle prend en considération la protection des femmes et des enfants en situation de risque. Le fait, pour l’OTAN, de reconnaître expressément l’impact des conflits armés sur les personnes handicapées et de s’engager à intégrer les dispositions fondamentales de la résolution 2475 du Conseil de sécurité de l’ONU dans ses politiques s’inscrit naturellement dans le prolongement, d’une part, des efforts qu’elle déploie pour renforcer son approche de la sécurité humaine et, d’autre part, des initiatives que les Alliés mènent pour promouvoir, en temps de paix et en période de conflit, les droits fondamentaux des personnes handicapées.