Dans un article publié précédemment dans la Revue de l'OTAN, j'ai expliqué qu’à notre époque, la nature de la guerre évoluait rapidement. Et de fait, aujourd'hui, les conflits et les guerres ne se résument plus à des opérations cinétiques : aux combats physiques s’est ajouté le recours à des stratégies et tactiques non militaires.
Les opérations cinétiques, dont la complexité intrinsèque s'est accrue, sont désormais fréquemment conjuguées à des stratégies non militaires visant à mettre à mal la sécurité d'un adversaire. Les instruments et les stratégies militaires et non militaires ne sont pas combinés au hasard, mais de façon coordonnée afin de créer des synergies. C'est cette coordination qui optimise les résultats.
Le fait est qu'un pays donné peut choisir de recourir à la force physique contre un adversaire pour atteindre certains objectifs. Mais s’il décidait d’appliquer des méthodes subversives telles que les cyberattaques et la désinformation conjointement et/ou préalablement à l’emploi ou à la menace de l’emploi d’une force conventionnelle ou non conventionnelle, il pourrait causer un préjudice encore plus grand à l'adversaire.
Bien qu'une guerre hybride menée par un État implique l'intégration systématique d'outils militaires, politiques, économiques, civils et informationnels, elle se déroule souvent dans des zones grises, en deçà du seuil d'une guerre conventionnelle. Dans ces zones grises, l'instrument militaire est utilisé de manière non conventionnelle et innovante pour que l’État visé ne puisse pas attribuer la responsabilité de l’attaque, ni même déceler une telle attaque. Un État hostile peut dès lors recourir à des acteurs non étatiques ou à une force militaire non attribuable (comme les « petits hommes verts ») dans une guerre clandestine et être ainsi en mesure de réfuter son implication, tout en atteignant des objectifs stratégiques.

Un acteur de guerre hybride peut recourir à des acteurs non étatiques ou à une force militaire non attribuable – comme les « petits hommes verts », qui ont été associés au sabotage du gazoduc Nord Stream 2 en 2022 – dans une guerre clandestine et être ainsi en mesure de réfuter son implication, tout en atteignant des objectifs stratégiques. Photo montrant une fuite dans le gazoduc Nord Stream 2, septembre 2022. © Garde côtière suédoise
Dans le présent article, nous continuerons à nous intéresser à la guerre hybride en nous posant une question devenue cruciale à la lumière des récents conflits internationaux : comment se caractérise la guerre hybride que mène la Russie contre l'Occident ? Nous essayerons de cerner les facettes et les implications de cette guerre, mais aussi de comprendre la logique qui sous-tend la stratégie russe visant à compromettre la sécurité des puissances occidentales.
La guerre hybride russe : mythe ou réalité ?
L'une des caractéristiques principales des moyens auxquels les États ont habituellement recours pour mener une guerre hybride – acteurs non étatiques, assassinats politiques, espionnage, cyberattaques, ingérence électorale et désinformation, entre autres, est qu'ils leur apportent sur un plateau la possibilité d’opposer un démenti plausible et qu'ils laissent souvent peu de preuves établissant leur culpabilité. Les actions ne sont pas toutes désavouées – parfois, une posture agressive implique d'assumer la responsabilité de ses actes –, mais nier sa culpabilité est souvent avantageux sur le plan stratégique. Ainsi, la Russie a désavoué (pour un temps) les « petits hommes verts » qui ont envahi certaines parties de la Crimée, en 2014, sachant que cela servirait ses intérêts sur les plans politique et stratégique.
Les instruments ou outils employés conjointement pour mener une guerre hybride sont souvent difficiles à détecter et à attribuer, et il est généralement tout aussi difficile de confirmer leur utilisation. Prouver qu'un acteur non étatique bénéficie du soutien d'un État ou établir un lien entre des cyberattaques et un État est une tâche ardue. Néanmoins, ces dernières années, un certain nombre d'attaques hybrides ont été attribuées au Kremlin. On pense notamment aux preuves publiques confirmant l'ingérence russe dans l’élection présidentielle américaine de 2016, et au fait que le président Poutine a admis que le groupe Wagner était financé par la Russie.
La guerre hybride semble désormais faire partie intégrante de la politique de Moscou à l’égard de l'Occident. Vu que les acteurs non étatiques gagnent en importance et en efficacité et suite à l'avènement de nouvelles technologies telles que les armes autonomes, il est aujourd’hui possible de mener une guerre hybride en restant en deçà du seuil à partir duquel on considère habituellement qu’un acte de guerre a été commis. Parfois, les États n'ont même pas besoin de mettre en place ou de soutenir des acteurs non étatiques, car des relations transactionnelles avec des groupes existants suffisent. Par exemple, selon des comptes rendus de renseignement, l'armée russe a versé secrètement des primes à des militants liés aux talibans pour qu'ils ciblent les forces de la coalition en Afghanistan. Par ailleurs, les nouvelles technologies permettent aux États de recourir à la force à distance et de nier toute implication. Les frappes de drones et les attaques contre des infrastructures critiques en sont de bons exemples.

Un tir de roquette russe touche une centrale électrique d’importance critique à Kharkiv (Ukraine), provoquant des pannes de courant dans toute la région, 11 septembre 2022. © Reuters / Cover Images
Si la guerre hybride russe bat son plein depuis quelques années, elle n'est pas survenue du jour au lendemain. Divers hauts responsables russes ont commencé à réclamer l’établissement d’une doctrine de sécurité globale il y a une dizaine d'années. Le chef de l’état-major général des forces armées russes, le général Valeri Guerassimov, a fait observer en 2013 que la politique de sécurité du pays devait être adaptée face à l’évolution de la nature des conflits. Dans un article qui a été examiné en détail dans les milieux politiques occidentaux, il a souligné le rôle croissant joué par les moyens non militaires dans la réalisation des objectifs politiques et stratégiques.
Le général Guerassimov faisait référence non seulement à l’utilisation d’outils automatisés, robotiques et fondés sur l'intelligence artificielle dans les conflits armés, mais aussi au recours à des actions asymétriques et à des sphères informationnelles pour compenser l'avantage dont bénéficie l'ennemi. Ces actions asymétriques vont de la guérilla aux attentats terroristes, et de la mise sur pied et de l'intensification de campagnes de mésinformation et de désinformation à la propagande directe de l'État couplée à une diplomatie proactive. Un État peut décider de combiner ces outils pour réduire l’avantage dont bénéficie un adversaire disposant de capacités plus performantes. L'ancien directeur de l'Académie russe des sciences militaires, feu le général Makhmout Gareïev, avait affirmé que l'un des enseignements que la Russie pouvait tirer de l'invasion de la Crimée, en 2014, était qu’il fallait améliorer encore la façon dont la force douce, la politique et l'information sont utilisées pour atteindre les objectifs stratégiques.
Les deux responsables russes soulignaient essentiellement la nécessité d'élaborer une stratégie susceptible de réduire l'asymétrie de puissance entre les États occidentaux et la Russie. Ils avaient compris que la Russie n'avait pas, loin s'en faut, les capacités militaires ni les ressources économiques nécessaires pour faire jeu égal avec les pays occidentaux, mais que l'intégration poussée de moyens non militaires dans des opérations cinétiques pourrait réduire, voire annuler, ce différentiel de puissance.
Les doctrines militaires russes de 2010 et de 2014 faisaient elles aussi référence à l'utilisation conjointe de ressources et de moyens militaires et non militaires. Elles ne mentionnaient pas explicitement la guerre hybride comme modèle, mais une analyse critique de la politique de sécurité de la Russie révèle non seulement que les moyens non militaires ont été largement utilisés ces dernières années, mais aussi qu'ils sont venus compléter la force dure. Plusieurs exemples illustrent cette tendance, parmi lesquels les actions visant à amplifier la désinformation, le parrainage d'acteurs non étatiques dans le voisinage européen de la Russie et au-delà, le lancement de cyberattaques, l'ingérence dans les processus électoraux de pays occidentaux et la militarisation de l'énergie.
Le recours à de tels outils réduit l'asymétrie de puissance entre deux États de plusieurs façons. Le processus décisionnel du pays visé peut être perturbé parce que l’acte hostile a été commis par une force non attribuable, ou parce que l'agresseur a opposé un démenti plausible. La désinformation peut accentuer la polarisation aux niveaux de l'État et de la société. Certains acteurs et discours qui défendent les objectifs de l'agresseur bénéficient d'un soutien et gagnent en importance. L'insuffisance des moyens militaires nécessaires pour contrebalancer la supériorité dont jouit le pays visé sur le plan de la force dure est partiellement compensée par d'autres types de leviers tels que l'énergie (et même l'approvisionnement alimentaire). Il ne s'agit là que de quelques exemples.
Le mode opératoire de la Russie
Comme nous l'avons déjà dit plus haut, l'implication militaire peut également être indirecte, les acteurs non étatiques armés jouant un rôle crucial dans les conflits modernes. Par exemple, pour torpiller la candidature de la République de Moldova à l'adhésion à l'Union européenne (UE), Moscou associe une présence militaire dans l'est du pays à des stratégies hybrides non militaires. Parmi ces stratégies non militaires figurent le parrainage de groupes anti-UE, l’utilisation des approvisionnements énergétiques comme levier, au détriment de la population moldove, et les actions visant à amplifier la désinformation qui sont menées par l'intermédiaire de groupes locaux et des réseaux sociaux. Il va sans dire que la République de Moldova est ciblée parce qu'elle aspire à intégrer pleinement les structures européennes. En République de Moldova, les activités de guerre hybride auxquelles se livre la Russie visent à renverser le gouvernement pro-européen.

En République de Moldova, les activités de guerre hybride menées par la Russie visent le gouvernement pro-européen. Photo : manifestations contre le gouvernement pro-occidental de la République de Moldova, septembre 2022. © CNN
En Syrie, l'objectif est de consolider la mainmise du régime pro-russe du président Bachar Al-Assad. L'implication militaire directe des forces russes y est plus marquée parce que la situation le permet. Les opérations militaires sont combinées à un soutien aux militants armés, à des campagnes de propagande et de désinformation, à des stratégies diplomatiques et économiques au service de la politique étrangère, ainsi qu’à des manœuvres d’influence politique. L'objectif général de la Russie en Syrie est non seulement d'étendre son influence au Moyen-Orient, mais aussi de tirer parti de cette influence pour nuire aux relations que les pays de la région entretiennent avec les États occidentaux.
L’exemple syrien montre clairement que la guerre hybride de la Russie contre l'Occident dépasse largement les frontières géographiques des pays européens ou occidentaux. Autre exemple : la guerre hybride que la Russie mène en Afrique dans le but de contrer l’influence occidentale sur ce continent riche en ressources. Au Sahel, la Russie a profité de la détérioration des relations avec les puissances occidentales et a fait naître un sentiment anti-occidental en y étendant son empreinte. Dans des pays comme le Mali et la République centrafricaine, elle fournit une assistance en matière de sécurité, un soutien diplomatique et une aide dans les opérations d'information. Moscou cherche notamment à accroître son influence dans le monde et à porter atteinte aux intérêts occidentaux. Pour lui, ces deux objectifs vont de pair.
Il est souvent difficile de déterminer avec certitude l’origine d’une menace hybride active ou récente. Par exemple, la grave cyberattaque dont la chaîne française TV5Monde a été la cible en 2015 avait dans un premier temps été attribuée au groupe « État islamique en Iraq et au Levant ». Il s'est avéré par la suite que l'attaque avait été perpétrée par un groupe de pirates informatiques russes, qui avait publié des messages djihadistes sur le site internet et les médias sociaux de la chaîne pour semer la discorde et la confusion.
L'ingérence russe dans l’élection américaine de 2016 a eu des implications considérables. Elle a en particulier contribué à la flambée du populisme de droite aux États-Unis, un phénomène auquel le pays est toujours confronté aujourd’hui. Le risque est que le populisme de droite entraîne une crise de légitimité des institutions publiques, érodant ainsi la confiance dans les personnes au pouvoir. De fait, ces dernières années, cette idéologie a dressé les citoyens contre les institutions publiques, les dirigeants politiques et économiques, les médias traditionnels, ainsi que certains groupes minoritaires, dont les migrants. Étant donné que le populisme de droite contribue à la perte de confiance dans les médias traditionnels et que ces deux phénomènes se renforcent mutuellement, la désinformation peut servir à créer des problèmes de sécurité dans les États ciblés. La Russie utilise stratégiquement la désinformation pour atteindre des objectifs politiques et stratégiques.
Il convient de mentionner que les médias numériques et sociaux sont propices à la désinformation et que la Russie en tient compte dans ses calculs stratégiques. EUvsDisinfo gère une base de données contenant des dizaines de milliers d’éléments de désinformation en ligne qui seraient liés au Kremlin. En 2021, un rapport de Facebook a révélé que la Russie était la principale source de « comportement inauthentique coordonné » au niveau international. La campagne de désinformation en ligne visant à faire échouer le sommet de l'OTAN de 2023 illustre bien la façon dont la Russie cible un acteur qu'elle considère comme son ennemi juré. L'OTAN étant un pilier de la sécurité de l'Occident, elle est fréquemment la cible de campagnes de désinformation russes en ligne, comme l'établit EUvsDisinfo. Ces campagnes reposent non seulement sur la fabrication de fausses nouvelles, mais aussi sur la distorsion de la réalité, comme dans le cas de la campagne qui a fait passer l’amélioration de l'état de préparation opérationnelle de l'OTAN en Europe de l'Est après 2014 pour une agression, alors qu'il s'agissait d’une conséquence de l'invasion, illégale, de la Crimée par la Russie. Les faits sont méthodiquement déformés pour inverser causes et effets.
La désinformation russe en ligne s'appuie sur des sources parrainées par l'État et des groupes pro-russes agissant de concert pour amplifier des théories mensongères et fallacieuses, qui sont relayées dans plusieurs langues à l’échelle mondiale. Les activités de désinformation auxquelles la Russie se livre sont parfois très efficaces. La Serbie, par exemple, entretient des liens politiques et économiques étroits avec l'Europe occidentale, mais la plupart des Serbes considèrent la Russie comme le partenaire le plus proche du pays et son « plus grand ami ». Cela tient dans une large mesure aux récits véhiculés par des médias russes tels que RT et Spoutnik, qui dominent le paysage médiatique traditionnel et numérique en Serbie. Ces récits dénigrent l'Europe occidentale et les États-Unis, tout en faisant l’éloge de la Russie et de la Chine. La désinformation parrainée par la Russie porte également ses fruits dans le monde non occidental. Les campagnes de désinformation visant à semer la discorde entre l'Afrique et l'Occident contribuent à empêcher les pays africains de s’entendre sur la question ukrainienne et d'apporter un soutien à Kyïv.
De la méthode derrière la folie ?
Moscou considère qu’il mène une longue guerre contre ce qu'il perçoit comme une hégémonie occidentale. C'est dans cette logique que le président russe, Vladimir Poutine, présente l'« élite occidentale » comme l’ennemi. Il reste volontairement ambigu sur ce qu’il entend exactement par « élite occidentale », peut-être par opportunisme politique, mais ses ennemis ultimes sont à n’en pas douter les États-Unis et les puissances européennes, qui dirigent l'ordre politique et économique mondial.
L'hostilité de Moscou à l'égard de l'Occident n'est que la partie émergée de l'iceberg. En termes de stratégie globale, Moscou, sous le leadership du président Poutine, souhaite un retour à l'équilibre des pouvoirs qui prévalait par le passé, lorsque l'Union soviétique était une superpuissance et pouvait à ce titre définir les règles de l'ordre international à l’échelle mondiale. Mais Moscou se rend compte que, structurellement, sa marge de manœuvre est étroite dans l'ordre politique international, qui accorde beaucoup de prix à des valeurs telles que la liberté et la démocratie – des idéaux qui sont très peu répandus en Russie. Une redéfinition de l'ordre international est donc nécessaire pour que la Russie puisse (re)prendre la main sur la politique et l'économie mondiales. C'est ce qui ressort de la doctrine Primakov, du nom de l'ancien ministre des Affaires étrangères et premier ministre Ievgueni Primakov. Selon cette doctrine, la Russie devrait s’attacher à bâtir un monde multipolaire afin que l'ordre mondial ne puisse pas être défini par une seule puissance ou un seul pôle. C'est pour cette raison que Moscou cherche à affaiblir ce qu'il considère comme la puissance et l'influence de l'Occident dans le monde.
Le principal obstacle auquel se heurte la Russie est qu'elle ne dispose ni de la force dure ni de l'influence économique nécessaires pour atteindre ce grand objectif. Le Kremlin pense peut-être que sa panoplie d'outils hybrides peut l'aider à solutionner ce problème. L'idée est, d’une part, de renforcer le potentiel de puissance de la Russie en combinant des moyens militaires et non militaires, et, d’autre part, d’exploiter et d’accentuer la vulnérabilité interne des puissances occidentales. Le but est clair : réduire l'asymétrie de puissance entre la Russie et les pays occidentaux afin de leur damer le pion.

Un convoi blindé de troupes pro-russes dans la ville portuaire de Marioupol, dans le sud de l'Ukraine, le 21 avril 2022. © Chingis Kondarov / Reuters
Bien que la Russie ait mené une guerre hybride agressive ces dernières années, vaincre les puissances occidentales semble pour l’heure utopique. En effet, si la guerre hybride peut réduire l'asymétrie de puissance entre la Russie et les pays occidentaux, les capacités militaires et économiques limitées dont dispose Moscou l’empêchent de compenser complètement ce déséquilibre. De surcroît, les puissances occidentales se sont employées à renforcer leur résilience après l'invasion de l'Ukraine, alors que la Russie semble, elle, instable sur le plan interne. La guerre hybride que la Russie mène contre l'Occident est-elle pour autant un échec jusqu’ici ? Peut-être pas totalement. Moscou est parvenu à atteindre certains de ses objectifs principaux, et notamment à affaiblir l'influence stratégique et le puissance politique de l'Occident à l'échelle mondiale, comme en témoigne l'expansion de l'empreinte russe au Moyen-Orient et en Afrique, au détriment de l’influence occidentale. Il est inquiétant de constater que la guerre hybride menée par la Russie a également contribué à accentuer la polarisation politique au sein des pays occidentaux et entre eux.
Il appartient maintenant aux puissances occidentales d'œuvrer de concert pour contrer méticuleusement chacune des composantes de la guerre hybride russe. Non seulement c'est nécessaire pour répondre à la menace que la Russie fait peser sur leur sécurité, mais c'est aussi un moyen de se préparer à l'éventualité d'une exploitation de leurs vulnérabilités par la Chine.
Conclusion
La manière de faire la guerre ayant radicalement changé, les conflits ne se résument plus à la seule utilisation d’une force physique directe. Ils se caractérisent de plus en plus par une hybridité complexe. Cette évolution a une incidence majeure sur les calculs et contraintes stratégiques de la Russie. Comme presque tous les pays du monde, cette dernière sait qu'elle doit moderniser, étoffer et diversifier sa boîte à outils et y inclure des moyens non cinétiques – dans son cas, il s'agit notamment de la désinformation et des stratégies économiques au service de la politique étrangère – en complément des instruments et outils militaires, qui sont, quant à eux, utilisés de manière plus innovante.
Compte tenu des visées agressives de Moscou, la guerre hybride est non seulement une option intéressante, mais aussi une nécessité stratégique pour le pays en raison de l'asymétrie de puissance manifeste par rapport à l'Occident. Le budget et les technologies militaires dont dispose la Russie ainsi que la taille et la diversification de son économie sont loin de faire le poids face au large éventail de capacités auxquelles les puissances occidentales peuvent recourir. La guerre hybride permet à Moscou de réduire, voire de compenser, ce déséquilibre pour défier ceux qu’il considère comme ses rivaux.
Parmi les principaux moyens dont se sert la Russie pour mener sa guerre hybride contre les pays occidentaux figurent la politisation de l’énergie et son utilisation comme arme, le recours à des acteurs non étatiques et à des forces non attribuables, le soutien à des acteurs pro-russes, le recours intensif à la désinformation, et l’ingérence électorale. Ces actions sont coordonnées de manière systématique.
Il reste à voir dans quelle mesure la guerre hybride à laquelle la Russie se livre lui permettra d'atteindre ses grands objectifs face à l'Occident. Jusqu'à présent, la Russie a certes porté atteinte à la sécurité des pays occidentaux, mais elle n'a clairement pas empêché ces derniers de façonner, par la voie de la démocratie, l’ordre politique, économique et culturel à l’échelle mondiale. Néanmoins, comme ses capacités militaires et économiques sont limitées, ses tactiques hybrides lui permettent de se montrer « plus grande » qu'elle ne l'est en réalité. Les États occidentaux doivent en être conscients et réfléchir intensément à un plan leur permettant de répondre ensemble et de manière résolue aux stratégies russes.