Geoff Hiscock indique qu’il est possible d’assurer une production alimentaire et un accès à l’eau suffisants pour tous, mais que de nouveaux conflits sont à craindre si ces dossiers ne progressent pas.
Le monde semble connaître un bref répit par rapport à une possible crise de sécurité alimentaire avec la stabilisation du prix des céréales enregistrée au cours des derniers mois de 2012, après une forte hausse en milieu d’année qui avait ravivé le souvenir des émeutes alimentaires de 2007-2008.
Mais comme l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) l’a indiqué lors de la publication de son dernier indice (6 septembre 2012), il convient de rester vigilant. L’année qui vient risque de se caractériser par la volatilité en raison de la combinaison de facteurs – stress hydrique, phénomènes météorologiques extrêmes, désordres civils, accroissement démographique, urbanisation, systèmes de distribution inefficients et demande portant de plus en plus sur des produits alimentaires gourmands en eau – qui continuent de mettre sous pression la capacité d’approvisionnement mondiale.
Ce sont une nouvelle fois l’Afrique du Nord et le Sahel, en Afrique occidentale – où 18 millions de personnes souffrent de la faim cette année – qui risquent le plus de connaître des pénuries alimentaires en 2013. La sécheresse dans la Corne de l’Afrique a provoqué l’exode de près d’un quart de la population somalienne vers les camps de réfugiés de l’Éthiopie et du Kenya. Dans la zone frontalière entre le Soudan et le Soudan du Sud, marquée par les conflits, le prix élevé des denrées alimentaires vient ajouter aux tensions existantes.
La sécheresse aux États-Unis et en Europe de l’Est, les inondations en Amérique du Sud et les ravages occasionnés aux récoltes par les maladies et les parasites en Chine sont autant d’éléments qui ont engendré une baisse de la production alimentaire en 2012, même si, avec la hausse des prix, les revenus des agriculteurs des économies développées vont se maintenir.
En Australie, grand producteur céréalier de l’hémisphère austral, compte tenu de la longue période de sécheresse qui a suivi les inondations dévastatrices de 2010-2011, la récolte de blé de 2012-2013 devrait être de l’ordre de 22,5 millions de tonnes, soit environ 6 % de moins que ce qui était prévu en milieu d’année.
En moyenne, les producteurs de blé mondiaux produisent environ 3 tonnes par hectare, les rendements les plus élevés étant enregistrés par l’agriculture intensive en Europe – plus de 8 tonnes par hectare – et par certains agriculteurs néo-zélandais – 15 tonnes par hectare. La Chine et l’Inde, les deux plus grands producteurs de blé de la planète, se situent autour de 3 tonnes par hectare, de même que les États-Unis.
De plus hauts rendements sont, certes, souhaitables, mais ce n’est pas vraiment la production qui pose problème. Le monde produit suffisamment de denrées alimentaires pour nourrir sa population actuelle de 7 milliards de personnes et, avec les innovations en matière de techniques culturales, de semences et d’autres intrants, il a la capacité de nourrir les 2 milliards d’individus supplémentaires attendus d’ici 2050, même en cas de persistance de phénomènes climatiques extrêmes.
Ce qui fait défaut, c’est un mécanisme efficace pour que cette nourriture soit disponible là où elle est le plus nécessaire.
Pas trop peu, simplement trop peu là où c'est nécessaire
Les pays riches ont de la nourriture en abondance, alors que les pays pauvres n’ont ni l’argent ni les infrastructures nécessaires pour dépasser le stade de la subsistance. Le stockage et la distribution sont les deux grandes difficultés auxquelles ils sont confrontés, et les conflits et la mauvaise gouvernance viennent encore aggraver la situation.
Le monde doit, par ailleurs, réduire d’une manière ou d’une autre l’impact de l’augmentation de la production alimentaire, en particulier la viande, sur la ressource la plus précieuse de la planète : l’eau salubre.
L’utilisation inefficiente de l’eau, que ce soit à cause des fuites sur les canalisations, du délabrement des systèmes d’irrigation, du manque de recyclage ou simplement d’un usage dispendieux qui ne tient pas compte du coût total de cette ressource, conduit le monde vers des guerres de l’eau. Dans tous les endroits où plusieurs parties revendiquent l’accès à l’eau d’un fleuve ou d’un lac d’eau douce, il y a risque de conflit.
Nous le constatons aujourd’hui dans les tensions entre l’Inde et la Chine à propos du Yarlung Zangbo/Brahmapoutre, entre la Chine et ses voisins situés en aval à propos du Mékong, entre l’Inde et le Pakistan à propos des barrages sur l’Indus, et au Proche-Orient entre Israël et ses voisins à propos du Jourdain.
Le stress hydrique n’est pas près de disparaître. D’ici 2020, l’Inde et la Chine, les deux plus grands utilisateurs d’eau de la planète, qui comptent ensemble 2,5 milliards d’habitants, seront confrontées à des décisions difficiles concernant la manière dont elles fixent le prix de leurs ressources en eau. L’accroissement de la prospérité va provoquer une hausse de la demande de nourriture, notamment de viande et de produits laitiers, riches en protéines, dont la production consomme davantage d’eau. Les importations joueront bien entendu un rôle : la Chine devrait importer 80 millions de tonnes de soja et 20 millions de tonnes de maïs d’ici 2015.
L’une des conséquences de cette prospérité est que la Chine puise dans sa nappe phréatique plus rapidement que les pluies ne permettent de la reconstituer. Cette utilisation non durable de l’eau accentue la pression pour trouver de nouvelles sources d’eau, notamment par le recours au détournement de fleuves à partir de l’ouest, ou à des aquifères non encore exploités.
Manque d'efficience au plan alimentaire
L’Inde est un exemple de la manière dont la mauvaise gestion de la chaîne d’approvisionnement alimentaire touche les plus pauvres parmi les pauvres. Des liaisons de transport rural anarchiques, le manque d’entrepôts frigorifiques, des intermédiaires voraces, un banditisme occasionnel, une gouvernance déficiente, un contrôle de la qualité médiocre et le fléau omniprésent de la corruption pèsent lourdement sur l’arrière-pays indien, où vivent 800 millions d’habitants sur le 1,2 milliard que compte le pays.
Jusqu’à 30% des produits alimentaires frais de l’Inde se gâtent, sont volés ou disparaissent d’une manière ou d’une autre lors des transports, ce qui signifie qu’indépendamment de l’abondance des pluies de mousson telle ou telle année (en 2012 elles ont été relativement faibles), c’est le difficile voyage entre l’exploitation agricole et le consommateur qui entrave cet apport vital aux familles rurales indiennes.
Même les grands propriétaires terriens du Pendjab, dont les cultures sont mécanisées et bien irriguées, qui ont toujours figuré parmi les communautés les plus prospères de l’Inde et qui avaient été les porte-étendards de la « Révolution verte » des années 1970 qui avait permis l’augmentation du rendement des cultures, sont aujourd’hui confrontés à de nouveaux problèmes sociaux et environnementaux dus à l’utilisation excessive d’engrais et à l’octroi de subventions à l’irrigation qui a conduit à un épuisement de la nappe phréatique.
La situation est pire encore dans des parties plus pauvres de l’Asie, comme le Bangladesh. Et en Afrique, les guerres civiles, les conflits concernant l’utilisation de l’eau et les aléas climatiques maintiennent de vastes parties du continent dans la pauvreté. La famine reste ainsi une crainte toujours présente pour plusieurs millions de personnes.
Toutefois, en Afrique et dans le monde en général, la mauvaise qualité de l’eau tue davantage que la famine, les guerres ou toute autre cause. Les enfants sont particulièrement sensibles aux maladies d’origine hydrique comme la diarrhée, la typhoïde, le choléra, la polio et les gastroentérites. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), 2,2 millions d’enfants de moins de cinq ans meurent chaque année à cause de l’insalubrité de l’eau, de l’insuffisance des moyens sanitaires et du manque d’hygiène.
Mettre en œuvre les réponses
Si des mesures appropriées sont prises, ces décès pourront être évités. Par ailleurs, le bénéfice économique de telles mesures serait significatif – l’OMS estime en effet qu’une eau salubre et une amélioration des moyens sanitaires pourraient engendrer une augmentation du produit intérieur brut d’un pays de l’ordre de 2 à 7 pour cent.
Certains signes montrent que l’ampleur du défi lié à l’alimentation et à l’eau est enfin reconnue en dehors de la Banque mondiale, des organismes de l’ONU tels que la FAO et le Programme alimentaire mondial, et des groupes environnementaux. Par exemple, lors de la réunion tenue à Vladivostok, début septembre, dans le cadre de la Coopération économique Asie-Pacifique (APEC), la sécurité alimentaire et l’amélioration de la chaîne d’approvisionnement en produits de base ont figuré parmi les grandes priorités.
Les dirigeants des 21 pays de l’APEC, qui représentent plus de 50% du PIB mondial, se sont entendus pour renforcer l’agriculture durable, développer les marchés alimentaires, augmenter la qualité de vie des agriculteurs et faciliter l’accès à la nourriture des groupes vulnérables. Ils se sont également engagés à réaliser une amélioration de 10% au niveau de la chaîne d’approvisionnement d’ici 2015 dans la région Asie-Pacifique, pas seulement pour les produits alimentaires, mais pour tous les biens et services.
Dans un rapport récent intitulé « The Global Water Crisis : Addressing an urgent security issue » (La crise mondiale de l’eau : aborder une question sécuritaire urgente), le Conseil InterAction, un groupe d'éminents anciens dirigeants, estime que la valeur des activités économiques liées à l’eau passera d’environ 520 milliards de dollars il y a cinq ans à 1 billion de dollars d’ici 2020.
Mais aujourd’hui, quelque 2 milliards d’habitants de la planète ne disposent pas de moyens sanitaires adéquats et un milliard d’entre eux environ sont également privés d’approvisionnement fiable en eau salubre. Imaginez l’avantage économique que représenterait une réduction substantielle de ces chiffres.