Bon nombre des nouveaux partenaires de l’OTAN se situent en Asie ou aux alentours. Comment chacune des parties voit-elle l’autre, et comment faire en sorte que leur coopération leur procure à toutes deux un bénéfice ? Michito Tsuruoka examine ces questions du point de vue de l’Asie.
Les relations de l’OTAN avec les pays extérieurs à la région euro-atlantique se sont développées rapidement ces dernières années. La coopération en Afghanistan en a été le moteur. Des pays comme l’Australie, la Nouvelle-Zélande et Singapour fournissent maintenant des troupes à la FIAS (Force internationale d’assistance à la sécurité), en Afghanistan. D’autres, comme le Japon et la Corée du Sud, apportent une contribution directe et indirecte à la mission de l’Alliance dans ce pays. Ces États sont dorénavant désignés sous l’appellation « autres partenaires dans le monde ».
Si des pays comme l’Australie et le Japon sont souvent considérés comme destinataires de la politique de partenariat de l’Alliance, de leur point de vue, c’est l’OTAN qui est le partenaire. Le présent article examinera comment l’OTAN est perçue comme un partenaire par ces nouveaux « partenaires dans le monde ». Pourquoi ces pays ont-ils renforcé leurs relations avec l’OTAN ? Quel type de partenaire est l’Alliance à leurs yeux ? Et qu’en attendent-ils ?
Le Japon compte utiliser l’OTAN comme cadre supplémentaire pour sensibiliser la communauté internationale, et en particulier l’Europe, à la situation sécuritaire en Asie
L’OTAN en tant que partenaire politique
Pour commencer, chaque pays a un ensemble de motivations différentes concernant sa relation avec l’Alliance. Lorsque le Japon a fait des ouvertures à l’OTAN en 2006 et 2007, il s’agissait surtout d’une initiative diplomatique. Il est vrai que tant le ministre des Affaires étrangères, Taro Aso, que le premier ministre, Shinzo Abe, avaient évoqué la possibilité d’une coopération opérationnelle entre le Japon et l’OTAN dans leurs discours respectifs devant le Conseil de l’Atlantique Nord. Mais il faut se rappeler que les deux hommes s’étaient longuement attardés sur la situation sécuritaire en Asie, y compris en ce qui concerne la Chine et la Corée du Nord. M. Abe avait même directement demandé aux Alliés de prier instamment cette dernière de prendre des mesures sincères en vue du règlement de la question des enlèvements de ressortissants japonais par les autorités nord-coréennes.
Le Japon compte utiliser l’OTAN comme cadre supplémentaire pour sensibiliser la communauté internationale, et en particulier l’Europe, à la situation sécuritaire en Asie. C’est la raison pour laquelle Tokyo avait apprécié les déclarations du Conseil de l’Atlantique Nord condamnant le lancement de missile nord-coréen en juillet 2006 ainsi que l’essai nucléaire effectué en octobre de la même année. Malgré le langage extrêmement belliqueux tenu par Pyongyang, traiter avec le pays demeure un jeu diplomatique où la solidarité internationale compte beaucoup.
L’OTAN n’est peut-être pas un acteur politique en tant que tel, mais en sa qualité d’alliance politico-militaire la plus importante et la plus compétente dans le monde, elle a un certain poids – à la fois volontairement et involontairement – dans les affaires de sécurité internationale. Cela explique aussi pourquoi ceux qui se montrent sceptiques à l’égard de l’OTAN, en particulier ceux qui ne partagent pas ses valeurs, craignent l’expansion de sa sphère d’activité et d’influence. On peut dire que l’image de l’Alliance dans le monde extérieur en tant qu’acteur influent de la sécurité est plus forte qu’elle ne l’admet elle-même. Mais c’est précisément pour cette raison que le Japon considère l’OTAN comme un nouveau partenaire politique important, et d’autres partenaires pourraient faire de même.

En Afghanistan, les partenaires ont pu établir des liens vraiment tangibles avec l’OTAN © Reuters/Omar Sobhani
L’OTAN et la coopération opérationnelle
Les relations de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande avec l’OTAN se sont développées essentiellement sur la base de la fourniture de troupes à la FIAS. La coopération opérationnelle est donc le pilier principal des relations Australie-OTAN et Nouvelle-Zélande-OTAN, à l’inverse du cas du Japon. Ces pays utilisent aussi l’Alliance comme cadre international. Sans elle, ils n’auraient pas pu participer à l’effort militaire international en Afghanistan. L’OTAN leur a permis d’apporter leur contribution. Une fois dans la FIAS, il était légitime que l’Australie et d’autres contributeurs exigent de bénéficier d’un plus grand partage de l’information et d’être davantage impliqués dans l’élaboration des politiques et, finalement, dans la prise des décisions. L’Australie, qui compte plus de 1.000 soldats engagés dans des missions de combat dans le sud de l’Afghanistan, est le partenaire qui a exprimé le plus énergiquement ces revendications, auxquelles l’OTAN s’est efforcée de donner suite.
Tant sur le plan politique et stratégique que sur le plan du théâtre, le partage de l’information et l’implication de ces pays se sont sensiblement accrus l’an dernier. Des réunions ministérielles (principalement au niveau des ministres de la Défense) en configuration FIAS ont maintenant lieu régulièrement, et des réunions opérationnelles des fournisseurs de troupes, comme dans le cadre du PCG (Groupe de coordination des orientations), permettent des consultations plus concrètes.
Cependant, la question de savoir dans quelle mesure l’Alliance est prête à impliquer des contributeurs non-OTAN dans ses processus internes ne sera pas réglée de façon claire dans l’avenir prévisible. Pour l’Alliance, tenir compte des exigences des partenaires et les satisfaire est une nécessité pour garantir le maintien de leur contribution. Le principe « pas de taxation sans représentation » se vérifie ici.
Ce n’est certainement pas une coïncidence si jusqu’ici la plupart des nouveaux partenaires de l’Alliance extérieurs à la région euro-atlantique sont en fait des alliés des États-Unis, comme l’Australie et le Japon
L’OTAN en tant que moyen de coopération avec les États-Unis
Lorsque des pays comme l’Australie et la Nouvelle-Zélande ont décidé d’envoyer des troupes en Afghanistan, le partenaire qu’ils choisissaient ne devait pas forcément être l’OTAN. En fait, quand la Nouvelle-Zélande a déployé pour la première fois des troupes dans le pays, c’était dans le cadre de l’opération « Liberté immuable », en coopération étroite avec les États-Unis. Ce n’était un secret pour personne que cette décision visait à soutenir spécifiquement les États-Unis et à faire preuve de solidarité avec Washington suite au 11 septembre, et qu’elle n’avait à l’époque rien à voir avec une coopération OTAN-Nouvelle-Zélande. Après l’extension géographique des responsabilités de la FIAS fin 2006, les troupes néo-zélandaises stationnées dans la province de Bamiyan ont dû passer du commandement de l’opération « Liberté immuable » à celui de la FIAS. Selon Wellington, la coopération avec l’OTAN qui en a résulté fut essentiellement un produit secondaire non intentionnel de l’action qu’elle avait menée indépendamment de la FIAS.
La valeur cruciale que l’OTAN revêt également en tant que cadre de coopération pour les opérations de paix internationales et d’autres domaines apparaît donc clairement. L’Alliance représente une voie supplémentaire de coopération avec les États-Unis. La coopération avec l’OTAN, notamment la fourniture de troupes pour des missions et des opérations conduites par l’Alliance, peut se faire dans le contexte de la coopération avec les États-Unis. Ce n’est pas surprenant puisque même parmi les Alliés les contributions à la FIAS et à d’autres activités conduites par l’OTAN sont souvent considérées comme un moyen d’assurer des relations positives avec Washington. Les « partenaires dans le monde» ne font pas exception à la règle.
Ce n’est certainement pas une coïncidence si jusqu’ici la plupart des nouveaux partenaires de l’Alliance extérieurs à la région euro-atlantique sont en fait des alliés des États-Unis, comme l’Australie et le Japon. La coopération Australie-OTAN et Japon-OTAN est un nouveau visage des relations sécuritaires bilatérales de ces pays avec les États-Unis. Une déclaration conjointe publiée par les États-Unis et le Japon à l’issue de la réunion « 2+2 » de la Commission consultative de sécurité de mai 2007 indiquait que la coopération Japon-OTAN s’inscrivait dans le contexte des « objectifs stratégiques communs » des deux alliés.
L’OTAN en tant qu’école de la multilatéralité
La coopération en Afghanistan est une chose, mais il convient de rappeler que les relations entre l’OTAN et ses partenaires dans le monde ne se limitent pas à cela. Tout d’abord, la conduite d’opérations comme celles de la FIAS est toujours un domaine nouveau pour l’Alliance, qui a beaucoup d’autres choses à accomplir. Dans des secteurs tels que l’interopérabilité, la standardisation, l’acquisition commune, la recherche-développement, la planification multilatérale et les plans de défense, l’OTAN dispose de compétences et d’une expérience inégalées. C’est en fait dans ces domaines que les partenaires peuvent bénéficier le plus de leur coopération avec elle.
L’élément primordial est la nature multilatérale de l’Alliance. Les pays extérieurs à la zone euro-atlantique manquent en général d’expérience multilatérale de la sécurité et de la défense. Par exemple, dans la région Asie-Pacifique, où se situent la plupart des nouveaux partenaires de l’OTAN, la coopération multilatérale en matière de sécurité est toujours faible, voire totalement absente. Le Forum régional de l’ANASE n’a organisé le tout premier exercice conjoint de situation civile d’urgence dans des conditions réelles (secours en cas de catastrophe) qu’en mai 2009. La planification et les opérations multilatérales sont encore une nouveauté dans la région, et les militaires des différents pays n’ont qu’une expérience limitée en la matière.
Dans ce contexte, la coopération pratique avec l’OTAN, en participant à des exercices et à des séminaires de l’Alliance, fournit aux partenaires une bonne occasion de se familiariser avec les processus multilatéraux de planification et d’opérations. Par ailleurs, compte tenu de la globalisation et des ressources limitées actuellement disponibles pour les armées, la recherche-développement et l’acquisition de matériels de défense doivent être abordées dans une optique multilatérale, en coopération avec d’autres pays. L’histoire de l’OTAN est loin d’être parfaite à cet égard, mais l’Alliance est néanmoins une plateforme utile pour promouvoir une approche multilatérale de la sécurité, à laquelle les partenaires peuvent prendre part.
Les défis qui attendent l’OTAN
Les nouveaux partenaires de l’OTAN extérieurs à la région euro-atlantique voient l’Alliance d’une manière très différente des partenaires traditionnels qui font partie du PPP (Partenariat pour la paix). Ils ne recherchent pas l’adhésion. Il ne s’agit pas non plus de pays effectuant une transition postcommuniste. Ils n’ont pas besoin de l’accompagnement de l’OTAN pour assurer le contrôle démocratique des forces armées etc.. L’Alliance a obtenu de bons résultats pour ce qui est d’aider les partenaires souhaitant faire partie de ses membres, mais la coopération avec des démocraties non européennes évoluées est encore une chose nouvelle pour elle.
Du côté de l’OTAN, il n’existe pas encore de consensus sur la voie à suivre en termes de relations avec les nouveaux partenaires n’appartenant pas à la région euro-atlantique. Obtenir davantage d’aide, tant militaire que civile, pour la FIAS et d’autres missions conduites par l’Alliance est une chose, mais compte tenu de la diversité des motivations qui incitent ces pays à se rapprocher d’elle, il est maintenant évident que l’OTAN doit avoir une idée plus claire de ce qu’elle veut réaliser par le biais du développement des nouveaux partenariats. L’élaboration de son nouveau Concept stratégique en 2010 est l’occasion de le préciser.
L’Alliance doit, à tout le moins, mener une réflexion approfondie sur la manière dont elle peut répondre aux attentes que les partenaires nourrissent à son endroit. Un créneau lui permettant de participer au façonnement d’un nouveau réseau international de sécurité est maintenant ouvert. C’est à elle de décider si elle va l’exploiter.