L’OTAN et la société civile : que peut apprendre l’OTAN des femmes du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord ?
Les opinions exprimées sont celles de l’autrice, Noha Aboueldahab, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de l’OTAN ou des Alliés.
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Quinze années se sont écoulées depuis que l’OTAN a adopté le programme pour les femmes, la paix et la sécurité (FPS). Quels résultats a-t-il permis d’obtenir s’agissant de la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MENA) ? Les mieux à même de répondre à cette question sont les femmes qui œuvrent sur le terrain, aux côtés desquelles j’ai eu l’honneur de prendre la parole en mars 2022 lors de la conférence FPS de l’OTAN consacrée aux médiatrices et aux femmes œuvrant pour la paix dans la région MENA.
L’OTAN mérite d’être saluée pour l’attention qu’elle accorde à la cause FPS dans la région MENA, mais je suis frappée par le fait que son approche en la matière néglige totalement l’importance de la notion de justice raciale. Au moment d’élaborer et de mettre en œuvre les politiques étrangères et les politiques de sécurité, il faut garder à l’esprit que celles-ci dépendent aussi de facteurs raciaux.
Les plans d’action nationaux FPS adoptés par la plupart des États européens portent généralement sur des problématiques qui concernent les femmes et la vie politique « de là-bas », c’est-à-dire des régions non occidentales. Il est important, cependant, de faire son introspection et de se demander en quoi le regard que certains hommes et certaines femmes des pays du Nord portent sur le monde les amène à se faire une fausse idée des expériences vécues et du pouvoir détenu par les femmes sur la scène politique dans d’autres aires régionales.
Ce questionnement sur la manière dont les femmes « de là-bas » vivent les conflits et sur les violences qu’elles subissent en raison de leur genre doit faire partie intégrante des politiques étrangères des États occidentaux, y compris des pays de l’OTAN. Ces derniers doivent s’efforcer d’aligner leurs initiatives nationales sur la politique FPS globale de l’Alliance, sans quoi les ambitions affichées par le programme FPS en matière de protection des femmes seront vides de sens.
Tant que les politiques FPS n’accorderont pas au problème de la racialisation des femmes de la région MENA l’attention qu’il mérite, les chances resteront bien minces de voir advenir un monde sûr et durablement en paix, où l’égalité des genres serait assurée. Face à ce constat, plusieurs moyens d’action s’offrent à nous. Premièrement, l’OTAN devrait diversifier son personnel de manière à inclure des femmes originaires de la région MENA dont le parcours correspondrait à celui que l’Organisation elle‑même considère comme un moteur important des réformes politiques. Il ne s’agit pas simplement de s’assurer que des femmes occupent des postes à l’OTAN, mais d’adopter une approche intersectionnelle afin que ces femmes aient accès à des postes à responsabilité.
Deuxièmement, pour mieux comprendre l’expérience des femmes de la région MENA dans le domaine de la paix et de la sécurité, l’OTAN devrait organiser un plus grand nombre de rencontres avec les actrices du domaine FPS et les autres personnes concernées au sein même de cette région, même s’il est bien plus commode de les inviter à se rendre dans la région euro-atlantique. Elle se donnerait ainsi les moyens d’avoir des échanges constructifs avec les communautés (et non avec de simples individus) qui sont précisément ciblées par le programme FPS. Les lieux choisis pour les rencontres entre les femmes de la région MENA et les responsables politiques internationaux du secteur de la paix et de la sécurité favorisent souvent les femmes qui disposent du temps et des ressources financières nécessaires à un déplacement, qui maîtrisent l’anglais ou le français et qui ont reçu une éducation occidentale.
À ce propos, notons que les responsables de l’OTAN sont trop largement dépendants des représentants gouvernementaux de la région MENA pour leurs contacts avec la société civile. L’OTAN devrait dialoguer directement avec des personnes influentes issues de la société civile, malgré sa proximité avec leurs autorités nationales. Cela est indispensable si elle veut véritablement accroître l’impact de ses politiques FPS dans la région MENA.
Troisièmement, l’OTAN devrait offrir davantage d’espaces de rencontre aux femmes œuvrant dans les domaines visés par le programme FPS afin qu’elles puissent partager ce qu’elles savent déjà sur les incidences du programme et des politiques FPS et sur la manière de les améliorer, et qu’elles puissent également acquérir de nouvelles connaissances en la matière. Les femmes de la région MENA font bien trop souvent l’objet de travaux de recherches au lieu de mener elles-mêmes de tels travaux.
Enfin, le programme FPS devrait mettre à l’honneur les héroïnes de la région MENA. En retraçant les succès obtenus à travers l’histoire par les femmes de cette région dans le domaine de la paix et de la sécurité, il permettrait de mieux comprendre leurs luttes et leurs réalisations actuelles. Il devrait également s’inspirer de leurs propres contributions et des stratégies qu’elles ont elles-mêmes conçues pour lutter contre les injustices liées au genre, au lieu de se contenter d’exporter les idéaux féministes occidentaux vers le reste du monde. Il s’agit là d’un moyen d’inclure la notion de justice raciale dans les politiques de l’OTAN. À cet égard, le programme FPS est encore loin du compte. Il devrait reconnaître, valoriser et exploiter les nombreuses contributions intellectuelles et concrètes que les femmes de la région MENA apportaient déjà bien avant l’adoption de la résolution 1325 du Conseil de sécurité de l’ONU.
Les participantes à la rencontre organisée en mars 2022 par l’OTAN sur le thème « Renforcer le leadership des médiatrices et des femmes œuvrant pour la paix dans la région MENA » ont été invitées à formuler des critiques constructives. Cela est encourageant, et j’espère que beaucoup d’autres débats de fond se tiendront, avec la même liberté de ton, à Bruxelles et dans toute la région MENA.
Noha Aboueldahab est chargée de recherche non résidente à Brookings Institution (programme Politique étrangère) et maîtresse de conférences en droit international à l'Université de Georgetown, au Qatar. Elle copréside le groupe d'intérêt Justice transitionnelle et état de droit de l'American Society of International Law et a été récompensée pour ses travaux sur la justice transitionnelle. Dans un ouvrage à paraître, elle explique comment les diasporas arabes donnent forme au débat intellectuel et politique sur la justice transitionnelle et font évoluer les politiques en la matière.
Noha Aboueldahab a participé à la rencontre organisée en mars 2022 par l'Unité Sécurité humaine et la Division Affaires politiques et politique de sécurité sur le thème « Renforcer le leadership des médiatrices et des femmes œuvrant pour la paix dans la région MENA ». À cette occasion, elle a apporté son éclairage sur les enseignements que l'OTAN peut tirer de l'expérience des femmes de cette région dans le domaine de la sécurité.