Le rapport Harmel
Le rapport du Conseil de 1967 sur les futures tâches de l’Alliance, également connu sous le nom de « Rapport Harmel », est un document majeur dans l’histoire de l’OTAN. Il réaffirme les principes de base de l’OTAN et introduit véritablement la notion de dissuasion et de détente, préparant le terrain pour les premiers pas de l'OTAN vers une approche plus coopérative des questions de sécurité, qui allait voir le jour en 1991.
- Le rapport du Conseil de 1967 sur les futures tâches de l’Alliance a été établi à l'initiative du ministre belge des Affaires étrangères Pierre Harmel, à un moment où l'existence de l'Alliance a été mise en question.
- Tout en admettant que l’environnement international a changé depuis 1949, le rapport réaffirme les buts et objectifs de l’Alliance et sa double fonction – politique et militaire –, et il définit un programme de travail pour l'OTAN.
- Il plaide également en faveur de l'adoption d'une double politique pour l'OTAN : une politique de dissuasion et de détente, qui consiste à maintenir une défense adéquate tout en favorisant la détente politique.
- Sur le plan politique, le rapport lance un appel en faveur de réductions équilibrées des forces à l’Est et à l’Ouest, et d’une solution aux problèmes politiques sous-jacents qui divisent l'Europe en général et l’Allemagne en particulier ; sur le plan militaire, le rapport évoque l’examen des « régions exposées », citant en particulier la Méditerranée.
- Il est considéré comme un document de réflexion politique et stratégique essentiel, qui communique au public l'esprit des documents stratégiques classifiés adoptés en 1967.
- Ce rapport a eu un impact durable sur la réflexion stratégique de l'Alliance : se fondant sur le rapport des Trois Sages (1956), il élargit l'approche de l'OTAN en matière de sécurité et anticipe le déblocage de l'impasse entre l'Est et l'Ouest.
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Objectif et contexte politique
Climat de changement et remise en question fondamentale
La publication, en 1956, du « rapport du Comité des Trois sur la coopération non militaire au sein de l’OTAN » marque le début des efforts déployés par l'OTAN pour adopter une approche plus coopérative des questions de sécurité, l'objectif étant d'élargir le cadre stratégique dans lequel opère l’Alliance. Le rapport a permis de renforcer le rôle politique de l'OTAN, à une époque où l'Organisation durcissait sa posture militaire et stratégique, les représailles massives constituant un élément essentiel de sa nouvelle stratégie. L’OTAN avait préconisé le recours à des représailles massives pendant une dizaine d'années avant d'adopter une stratégie de riposte graduée en décembre 1967. Jusque-là, l’assassinat du président Kennedy et la situation critique des États‑Unis au Vietnam avaient retardé toute nouvelle réflexion sur la stratégie de l’OTAN, les crises de Berlin avaient constitué un test concret de la stratégie de représailles massives de l’OTAN, et le retrait de la France de la structure militaire intégrée de l'OTAN en 1966 avait ébranlé la solidarité au sein de l’Alliance.
Les années 1966 et 1967 marquent donc un tournant pour l’Organisation. Le monde évolue en permanence, et l’on craint sans raison – mais l’on craint tout de même – que d’ici à trois ans, l’OTAN n’existe plus. Citons pour rappel l’article 13 du traité de Washington :
« Après que le Traité aura été en vigueur pendant vingt ans, toute partie pourra mettre fin au Traité en ce qui la concerne un an après avoir avisé de sa dénonciation le gouvernement des États-Unis d'Amérique, qui informera les gouvernements des autres parties du dépôt de chaque instrument de dénonciation. »
L’article donne la possibilité aux pays membres de se retirer de l’Alliance, rien de plus. Même si un pays membre décidait d'activer cette disposition, cela ne remettrait pas en question l'existence de l'Alliance en tant que telle.
Harmel – le temps des ajustements
À la réunion ministérielle du 16 décembre 1966, Pierre Harmel, alors ministre belge des Affaires étrangères, lance une initiative qui conduira à la rédaction du rapport portant son nom. Admettant que l’Organisation doit s’adapter pour rester pertinente et unie, il propose que l’Alliance entreprenne une large analyse des changements intervenus sur le plan international depuis la signature du Traité de l’Atlantique Nord en 1949, en vue de déterminer l'influence qu'ils ont sur elle et de définir les tâches qu’elle devra accomplir pour se renforcer en tant qu’élément d’une paix durable.
Les travaux sur les futures tâches de l’Alliance sont entrepris parallèlement à la rédaction d’une nouvelle stratégie pour l’Organisation, publiée en décembre 1967. Le MC 14/3 et le document militaire associé, le MC 48/3, offraient une telle souplesse, tant sur le fond que dans leur interprétation, qu’ils sont restés applicables jusqu’à la fin de la Guerre froide. Le Rapport Harmel, reflétant cette philosophie, allait être considéré comme un document de réflexion essentiel sur les plans politique et stratégique. Il a permis de communiquer efficacement au public (il s'agissait d'un document non classifié) l'esprit des documents stratégiques classifiés (MC 14/3 et MC 48/3).
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Méthodologie
L’autorité politique suprême de l’Organisation – le Conseil de l’Atlantique Nord – charge M. Harmel, en qualité de membre d’un groupe de représentants spéciaux, d’entreprendre la rédaction du rapport, qui comporte deux phases principales : premièrement, la mise en place de groupes spéciaux en février 1967, et deuxièmement, l’étape politique, avec la comparaison des conclusions de chaque groupe.
Première étape – la formation de groupes spéciaux
Un groupe spécial de représentants est mis en place sous la présidence du secrétaire général, Manlio Brosio, le 22 février 1967. Par la suite, le groupe spécial crée des sous-groupes, chacun étant présidé par un rapporteur désigné par les gouvernements des pays membres :
- Relations Est-Ouest », présidé par J.H.A. Watson, du ministère britannique des Affaires étrangères, et Karl Schutz, du ministère des Affaires étrangères de la République fédérale d’Allemagne
- Relations entre Alliés », présidé par Paul-Henri Spaak, ancien secrétaire général de l’OTAN
- Politique générale de défense », présidé par Foy D. Kohler, sous-secrétaire d’État délégué des États-Unis
- Relations avec les autres pays », présidé par C.L. Patijn, professeur de relations internationales à l’Université d’Utrecht, aux Pays-Bas.
Ces groupes entament leurs travaux en avril 1967.
Seconde étape – consultations et négociations
La seconde étape – d’ordre politique – du processus se déroule en octobre 1967. Les rapporteurs se réunissent pour la dernière fois le 11 octobre à Ditchley Park, au Royaume-Uni. À cette occasion, les conclusions des différents sous-groupes sont comparées.
Le secrétaire général, Manlio Brosio, consulte directement les pays membres, la plupart du temps afin de servir de médiateur, par exemple pour les divergences existant entre les États-Unis, qui ne souhaitent pas se voir forcer la main par la France, et le Royaume-Uni, qui, appuyé par d’autres pays membres, souhaite la rédaction d’un rapport plus acceptable pour les autorités françaises.
Les méthodes utilisées par les rapporteurs des groupes varient, suscitant parfois des plaintes de la part de certains pays membres, qui estiment qu'elles sont confuses. Deux des quatre rapporteurs sont critiqués pour leur « méthode très personnelle », tandis que d’autres, comme M. Spaak, sont critiqués pour leur façon d’aborder les questions d’un point de vue plus théorique que réaliste. Par ailleurs, des désaccords de fond apparaissent inévitablement, dus au fait que quinze pays membres doivent examiner un très large éventail de questions. C’est ainsi que sur la question clé des relations Est-Ouest, les opinions divergent, le point de vue plus optimiste du Royaume-Uni sur la détente s’opposant au scepticisme de la République fédérale d’Allemagne. En définitive, la conclusion est qu’il n’y a pas de contradiction entre l’OTAN et une politique de détente, et que la présence des États-Unis en Europe est importante pour garantir un ordre de paix durable.
Les quatre rapports forment la base du rapport de synthèse – connu sous le nom de « Rapport Harmel » – élaboré par le Secrétariat international début décembre 1967. Ce rapport est présenté aux ministres des Affaires étrangères, avant de faire l’objet d’un débat complémentaire. Après quelques modifications, le rapport final est approuvé par les ministres le 14 décembre 1967, puis diffusé comme annexe au communiqué final.
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Conclusions du rapport et programme de travail
Le Rapport Harmel est un document très court, qui comprend dix-sept paragraphes. Il met l’accent sur deux tâches essentielles de l’Alliance et sur plusieurs autres questions clés.
Les deux tâches essentielles de l’Alliance
- « …maintenir une puissance militaire et une solidarité politique suffisantes pour décourager l’agression et les autres formes de pression et pour défendre le territoire des pays membres en cas d’agression » ;
- « …poursuivre ses efforts en vue de progresser vers l’établissement de relations plus stables qui permettront de résoudre les problèmes politiques fondamentaux ».
Le texte se poursuit ainsi :
« La sécurité militaire et une politique de détente ne sont pas contradictoires. La défense collective est un facteur de stabilité dans la politique mondiale. Elle est la condition nécessaire d’une politique efficace visant à un plus grand relâchement des tensions. Le chemin de la paix et de la stabilité en Europe consiste notamment à utiliser l’Alliance dans un esprit constructif dans l’intérêt de la détente. La participation de l’URSS et des USA sera nécessaire pour le règlement des problèmes politiques en Europe ».
Principales préoccupations
- Adaptabilité : l’Alliance est capable de s’adapter à l’évolution de la situation dans le cadre des dispositions du Traité et de continuer à contribuer au maintien de la paix dans un environnement de sécurité international très différent de celui de 1949
- Stabilité : les pays membres de l'Alliance partagent un certain nombre d’idéaux et d’intérêts, et leur cohésion garantit la stabilité dans la zone atlantique
- Détente : les Alliés ne sont pas tenus de subordonner leur politique à une décision collective, mais le processus de consultation devrait être amélioré en vue de rechercher un terrain d'entente sur la question clivante de la détente avec l’Union soviétique et les pays de l’Europe de l’Est
- Réunification de l’Allemagne : la détente ou le « relâchement des tensions » ne constitue pas l’objectif final, mais les Alliés sont conscients que s’ils veulent parvenir à un « ordre de paix durable », la question allemande doit être réglée
- Désarmement : la maîtrise des armements ou les réductions équilibrées des forces jouent un rôle important s’agissant de travailler à une véritable détente avec l’Est
- Régions exposées : ces régions doivent faire l’objet d’un examen, en particulier le flanc sud-est et la Méditerranée.
Conclusion
Le rapport conclut que l’Alliance a un rôle très important à jouer en vue du développement de la détente et du renforcement de la paix. À ce titre, il préconise l’adoption d’une double approche de la défense selon laquelle « la sécurité militaire et une politique de détente ne sont pas contradictoires mais complémentaires » ou, comme l’indique M. Kohler, sous-secrétaire d’État délégué des États-Unis, dans son rapport, l’adoption d’une stratégie de sécurité à « deux piliers ».
L’ensemble du processus d’autoexamen a permis non seulement de réaffirmer l’unité et la cohésion de l’Alliance, mais également d’exposer clairement ses préoccupations et ses objectifs principaux. Par ailleurs, l’ajout d’un passage sur la défense dans le rapport final a donné l’occasion à l’Alliance d’obtenir un soutien en faveur de sa nouvelle stratégie militaire, publiée la même année.