Rencontre avec Oana Lungescu, première femme porte-parole de l'OTAN, et détentrice du plus long mandat à ce poste
En 2010, Oana Lungescu devient la première femme, la première ex-journaliste et la première personne née dans l'ancien bloc de l'Est à occuper le poste de porte-parole de l'OTAN. Durant son mandat de 13 ans, Oana a servi deux secrétaires généraux et a supervisé la communication de l'Alliance à des moments charnières pour la sécurité euro-atlantique. Mais en quoi l'enfance d'Oana dans la Roumanie communiste a-t-elle influé sur son cheminement vers l'OTAN ? Qu'a signifié pour Oana la chute du mur de Berlin ? Et comment la relation de l'OTAN avec la Russie a-t-elle évolué durant son mandat ?
Du bloc de l'Est à l'OTAN
« J'ai grandi du mauvais côté du rideau de fer », commence Oana. Elle grandit sous le règne autoritaire de Nicolae Ceaușescu, qui dirige l'un des régimes les plus répressifs du bloc de l'Est, où l'OTAN est considérée comme l'ennemi numéro un. « Nous avions très peu à manger, pas de chauffage, aucune possibilité de voyager. Nous étions censés nous espionner les uns les autres. Mais nous avons gardé notre liberté de penser. J’ai grandi en écoutant les stations de radio étrangères, littéralement cachée sous les couvertures de mon lit, de peur que mes voisins me dénoncent à l’effroyable Securitate, la police secrète. Pour ma famille, l'OTAN a toujours été un phare dans la nuit. »
Plus tard, la Securitate tente de la recruter comme informatrice en échange de médicaments anti-cancéreux pour son père mourant. Elle refuse, et des années plus tard, elle enregistre plusieurs documentaires de la BBC sur la recherche de ses dossiers de la Securitate. Elle finit par réussir à rejoindre sa mère en Allemagne et commence à travailler comme journaliste au BBC World Service. Ayant été témoin de la brutalité d'un régime communiste, elle se souvient parfaitement de l'année 1989, qui marque la fin du communisme en Europe centrale et orientale. « Je couvrais ces événements depuis le BBC World Service à Londres. Lorsqu'est intervenue la chute du mur de Berlin, nous avions conscience d'assister au début de l’effondrement d’un gigantesque jeu de dominos, dans toute l’Europe. « C'était grandiose, extraordinaire. De simplement observer le bonheur que la liberté peut procurer à un peuple. Pour moi, on peut vraiment parler de “l'an de grâce” 1989. »
Oana aux archives de la Securitate, enquêtant sur ses propres dossiers de la police secrète, en 2009
Oana devient alors correspondante de BBC Europe ; elle couvre l'actualité de l'UE et de l'OTAN depuis Bruxelles puis depuis Berlin.
« En 1997, lorsque j'ai dit à mes rédacteurs que l'élargissement de l'OTAN et de l'UE serait un événement majeur, peu pensaient que cela arriverait », déclare-t-elle. Alors que les anciens pays communistes opèrent d'importantes réformes pour adhérer à l'Alliance, l'OTAN tend également la main à la Russie en vue de mettre en place un partenariat – lequel subsistera jusqu'à l'agression perpétrée par Moscou contre l'Ukraine. En 1999, la Tchéquie, la Hongrie et la Pologne deviennent membres de l’OTAN. En 2004, sept autres pays – dont la Roumanie – rejoignent l'Alliance à l'occasion de la plus grande vague d'élargissement intervenue à ce jour. « J'étais là, et le moment où j’ai pu voir flotter le drapeau de la Roumanie et celui de tous les autres pays devenus membres en même temps a probablement été l’un des plus émouvants de ma vie. Je pense avoir versé une larme », avoue Oana. « C'était comme des retrouvailles : des pays qui faisaient partie de la famille euro-atlantique, mais qui en avaient été écartés pendant de nombreuses décennies, étaient enfin de retour chez eux. »
Aux commandes de la communication de l'OTAN en période de turbulences
Le mandat d'Oana en tant que porte-parole coïncide avec la période des pires turbulences depuis la Guerre froide, marquées notamment par la dégradation des relations OTAN-Russie. « Le sommet de l'OTAN de 2010, à Lisbonne, est le premier événement de haut niveau auquel j'ai participé en tant que porte-parole. À l'époque, nous aspirions à mettre en place un partenariat stratégique avec la Russie, et Medvedev, qui était alors président, assistait au sommet. Je me souviens avoir dit aux membres de la délégation russe que leur président ne pouvait pas s'adresser aux médias avant le secrétaire général et le président Obama à la fin du sommet comme ils le souhaitaient – tels étaient les problèmes à régler avec la Russie à ce moment-là. Aujourd'hui, le monde a bien changé. »
Lorsque la Russie annexe illégalement la Crimée en 2014, Oana se souvient d'une inflexion majeure dans les travaux menés par l'OTAN pour contrer la désinformation en s’appuyant sur des faits. « Nous avons été la première organisation internationale à instaurer un portail intitulé ‘Mise au point’, qui démonte les principaux messages de désinformation russes », explique Oana. L'OTAN s'appuie aussi plus résolument sur les images satellites pour révéler les mouvements de troupes russes aux frontières de l'Ukraine.
Fin 2021, alors que la Russie planifie son invasion à grande échelle de l’Ukraine, Oana et son équipe passent de la réfutation des fausses informations à leur réfutation préventive – qui consiste à dénoncer les plans et les récits fallacieux de la Russie à l'avance afin que les différents publics sachent à quoi s'en tenir. « À chaque conférence de presse, dans chaque discours du secrétaire général, nous révélions les plans et les intentions de la Russie. En déclassifiant une quantité sans précédent de données du renseignement, nous confrontions le grand public à la réalité du terrain. »
Le 24 février 2022, la Russie lance son invasion à grande échelle. « Cela a été un choc, mais pas une surprise », déclare Oana. « Voir la Russie concentrer des troupes et des capacités et acheminer des banques de sang en direction de la frontière était une indication de l'imminence de l'invasion. »
« Nous nous attendions au lancement de l'invasion vers 4 heures du matin », poursuit Oana. « Je savais que la nuit serait courte. À mon arrivée au bureau, très tôt en ce matin gris de février, l'équipe de presse était déjà présente, nous informions nos dirigeants en temps réel de ce que nous observions dans l'espace médiatique et nous étions prêts à nous rendre à la réunion du Conseil de l'Atlantique Nord. Nous étions préparés. L'OTAN était préparée. »
Briser le plafond de verre
Oana reconnaît qu'au moment de sa nomination, en 2010, le recrutement d'une femme au poste de porte-parole de l'OTAN était un choix inhabituel. Mais c'était aussi un signal témoignant d'une Organisation plus inclusive. « D'après les sondages, les femmes sont susceptibles de moins bien connaître l'OTAN et sont donc moins disposées à y être favorables. Ma nomination a été un signal important adressé aux femmes de toute l'Alliance : elles sont une composante de la sécurité et de la défense et doivent donc être une composante de la solution. »
La vie après l’OTAN
Le 18 juillet 2023, le secrétaire général de l'OTAN, Jens Stoltenberg, décerne à Oana la médaille du mérite OTAN. Elle continue de participer aux débats sur la sécurité et la défense en sa qualité de membre honoraire du Royal United Services Institute (RUSI), principal centre de recherche britannique sur la défense et la sécurité, et en sa qualité de conseillère sénior au European Policy Centre (EPC), où elle rédige et interagit avec les médias internationaux.
Après treize années passées au service de l'Alliance, la passion d'Oana pour l'OTAN demeure intacte. « Pour moi, rejoindre l'OTAN était bien plus qu'une simple étape dans ma carrière, c'était une mission. Et même si je suis retraitée aujourd’hui, cette organisation continue de déterminer qui je suis. »
Oana et le secrétaire général, Jens Stoltenberg, qui lui décerne la médaille du mérite OTAN en juillet 2023.
Restons forts et restons unis. Unies, l’Europe et l’Amérique du Nord peuvent relever tous les défis, comme elles le font depuis 75 ans, en particulier maintenant que nous assistons au rapprochement d'autocraties comme la Russie, la Chine, l'Iran et la Corée du Nord. Nous vivons un moment charnière : ce que nous faisons ou ne faisons pas changera la face du monde pour les générations à venir.
Cet article fait partie de la série « Nous sommes l'OTAN », publiée à l’occasion du 75e anniversaire de l’Alliance.
D'anciens membres du personnel sont invités à raconter leur parcours et la manière dont ils ont vécu les moments clés de l’Alliance et les grands événements de l’histoire, comme la Guerre froide et l'année 1989, les premières missions hors zone, les partenariats, ou encore le 11-Septembre.