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Mise à jour : 8-février-2001 Revue de l'OTAN

Edition Web
Vol. 48 - No. 3
Hiver 2000 2001
p.16-21
 

La guerre des médias

Daniel Deluce voque la rforme des mdias en Bosnie, qui a vraiment commenc lorsque les soldats de la paix se sont empars des metteurs de la tlvision serbe bosniaque.
Daniel Deluce, ancien correspondant de Reuters Sarajevo, a travaill du printemps 1998 l'automne 2000 pour le Bureau du Haut Reprsentant, o il s'est occup de la rforme des mdias en Bosnie.


Une arme fatale: si la communaut internationale avait regard la tlvision serbe la fin des annes 80, elle y aurait sans doute peru les signes du triste sort qui attendait l'ex-Yougoslavie.
(Photo Reuters - 338Kb)

En Serbie, les manifestants l'appelaient la Bastille. Pendant 13 ans, le sige de la radio-tlvision d'Etat avait t un odieux symbole du rgime autoritaire du prsident yougoslave Slobodan Milosevic. Lorsque des manifestants prirent d'assaut Radio-Tlvision Serbie, ce fut la fin du rgne de Milosevic. Lorsque celui-ci ne parvint pas persuader l'arme ou la police de dfendre le monopole qu'il exerait sur la tlvision, sa dictature cessa d'exister. La citadelle tait tombe.

Radio-Tlvision Serbie (RTS) tait l'instrument le plus redoutable de Milosevic, une sorte de matraque lectronique qui lui permettait de mettre la raison les opposants la guerre et d'amener le reste de la population en admettre la ncessit. La Serbie est encore loin du rgne de la dmocratie et de l'Etat de droit, mais la fin du pouvoir absolu que Milosevic exerait sur la RTS a ouvert une re politique nouvelle et offre la libert d'expression une chance de prendre racine.

Si la communaut internationale avait regard de plus prs cette station de tlvision la fin des annes 80, elle y aurait sans doute peru les signes avant-coureurs du triste sort qui attendait l'ex-Yougoslavie. La RTS et les autres mdias contrls par Milosevic ont cr les conditions qui ont rendu la guerre possible, en faisant rgner la peur chez des voisins pacifiques et en persuadant une bonne partie des Serbes que les spectres de la Seconde guerre mondiale taient revenus pour les massacrer. La RTS a construit un trange univers dans lequel Sarajevo, la capitale bosniaque, n'avait jamais t assige et la ville croate de Vukovar, dvaste, avait t libre. L'offensive mdiatique lance Belgrade a contribu faire natre une propagande tout aussi dtestable dans d'autres rpubliques yougoslaves, et les squelles en seront ressenties pendant des annes.

Depuis le dbut des combats dans l'ex-Yougoslavie, les Etats membres de l'OTAN et d'autres pays occidentaux ont dpens des millions de dollars dans les Balkans, particulirement en Bosnie-Herzgovine (la Bosnie) et en Serbie, afin de rparer les dommages causs par la guerre. En Serbie et au Montngro, l'assistance internationale a aid le public avoir accs d'autres sources d'information et contribu mettre en chec la dsinformation pratique par les mdias officiels. La Bosnie connat maintenant un dbut de pluralisme et de libert des mdias, grce en partie aux dons faits par la communaut internationale la presse crite et radio-tlvise indpendante.

Nanmoins, lorsqu'il s'agit de prvenir des conflits ou de consolider la paix, les mdias ne bnficient pas toujours de la priorit qu'ils mritent. Malgr le rle destructeur que les mdias avaient jou en attisant les haines ethniques dans l'ex-Yougoslavie, l'Accord de paix mettant fin la guerre de Bosnie, ngoci Dayton (Ohio), ne comportait aucune disposition spcifique applicable aux mdias du nouvel Etat, si ce n'est une brve allusion la libert de la presse propos des lections. Depuis lors, les organisations internationales charges de superviser la mise en œvre de l'accord de paix n'ont mnag ni leur temps ni leurs efforts pour combler cette lacune.

Jusqu' l'automne 1997, la communaut internationale tait oblige, en Bosnie, de tolrer la haine que vomissait Srpska Radio-Televizija (SRT), la station contrle par les protgs de Milosevic Pale (Republika Srpska), tout prs de Sarajevo. En l'absence d'une rglementation cohrente concernant les frquences ou les licences d'exploitation, et confront un appareil judiciaire sous influence politique, le Haut Reprsentant de l'poque, Carl Bildt, qui avait dit de la SRT qu'elle tait un mdia dont mme Staline aurait eu honte, ne disposait que de moyens trs limits. Toutefois, vers la fin de son mandat, en mai 1997, Bildt jeta les bases d'une approche plus rigoureuse. Le Conseil de mise en œvre de la paix, qui runissait les pays et les organisations internationales ayant un rle jouer dans le processus de paix en Bosnie, approuva, Sintra (Portugal), un document qui confrait au Haut Reprsentant le pouvoir d'intervenir contre les mdias constituant une menace pour l'accord de paix. Il s'agissait d'un texte gnral qui, en filigrane, visait les programmes incendiaires de la SRT.

A l't 1997, il devint de plus en plus clair que la SRT tait en train de saper le processus de paix. En plus des termes incendiaires utiliss pour parler des non-Serbes et de l'hostilit affiche l'gard de nombreux aspects des accords de paix, l'opposition politique qui existait en Republika Srpska tait prive du droit d'antenne et rgulirement attaque dans les bulletins d'information du soir. Tandis que s'engageait un bras de fer entre les faucons au pouvoir Pale et les allis plus modrs de Biljana Plavsic, alors Prsidente de la Republika Srpska, Banja Luka, les responsables de la SRT reurent de nouveaux avertissements, qui n'eurent gure d'effet. Les attachs de presse du nouveau Haut Reprsentant, Carlos Westendorp, voqurent l'ventualit d'une action militaire contre la SRT, mais la Force de stabilisation (SFOR) dirige par l'OTAN demeura prudente dans ses dclarations publiques.

Ce fut une priode de tension pour la Mission de maintien de la paix et les Etats membres de l'OTAN. Les missions de la SRT taient consternantes, mais les gouvernements occidentaux craignaient qu'en cas d'intervention des soldats de la paix, les dirigeants de Pale ne s'assurent des sympathies s'ils se prsentaient en dfenseurs de la libert d'expression. L'vnement qui allait tout dclencher se produisit en juillet, lorsque Mme Plavsic remania la direction de la police de Banja Luka avec le soutien d'lments britanniques et tchques de la SFOR. On apprit l'existence des prparatifs d'un coup d'Etat des responsables de Pale contre Mme Plavsic. La SRT condamna le rle jou par la SFOR, que, dans une bande vido, elle compara aux SS de l'poque nazie. Cette propagande devenait ds lors une menace pour la SFOR elle-mme.

Lorsque la SRT diffusa un compte rendu dform d'une confrence de presse du Procureur du Tribunal pnal international de La Haye pour les crimes de guerre, les troupes de la SFOR intervinrent la demande de Carlos Westendorp, et elles s'emparrent de quatre metteurs, le 1er octobre 1997. La SRT reprit ensuite ses missions, avec de nouveaux directeurs de programme, dans les studios de Banja Luka, o les quipes taient plus proches des amis de Mme Plavsic. Les bulletins d'information gardaient un caractre nationaliste, mais les excs du pass avaient disparu. Le choc en retour que l'on avait craint ne se produisit pas. Beaucoup de journalistes serbes avaient jug la SRT sa juste valeur, celle d'un instrument politique qui n'avait rien voir avec le journalisme ou un service public.

Les dirigeants de Pale n'avaient pas dissimul le caractre partisan de la structure de la SRT, dont le Conseil d'administration tait dirig par Momcilo Krajisnik, haut responsable du Parti dmocratique serbe (Srpska demokratska stranka, ou SDS), parti nationaliste au pouvoir, puis membre serbe de la prsidence collgiale de la Bosnie (Krajisnik est maintenant en instance de jugement La Haye pour crimes de guerre). Aprs l'intervention de la SFOR, le Bureau du Haut Reprsentant (OHR) ngocia avec Mme Plavsic des arrangements intrimaires pour la SRT, et ceux-ci firent l'objet d'un accord en fvrier 1998. Ils instituaient un conseil d'administration apolitique et prvoyaient la nomination d'un administrateur international qui aurait pour tche de promouvoir l'instauration des normes de diffusion et de l'indpendance de la rdaction qui doivent tre celles d'un service public.

Pour la Bosnie, la saisie des metteurs de la SRT fut un tournant dcisif. Elle cra un champ plus libre pour les lections et ouvrit la voie au pluralisme et la libert des mdias Banja Luka, la plus grande ville de la Republika Srpska. La communaut internationale fit savoir clairement qu'elle tait prte agir pour que cessent les incitations la haine et l'exercice d'influences partisanes sur les missions destines au public. Elle mit ainsi un terme au monopole que les faucons imposaient la tlvision de la Republika Srpska. La crise qui avait clat au sujet de la SRT montrait quel point les partis nationalistes au pouvoir dans tout le pays continuaient dominer les mdias les plus influents et faire obstacle tout vritable dbat. A l'vidence, les mdias bosniaques devaient subir une rforme systmique pour pouvoir s'aligner sur les normes en vigueur dans les dmocraties. Avec le soutien des pays donateurs, l'OHR commena mettre au point une stratgie visant assurer aux mdias une libert durable.

Au fil du temps, cette stratgie prit la forme d'une entreprise vraiment ambitieuse. Il s'agissait de crer un cadre rgulateur l'intention des responsables des programmes, de rformer le secteur public de la radio et de la tlvision, de maintenir le soutien financier accord aux mdias indpendants, d'organiser dans les services publics des campagnes visant expliquer l'action de la communaut internationale et d'assurer aux journalistes une protection juridique.

En dcembre 1997, le Conseil de mise en œvre de la paix, runi Bonn, demanda l'institution d'un organisme rgulateur qui dlivrerait les autorisations ncessaires aux responsables des programmes selon des critres de transparence. Cet organisme, qui prit par la suite le nom de Commission pour les mdias indpendants (IMC), devait d'abord fonctionner sous surveillance internationale, pour devenir finalement une institution nationale. Il avait pour but de mettre les responsables des programmes en situation de concurrence loyale et de dpolitiser les missions.

Finance par les Etats-Unis et l'Union europenne, l'IMC fut cre en juin 1998 sur ordre du Haut Reprsentant. Chaque dpartement tait dirig par un responsable international qu'assistait un adjoint bosniaque. Une instance d'appel compose de Bosniaques et d'experts trangers, le Conseil de l'IMC, fut constitue pour examiner les recours que pourraient introduire les diffrentes stations. Depuis lors, l'IMC est parvenue mettre en place un cadre rgulateur qui a permis de faire disparatre le type de manipulation politique qui accompagnait la dlivrance des autorisations. En promulguant un code de dontologie en matire de radio-tlvision, l'IMC a contribu la dissuasion exerce l'encontre des dclarations incendiaires, les stations hsitant gnralement risquer de perdre les autorisations qu'elles dtiennent ou qu'elles esprent encore obtenir. Certaines ont t rprimandes ou mises l'amende. Quelques-unes ont t temporairement prives de leurs droits d'mission, et deux ont t fermes pour avoir occup des frquences de faon illgale et fait usage de faux.

L'IMC reste cependant sous surveillance. Des journalistes bosniaques et d'autres organismes internationaux lui ont reproch son manque de svrit l'gard de propagandistes notoires et son peu d'empressement unifier un march des mdias en tat de saturation. Dans un pays qui compte moins de quatre millions d'habitants, il existe quelque 280 sources d'missions de radio et de tlvision, proportion qui constitue probablement un record mondial. L'IMC affirme que pour les nouvelles autorisations long terme, les critres seront beaucoup plus stricts, ce qui aura pour effet de rationaliser le march. Elle fait galement valoir qu'il lui faut respecter les procdures lgales qui permettent aux stations de continuer fonctionner, ce qui l'empche d'agir avec toute la rapidit rclame par ses dtracteurs.

Un problme plus fondamental tient ce que l'IMC doit combattre des intrts solidement ancrs avec des ressources limites et sans mcanisme lui permettant de faire appliquer ses dcisions. Dans les cas extrmes, elle peut recourir la SFOR, mais seulement si les Etats membres de l'OTAN estiment qu'une action de leur part est ncessaire. Les dcisions prises l'encontre d'Erotel, station contrle par les faucons bosno-croates de l'Union dmocratique croate (Hrvatska demokratska zajednica, ou HDZ), sont restes lettre morte pendant un an.

Quelles que soient ses insuffisances, l'IMC a tabli une norme de transparence et d'quit qui a fortement rduit l'ingrence des milieux politiques dans les missions radio-tlvises. Elle a pris pour modles les organismes rgulateurs existant dans l'Union europenne et en Amrique du Nord et s'est abstenue de rglementer la presse crite, prfrant aider les associations de journalistes s'entendre d'elles-mmes sur un code de dontologie. Si la presse crite commet encore beaucoup d'excs, il existe maintenant un grand nombre de publications indpendantes qui viennent contrebalancer de tels abus.

Pour l'avenir, la grande question est de savoir comment et quand les activits de l'IMC seront transfres aux autorits locales. Un ambitieux calendrier prvoyait ce transfert pour l'anne en cours, mais il a t revu, et son chance a t remise plus tard. Les institutions bosniaques doivent encore montrer qu'elles peuvent oprer dans la transparence et sans esprit partisan. Les Etats donateurs ont approuv un plan visant faire entrer l'IMC dans le cadre d'un seul et mme organisme rgulateur des tlcommunications fonctionnant sous surveillance internationale. L'actuel Haut Reprsentant, Wolfgang Petritsch, a estim que la gamme des frquences constituait une ressource conomique capitale qui devait tre contrle de manire mettre en chec les ingrences politiques et les perversions monopolistiques.

Construire un service public de radio-tlvision sur les ruines d'un systme inefficace sgrgation ethnique s'est rvl la tche la plus difficile dans la stratgie de l'OHR. Les dtenteurs de droits politiques acquis se sont battus pour garder le contrle de ce qu'il restait de l'ancienne Radio-Tlvision Sarajevo, station nationale dont la Bosnie disposait avant la guerre. Peu avant le dbut des hostilits, au printemps 1992, le dirigeant nationaliste serbe Radovan Karadzic proposa de diviser la station rpute pour l'quilibre de ses programmes, mme si ceux-ci manquaient quelque peu d'lvation en trois chanes ethniquement spares. Sa proposition fut rejete, mais elle se concrtisa une fois la guerre engage. Les moyens de Radio-Tlvision Sarajevo furent rpartis en fonction des conqutes territoriales. Des stations spares base ethnique furent cres avec une aide de Zagreb et de Belgrade. Dans les zones contrles par le gouvernement bosniaque, la tlvision de Sarajevo prit le nom de Radio-Tlvision Bosnie-Herzgovine (RTV BiH) et tomba sous la coupe politique du Parti d'action dmocratique (Stranka demokratske akcije, ou SDA), parti bosniaque musulman d'Alija Izetbegovic. Bien que s'adressant exclusivement aux Musulmans de Bosnie, la RTV BiH ne se laissa jamais aller aux propos haineux qu'avaient tenus les mdias des rgimes croate et serbe.

Dans les six mois qui suivirent l'intervention de la SFOR contre la SRT, Carlos Westendorp lana une initiative plus gnrale visant rformer l'ensemble du secteur public de la radio-tlvision. Aprs des mois de ngociations avec la Prsidence tricphale du pays, il persuada les reprsentants croate et bosniaque musulman mais non le reprsentant serbe d'accepter un mmorandum d'entente sur l'avenir des missions radio-tlvises. Ce document prvoyait la mise en place d'un nouveau service public de radio-tlvision qui pratiquerait la tolrance religieuse, respecterait l'indpendance des rdactions et fonctionnerait dans des conditions de transparence financire. Il prvoyait galement la cration d'un rseau public national de radio-tlvision ainsi que celle d'un service destin la Fdration de Bosnie-Herzgovine (la Fdration), entit lgrement majoritaire du pays. Il imposait aussi aux responsables des missions de Serbie et de Croatie de respecter les lois et rglements de la Bosnie. En pratique, toutefois, les rgimes de Belgrade et de Zagreb ne tinrent aucun compte de ces dispositions, le SDA fit plus tard obstacle l'application des rformes prvues dans le mmorandum et la HDZ ne voulut plus en entendre parler aprs le changement du membre croate de la Prsidence bosniaque.


Un message pointu: les soldats de la paix dirigs par l'OTAN ont saisi quatre metteurs de la tlvision bosno-serbe, qui persistait diffuser des programmes incendiaires.
(Photo Reuters - 317Kb)
Un nouveau conseil d'administration, multiethnique, fut cependant nomm la tte de la RTV BiH, mais ses travaux se heurtrent l'opposition des fidles du SDA. Le mmorandum tant au point mort un an aprs sa signature, Carlos Westendorp imposa l'ensemble du pays un nouveau Service public de radio-tlvision (PBS). Publie le dernier jour de son mandat, en juillet 1999, cette dcision crait une structure assez libre conue pour faire en sorte que le statut d'Etat de la Bosnie soit respect, que les programmes mis sous le contrle du SDA cdent la place un vritable service multiethnique et qu'un mode de fonctionnement financirement raliste soit adopt.

Les juristes de l'OHR trouvrent les bases juridiques de l'tablissement d'un service de radio-tlvision d'Etat dans l'article II de la constitution bosniaque, qui voque la mise en place par l'Etat de moyens de tlcommunications. Cette avance se traduisit par la fin des dbats juridiques visant faire obstacle une radio-tlvision publique multiethnique. La Fdration tait galement dote d'un service de radio-tlvision. En outre, les metteurs des deux entits n'auraient accs aux programmes internationaux que par l'intermdiaire du nouveau service de la BiH, qui reprsenterait la Bosnie dans les organisations internationales. Ainsi tait limin le vide juridique qui avait permis la prsence de grandes chanes publiques uniethniques. Le nouveau service devait diffuser quotidiennement au moins une heure de programmes consacrs aux informations et aux questions d'actualit. La dcision tait prsente comme une mesure provisoire et laissait aux reprsentants politiques futurs la possibilit d'apporter les modifications ou les dveloppements ncessaires. Etant donn les contraintes de l'Accord de Dayton, les limites du financement accord par les donateurs et la paralysie qui marquait le climat politique de l'poque, l'OHR tait all aussi loin qu'il le pouvait.

Le PBS a maintenant remplac la RTV BiH au sein de l'Union europenne de radio-tlvision, et il retransmet des manifestations sportives internationales dans l'ensemble du pays. Les Jeux olympiques ont t prsents par une quipe de commentateurs multiethnique, et un programme consacr aux questions d'actualit a permis aux tlspectateurs de participer un dbat dans le cadre de la campagne lectorale. Un expert de la BBC a trac les lignes directrices de la cration d'une structure de gestion conforme aux pratiques europennes modernes. Le Haut Reprsentant a nomm des conseils d'administration multiethniques la tte des services de radio-tlvision des entits, la fois en Republika Srpska et dans la Fdration.

Les partis nationalistes ont invitablement cherch manipuler le conseil d'administration du PBS, en faisant toujours obstacle ses travaux et en prsentant l'ensemble du projet comme un chec. A l'vidence, l'chec se trouve du ct des dirigeants politiques du pays. Si ces derniers avaient adopt les normes et les principes multiethniques qui devaient tre ceux d'un service public de radio-tlvision, la communaut internationale ne serait jamais intervenue. Etant donn l'hostilit des partis nationalistes, on peut comprendre les retards qu'a subis la diffusion par le PBS de bulletins d'information du soir. Il n'en est pas moins devenu indispensable de recruter rapidement des rdacteurs de talent et de permettre au PBS de commencer diffuser ces bulletins. Si l'on veut que disparaissent l'intimidation et l'intolrance religieuse, il est essentiel que tout le pays dispose, avec le PBS, d'un service d'information de qualit. Le dveloppement du pluralisme sur la scne politique bosniaque et les rcents vnements de Croatie et de Serbie devraient apporter un rpit propice la consolidation du PBS.

Le projet de mdias privs le plus ambitieux lanc dans les Balkans le fut par le premier Haut Reprsentant, Carl Bildt, peu avant les premires lections tenues dans le pays, en 1996. Les Etats-Unis et l'Union europenne financrent la cration d'un nouveau rseau de tlvision multiethnique, appel Open Broadcast Network (OBN), qui devait offrir une formule commerciale permettant de remplacer sur les ondes les stations uniethniques mettant sous contrle politique. Ce rseau connut pourtant des dbuts peu prometteurs, avec des journalistes insuffisamment qualifis et des programmes de mdiocre qualit. Il fut d'abord gr par des diplomates n'ayant qu'une exprience plus que limite en matire de radio-tlvision. L'OBN ne joua aucun rle dans la campagne lectorale de 1996, car il avait peine commenc d'mettre la veille du scrutin. Moins de deux annes plus tard, aprs de trs importants apports de fonds et des conseils prodigus par des professionnels de la tlvision, l'OBN avait mis sur pied un solide programme d'informations multiethnique qui avait vraiment supplant la propagande des partis nationalistes. Les partis de l'opposition citoyenne pouvaient enfin faire parvenir leur message aux lecteurs.

L'OBN se heurta une farouche rsistance des partis nationalistes, en particulier du SDA, qui cherchait le priver de l'usage de ses frquences. Certains Etats donateurs refusrent de l'aider, prfrant des mdias autochtones. Malgr son cot lev et ses insuffisances, l'OBN joua un rle non ngligeable dans l'limination des barrires ethniques et la cration en Bosnie d'un certain pluralisme. En 1996, l'Organisation pour la scurit et la coopration en Europe (OSCE) et le gouvernement helvtique lancrent un rseau de radiodiffusion multiethnique, Radio FERN, qui a suscit moins de controverses. Radio FERN a galement offert un service d'information de qualit chappant aux pressions nationalistes ou politiques et contribu la mise en place d'un rseau de stations indpendantes dans tout le pays.

Les Etats-Unis et l'Union europenne, principaux commanditaires de l'OBN, avaient espr que cette station pourrait donner naissance un rseau commercial autonome, couvrant ventuellement une plus vaste rgion d'expression serbo-croate.

Cependant, l'conomie bosniaque demeure pauvre, et le march de la radio-tlvision est satur. Les donateurs risquent ds lors de considrer que l'OBN ne peut tre un succs sur le plan commercial. En fait, ils envisagent d'ores et dj d'incorporer le service des informations dans la structure du PBS. Quel que soit le sort qu'il connatra finalement, l'OBN a jou un rle extrmement prcieux s'agissant de contrebalancer les inventions et les distorsions des programmes diffuss sous le contrle des partis nationalistes.

Financer des organes d'information dans un systme autoritaire comporte invitablement des risques. Chaque fois que d'importantes sommes d'argent parviennent une socit corrompue et antidmocratique, les forces politiques dominantes trouvent les moyens de s'emparer de cet argent ou de la station laquelle il est destin. Pour que l'aide accorde soit efficace, et pour que l'argent des contribuables ne soit pas gaspill, il est indispensable que les Etats donateurs adoptent une approche plus cohrente et plus unifie. Jusqu'ici, pourtant, l'approche de la communaut internationale a souvent fait penser un tir de plombs de chasse: une partie seulement de l'aide atteint la cible, et tout le reste se perd dans la nature. En Bosnie, le chaos qui rgne sur le march des mdias rsulte dans une certaine mesure de l'empressement des pays occidentaux financer de nouvelles stations de radio et de tlvision.

Toute foi excessive en la commercialisation du secteur de la radio-tlvision comporte aussi un danger, spcialement pour le long terme. Le financement d'une station prive ne dbouche pas automatiquement sur l'indpendance de la rdaction. Dans les pays ne disposant pas d'un pouvoir judiciaire autonome ou d'une lgislation commerciale approprie, les stations prives sont extrmement vulnrables aux manipulations des forces politiques ou financires en place. L'exemple de la corruption des stations et publications commerciales dans toute l'ex-Union sovitique devrait servir de mise en garde contre un financement du secteur priv qui ne serait pas assorti de conditions rigoureuses. En l'absence de telles prcautions, des mdias censment indpendants se transforment en armes politiques payes par les contribuables de l'Union europenne et de l'Amrique du Nord.

Afin de faire en sorte que les mdias commerciaux de Bosnie puissent se dvelopper dans des conditions de libre concurrence, l'actuel Haut Reprsentant, Wolfgang Petritsch, a rcemment suspendu la privatisation des mdias jusqu' ce qu'il soit possible de procder un examen approfondi de la situation. A l'avenir, l'action mene en faveur des rformes sera probablement axe sur le processus de privatisation et les aspects commerciaux de l'activit des mdias. La communaut internationale devra exercer des pressions pour obtenir le dmantlement des oligarchies mdiatiques et empcher la naissance de nouveaux monopoles.

S'agissant de promouvoir la protection juridique des journalistes, la communaut internationale a entrepris de remplacer les lois de l're communiste qui supprimaient la libert d'expression et entravaient les enqutes des journalistes. En juillet 1999, Carlos Westendorp a us de son autorit de Haut Reprsentant pour faire annuler une disposition prvoyant des peines de prison pour les personnes tombant sous le coup de la loi sur la diffamation. Il a demand qu'une nouvelle loi sur la diffamation et une loi sur la libert de l'information soient rdiges selon des directives donnes au niveau international. En octobre 2000, le parlement national a adopt une loi, labore par des experts de l'OSCE, qui ouvre l'accs aux informations dtenues par des organes gouvernementaux, sauf dans quelques rares secteurs. Mme si elle n'est que partiellement applique, la loi sur la libert de l'information offre le potentiel ncessaire pour transformer la culture du secret qui a t celle des dirigeants politiques bosniaques.

Quelques reprsentants des organisations militant pour la libert de la presse ont accus les Etats membres de l'OTAN d'attenter la libert d'expression en prenant des mesures contre les mdias dont le langage tait jug incendiaire. Au moment de la cration de l'IMC, ces mmes critiques prtendaient que la libert des mdias serait mise en pril par un organisme tout puissant prt agir de faon arbitraire. S'il est vident que toute stratgie interventionniste concernant les mdias comporte des risques, il reste que les critiques partent souvent de bases errones.

Plutt que de considrer la Bosnie, ou, d'ailleurs, le Kosovo, le Rwanda ou le Timor-Oriental, comme s'il s'agissait d'une dmocratie de l'Ouest, il importe de se rappeler, propos de ces pays, ce qu'tait l'Allemagne en 1945. Est-ce promouvoir la libert d'expression que de tolrer un contrle politique des frquences de radio-tlvision et de la presse crite? Est-ce dfendre nos valeurs dmocratiques que de laisser dmagogues et dictateurs pousser leurs peuples la haine religieuse, ethnique ou raciale et au gnocide? Dans les pays dpourvus de traditions ou d'institutions dmocratiques, il n'existe aucun systme judiciaire solide qui protge les journalistes, aucun organisme rgulateur qui empche les milieux politiques de contrler des metteurs financement public, et aucun march libre qui ouvre les accs ncessaires la presse crite et aux annonceurs. Ds lors, tout immobilisme revient simplement livrer les journalistes et l'opposition la pression des intrts acquis.

L o le maintien de la paix est assur par des forces armes multinationales, il faut qu'un maximum d'autorit internationale soit exerc dans le secteur des mdias aussi tt que possible. Les frquences ne doivent pas tre attribues par des oligarchies politiques. Laisser faire les anciennes factions belligrantes revient leur montrer un signe de faiblesse et leur offrir la possibilit de reprendre le conflit. Il est prfrable de prendre d'emble une position ferme et de pouvoir ainsi se retirer plus rapidement. Cependant, toute action visant promouvoir la libert des mdias doit s'accompagner d'une stratgie internationale axe sur une rforme conomique et judiciaire fondamentale. Le contrle politique de l'conomie exclut toute forme d'instauration d'un quatrime pouvoir libre et indpendant. La presse crite, les sources publicitaires et l'accs aux frquences doivent tre l'abri des ingrences politiques. En l'absence d'un pouvoir judiciaire et d'une force de police indpendants, il n'existe aucune protection contre les menaces qui risquent de peser sur les enqutes journalistiques et la libert d'expression.

L'une des questions souleves par certains militants de la libert de la presse mrite nanmoins d'tre prise plus srieusement en considration. Les institutions ou les rglements imposs par les administrateurs internationaux devraient tre conformes aux normes dmocratiques, tant donn qu'un jour, les forces de maintien de la paix partiront et transmettront leurs pouvoirs aux autorits locales. Ce qui aura t cr par les missions internationales de maintien de la paix sera finalement lgu aux gouvernements nationaux. Dans toute la mesure du possible, les lois, les institutions et les rglements qu'appuie la communaut internationale devraient tre fonds sur les meilleurs principes et pratiques d'une dmocratie. L'intervention de l'autorit internationale sur le terrain doit suivre une procdure normale et s'accompagner de rformes dmocratiques plus larges qui protgent les journalistes dans leurs enqutes. En l'absence d'une telle procdure et de principes dmocratiques bien dfinis, intervenir dans le milieu des mdias ou dans tout autre secteur uniquement pour influer sur les dveloppements politiques peut avoir des effets en retour rellement ngatifs. Il ne faut pas que l'on puisse constater que les Etats donateurs violent les lois et les rglements qui sont en vigueur chez eux.

La bonne nouvelle est que les conditions de la libert des mdias en Bosnie se sont amliores depuis 1995, parfois grce la prsence de la communaut internationale, et parfois aussi malgr cette prsence. La mauvaise nouvelle est que, jusqu'ici, les progrs raliss sont assez minces et restent tributaires d'une trs importante aide financire de l'tranger. On ne s'est pas suffisamment intress la formation des candidats la profession de journaliste. Peut-tre les dividendes ne sont-ils pas assez rapidement perceptibles pour les Etats donateurs, qui se sentent obligs d'annoncer leur opinion des rsultats immdiats. L'Ecole de la BBC implante Sarajevo l'intention des prsentateurs de l'actualit, tablissement financ par le Royaume-Uni et l'Open Society Fund de George Soros, a, par exemple, connu un plein succs et aide former une nouvelle gnration de journalistes de radio-tlvision anims d'un esprit d'indpendance. Le financement international va invitablement diminuer au fil du temps. Cependant, il est essentiel de faire avancer le processus de rforme. Les mdias possdent un vaste potentiel qui leur permet aussi bien de dclencher une guerre que de contribuer l'instauration de la dmocratie. Leur libration de tout contrle politique devrait bnficier de la mme priorit stratgique que le dminage ou la construction de ponts.