Edition Web
Vol. 41- No. 6
Déc. 1993
p. 19-24
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L'évolution
de la politique de sécurité de la Suisse
Manfred Rôsch,
correspondant à Bruxelles de l'Agence de presse suisse, Berne
Les affaires politiques suisses font rarement la une des médias
étrangers. Cela a cependant été le cas à deux
reprises en juin dernier. En effet, après l'approbation à
une large majorité, par le parlement de cette Confédération
neutre - qui n'est membre ni de l'OTAN, ni de la Communauté européenne,
ni des Nations unies - de la formation d'une force de maintien de la paix,
le gouvernement est également parvenu a remporter un référendum
sur l'achat de trente-quatre chasseurs de type F/A-18 en justifiant cette
transaction comme une contribution suisse à la sécurité
européenne. Qu'est donc devenue la légendaire neutralité
suisse? Quel est le genre de politique de sécurité que mène
désormais la Confédération helvétique et comment
est-elle susceptible d'évoluer à l'avenir?
Une chose est sûre: l'évolution de la configuration de l'Europe
remet en question les politiques conventionnelles de la Suisse en matière
d'affaires étrangères et de sécurité. A l'instar
de l'OTAN, qui redéfinit sa fonction à la suite de la dissolution
du Pacte de Varsovie, la Suisse cherche avec circonspection le nouveau
rôle qu'elle est appelée à jouer. A qui particulièrement
devrait-elle aujourd'hui s'adresser pour trouver un médiateur neutre
et stabilisateur?
L'intégration de la Communauté européenne dépasse
les affaires économiques en se fixant des objectifs en matière
de politique étrangère et même de sécurité.
L'Europe centrale et orientale s'est libérée et cherche
à prendre pied en Occident, tandis que la menace que représentait
le Pacte de Varsovie, et plus singulièrement l'Union soviétique,
appartient désormais au passé. En raison de cette évolution,
la Suisse est, elle aussi, contrainte de revoir son mode de pensée.
Confronté à une opinion publique sceptique qui a fréquemment
le dernier mot dans une démocratie gouvernée par référendum,
le gouvernement helvétique doit, d'une manière ou d'une
autre, présenter de façon aussi attrayante et "digeste"
que possible, le resserrement de ses relations avec la Communauté
européenne, ainsi que la fin d'une politique de sécurité
basée sur l'autarcie.
Repenser la politique de sécurité
Dès 1990, le gouvernement a soumis au parlement un rapport intitulé
Le nouveau visage de la politique de sécurité suisse. Il
y expliquait que le pays devait viser "à collaborer à
un niveau européen... à l'édification d'une politique
de sécurité européenne viable". Par le biais
de la coopération économique et politique et en poursuivant
une politique pour la paix, la Suisse veut contribuer à la sécurité
du continent. Cette solidarité européenne active résulte
de la conviction que "nous serons davantage en sécurité
si l'Europe l'est également", comme l'a déclaré
le ministre de la Défense, M. Villiger au printemps dernier.
Pour ce qui a trait au référendum sur l'achat des F/A-18,
qu'il a fallu organiser puisque les partisans du désarmement avaient
récolté le nombre de signatures requis, M. Villinger décrit
cette acquisition comme un geste de solidarité visant à
permettre à la Suisse d'assurer sa propre défense aérienne,
plutôt que de laisser le soin de cette tâche coûteuse
- les 34 avions coûtent 3,5 milliards de francs suisse - à
ses voisins. Avant le référendum, le chef de F état-major
général, Arthur Liener, n'a pas hésité à
déclarer que "l'Europe retiendra sa respiration jusqu'à
notre décision du 6 juin".
Au début de la soirée du 6 juin, M. Villiger, commandant
en chef civil de l'armée, et le général Liener, l'officier
le plus haut gradé, purent enfin recommencer à respirer:
le point de vue défendu par les partisans du désarmement
venait d'être rejeté par un vote de 57 contre 43 pour-cent.
On peut toutefois considérer que la majorité n'a pas suivi
le gouvernement par attachement au concept européen, mais bien
pour éviter que l'armée soit peu à peu affaiblie.
Derrière la décision de l'opinion publique, se trouve en
effet le souvenir récent du "Groupe pour la Suisse sans armée",
qui, en novembre 1989, avait obtenu la tenue d'un référendum
sur l'abolition de l'armée, ce qui constituait déjà
une incroyable victoire, d'autant que 35,6 pour-cent des votants se prononcèrent
pour le désarmement unilatéral de la Suisse. Avant le vote,
certains humoristes affirmaient que la Suisse n'avait pas d'armée,
puisqu'elle en était une. Cette boutade ne fait désormais
plus rire personne.
Il n'en demeure pas moins que l'acquisition des F/A-18 a été
critiquée, même par de farouches partisans de l'armée,
notamment en raison de son coût élevé. Il convient
d'ajouter que la part du ministère de la Défense dans les
dépenses fédérales décroît en termes
réels: en 1960, elle représentait encore plus de 30 pour-cent,
mais elle tombera à 12 pour-cent exactement pour 1995.
Une force de maintien de la paix fournie par un pays n'appartenant
pas aux Nations unies
C'est à une écrasante majorité que le parlement
de Berne a adopté en juin dernier une loi fédérale
autorisant des troupes suisses à participer à des opérations
de maintien de la paix sous mandat des Nations unies ou de la Conférence
sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE).
Nulle forme de restrictions liées à la neutralité
n'a été attachée à cette loi. Le ministre
de la Défense a salué la formation d'un bataillon suisse
de maintien de la paix comme un jalon important de la nouvelle politique
de sécurité. Ce faisant, a-t-il expliqué, la Suisse
envoit un signal visible de solidarité internationale et de partage
du concept de sécurité collective. Une Suisse considérée
comme un membre utile de la famille des nations, plutôt que comme
un pays égoïstement replié sur lui-même, sera
plus en sécurité, car un pays prêt à soutenir
la solidarité pourra plus aisément compter sur celle-ci
en cas de besoin.
M. Villiger a expliqué au parlement que le déploiement
d'une unité de casques bleus classique n'entraînera pas de
problème de neutralité, puisque ces troupes se cantonneront
à des opérations de maintien de la paix. Il a ajouté
que les six cents casques bleus suisses seraient légèrement
armés, mais uniquement dans un souci d'autodéfense. La restriction
à l'autodéfense a toujours constitué le principe
fondamental de la politique de neutralité.
Le ministre de la Défense a rejeté l'argument avancé
par les opposants à la loi, qui prétendaient que la formation
d'un corps de maintien de la paix allait à rencontre d'un référendum
de 1986. A cette époque, les trois quarts de la population suisse
avaient refusé de se prononcer en faveur de l'appartenance de leur
pays aux Nations unies. Il doit également y avoir un référendum
sur le thème de la loi liée au maintien de la paix qui constituera
un test de la volonté du peuple suisse de s'ouvrir sur le monde.
D'après la nouvelle position de Berne, la neutralité n'est
plus d'application si la communauté internationale adopte une action
collective contre ceux qui s'inscrivent en marge de ses lois. C'est pourquoi,
en dépit des résultats du référendum de 1986,
la Suisse s'est jointe aux sanctions économiques contre l'Iraq
en 1990 et en 1991, mais, à la différence de l'Autriche,
neutre et membre comme elle de l'Association européenne de libre-échange
(AELE), la Suisse n'a pas accordé aux alliés l'utilisation
à des fins militaires de son espace aérien. Ajoutons que,
depuis 1989, la Suisse fournit des unités médicales non
armées aux forces des Nations unies, d'abord en Namibie et actuellement
au Sahara occidental.
L'intégration européenne
Le gouvernement suisse est habitué à la méfiance
que la question de l'appartenance à des organisations internationales
suscite généralement au sein de son électorat. L'attitude
largement répandue de l'isolationnisme résulte, entre autres
choses, de près d'un demi siècle d'abstention virtuelle
de toute participation aux affaires politiques extérieures. En
1986, la population rurale n'avait pu accepter le volte-face lié
à l'appartenance aux Nations unies que les hommes politiques lui
avaient présenté; plus tard, le 6 décembre 1992,
une très courte majorité de votants rejeta également
la proposition d'adhésion de la Suisse à l'Espace économique
européen (EEE). Lors de ce qui fut peut-être le plus important
référendum du siècle, précédé
par une campagne d'une hostilité inhabituelle, 78,3 pour-cent des
votants - un pourcentage extrêmement élevé en fonction
des critères suisses - se rendirent aux urnes et refusèrent
d'adopter ce projet présenté par le gouvernement et soutenu
par les deux tiers du parlement.
Tous les partisans de l'EEE n'étaient d'ailleurs pas des Européens
convaincus, puisque nombre d'entre eux souhaitaient simplement éviter
une discrimination économique à rencontre de leur pays.
On peut en outre considérer que de nombreux partisans de l'EEE
ne sont pas en faveur de l'adhésion de la Suisse à la Communauté
européenne (CE).
Il en résulte que, à l'heure actuelle, la politique de la
Suisse liée à l'intégration européenne est
au point-mort. Le gouvernement tente de limiter les dégâts
et de préserver l'option d'entrée dans le marché
unique pour l'économie suisse, par le biais d'accords bilatéraux
avec la CE. Ajoutons que, à un moment ou à un autre, ce
même gouvernement renouvelera probablement ses tentatives de rapprochement
avec la Communauté européenne.
La demande d'adhésion à la CE, déposée à
Bruxelles par le gouvernement suisse le 26 mai 1992, a peut-être
contribué au résultat négatif du référendum
sur l'EEE. Le gouvernement de Berne avait pris son courage à deux
mains pour s-e'umettre sa demande d'adhésion à la CE dès
la conclusion heureuse des négociations EEE, et dans la foulée
d'un référendum favorable portant sur l'appartenance de
la Suisse au Fond monétaire international (FMI) et à la
Banque mondiale. Cette demande d'adhésion ne contenait aucune restriction
en matière de neutralité, à la différence
de celle de l'Autriche en 1989.
La neutralité et la politique étrangère et de
sécurité commune
La demande d'adhésion à la CE n'a pas été
retirée à la suite du rejet, désormais historique,
de l'EEE par l'électorat suisse, mais elle est mise au frigo pour
le moment. Le gouvernement garde ses options ouvertes pour se joindre
à l'EEE à une date ultérieure, ainsi que pour devenir
membre de la CE. Pour cette raison, il ne peut perdre de vue l'évolution
de la Politique étrangère et de sécurité commune
(PESC), vaguement définie par le Traité de Maastricht. A
l'heure actuelle, la PESC, même si elle n'impose aucune condition
légale liée à la neutralité, est discutable
pour des motifs politiques. Berne considère que les candidats neutres
postulant pour l'appartenance après la ratification du Traité
de Maastricht ne peuvent être tenus à des engagements plus
contraignants que ceux exigés des membres de la CE, parmi lesquels
figure naturellement le pays neutre que constitue l'Irlande. Kasper Villiger
a néanmoins averti en octobre 1992 qu'"il serait certainement
illusoire de croire qu'un Traité de Maastricht et notre neutralité
traditionnelle soient conciliables".
La question consiste à savoir combien de temps une forme de neutralité
avec une non-participation militaire comme principe de base pourrait durer
au sein de l'Union européenne. Une attente de solidarité
se manifeste d'ores et déjà parmi les membres de l'Union.
Comment, par exemple, un membre neutre réagirait-il si un ou plusieurs
Etats membres de la CE étaient attaqués par un agresseur
extérieur?
A la suite du rejet de l'adhésion à l'EEE, l'objectif original
- consistant à définir le statut des pays neutres dans l'Union
européenne de concert avec les autres candidats neutres à
la CE, à savoir l'Autriche, la Suède et la Finlande - n'a,
de l'avis général, pas été atteint. De toute
façon, lorsque l'on considère les différents concepts
de neutralité, on peut se demander jusqu'à quel point sa
mise en oeuvre aurait été possible. Le vote de refus à
l'EEE signifie que la Suisse a également perdu l'occasion de participer
à la conférence prévue pour 1996 sur la PESC et sur
les réformes institutionnelles, ainsi que d'exercer une influence
sur le remodelage du Traité de l'Union de l'Europe occidentale,
qui expire en 1998.
L'OTAN et l'UEO
Du point de vue de M. Villiger, le rejet de l'adhésion à
l'EEE ne doit pas aller de pair avec une distanciation de la Suisse par
rapport à la politique de sécurité européenne.
"Nous devrons tenter de jouer notre rôle dans le modelage de
la sécurité européenne, d'où que viennent
les efforts en ce sens", a-t-il déclaré à Genève,
en février dernier. La guerre dans l'ex-Yougoslavie a identifié
les limites de la CSCE, a-t-il ajouté. Avec le Conseil de l'Europe,
la CSCE constitue à l'heure actuelle la seule enceinte européenne
au sein de laquelle la Suisse peut avoir son mot à dire sur les
questions relatives à la politique de sécurité.
M. Villiger a souligné que, en tant que pays neutre, la Suisse
devrait envisager la nature des futures relations qu'elle souhaiterait
développer avec l'OTAN et l'UEO. S'exprimant en octobre 1992 sur
les futures relations Suisse-OTAN ou Suisse-UEO, le ministre de la Défense
a déclaré qu'à son avis,
"il y a probablement plusieurs raisons pour la Suisse de se joindre
à une organisation de défense européenne, mais, comme
membre du Conseil des ministres (c.-à-d. du gouvernement) - et
en tant que citoyen suisse - je considère qu'une telle démarche
revêtirait une immense importance, et que, pour cette raison, elle
doit être mûrement réfléchie. Le moment pour
une telle décision n'est pas encore venu et les événements
qui surviennent dans les pays qui nous entourent ne pourront nous pousser
à la prendre. Entretetemps, et tout à fait indépendamment
de nos relations institutionnelles avec l'Europe, nous ne pourrons éviter,
dans les prochaines années, un large débat sur la question
de la neutralité."
Il a néanmoins ajouté que la participation à la
création d'une structure de sécurité européenne
"servirait au mieux nos intérêts", puisqu'il est
d'ores et déjà manifeste qu'un petit pays comme la Suisse
ne peut plus faire face, de manière autonome, aux exigences spécifiques
en matière de défense.
A l'heure actuelle, Berne examine avec attention le concept de Partenariat
pour la paix proposé par Les Aspin, le secrétaire américain
à la Défense, lors de la réunion d'octobre des ministres
de la Défense de l'OTAN à Travemiinde, en Allemagne. Le
ministre suisse de la Défense est intéressé par la
conclusion éventuelle d'un accord de coopération bilatéral
avec l'OTAN, comme il l'a déclaré lors d'une récente
interview accordée à la radio suisse. La proposition de
Les Aspin est attrayante, car elle permet aux pays neutres de déterminer
eux-mêmes, comme l'a souligné Kaspar Villiger, jusqu'où
il veulent aller dans leur coopération avec l'OTAN.
La neutralité en question
Tout dépendra donc de la décision de la Suisse de conserver
ou non sa neutralité, et si oui, sous quelle forme. En mars 1992,
un groupe d'experts a soumis un rapport sur la neutralité, à
la demande du gouvernement. Aux termes de ce rapport, la Suisse devrait
se limiter aux principes de base de la neutralité définis
par le droit international. En d'autres mots, elle devrait demeurer à
l'écart si d'autres pays entraient en guerre, tout en étant
simultanément préparée à défendre la
souveraineté de son propre territoire. D'après les experts
cependant, en temps de paix, la Suisse devrait à l'avenir exploiter
au maximum ses potentialités d'implication dans la politique extérieure.
D'après ledit rapport, la neutralité ne constitue pas "un
obstacle à la coopération avec d'autres pays pour affronter
de nouvelles menaces, ou pour ériger des structures de sécurité
viables en Europe". Pas plus qu'elle n'exclut la possibilité
d'adhésion à l'Union européenne, du moins aussi longtemps
que cette dernière ne sera pas investie d'une autorité sur
des structures, de quelque nature que ce soit, contrac-tuellement contraignantes
en matière de sécurité et de politique de défense.
Incidemment, le rapport ajoute que la neutralité ne constitue pas
une raison pour justifier une non-participation aux sanctions économiques
décidées par les Nations unies, pas plus qu'un empêchement
pour la Suisse d'autoriser le survol de son territoire et le droit de
passage sur celui-ci lorsque des sanctions militaires sont imposées
par l'ONU.
Pour aplanir tout malentendu, les experts rappellent que la neutralité
ne constitue qu'une forme de politique extérieure, et non une fin
en soi. "S'il s'avérait que la neutralité ait perdu
sa finalité, ou qu'elle empêche la Suisse de sauvegarder
ses intérêts nationaux, alors elle devrait être remplacée
par d'autres instruments adéquats", considèrent-ils.
Toutefois, en l'absence de toute autre structure de sécurité
garantissant aussi efficacement la sécurité, le rapport
des experts recommande le maintien de la neutralité.
En 1847, les pères fondateurs choisirent délibérément
de ne pas inclure la neutralité dans la constitution suisse. Ils
voyaient plutôt en elle un instrument susceptible, en cas d'urgence,
d'être abandonné. Depuis lors cependant, le peuple suisse
s'est à ce point accoutumé à considérer la
neutralité comme un préalable indispensable à l'identité
et à la prospérité suisses qu'elle est devenue une
sorte de mythe ou de dogme, et qu'elle est généralement
considérée comme un sujet tabou. La Suisse a échappé
aux horreurs de deux guerres parce que - du moins certaines personnes
le croient - elle était neutre et apte à se défendre.
L'image d'une "Suisse spéciale" s'est développée
dans la conscience collective nationale: celle d'un pays pacifique, démocratique,
indépendant, fédéraliste et prospère, régi
par la loi et l'ordre, différent des autres et dès lors
exemplaire.
Depuis peu cependant, un nombre croissant de voix s'élève,
non seulement pour dénier tout avenir à la neutralité,
mais également pour jeter rétrospectivement le doute sur
la réussite de la Suisse dans la période de l'après-guerre.
C'est ainsi, par exemple, que Mauro Mantovani, l'éminent expert
en matière de politique de sécurité de l'Université
technologique de Zurich, considère que "depuis quarante ans,
la neutralité s'avère inadéquate en tant que stratégie
de sécurité; la Suisse est redevable exclusivement à
l'existence de l'OTAN d'être sortie territorialement indemne de
la Guerre froide".
Le gouvernement présente actuellement un rapport détaillé
sur la complexité de la politique étrangère et de
la neutralité. On ne s'attend pas pour autant à une renonciation
formelle à la neutralité, ni même à des demandes
d'adhésion à l'OTAN et à l'UEO.
Une armée de stature européenne
Un autre rapport, intitulé Armée Modèle 95 qui établit
le profil de l'armée des années 1990, a été
soumis par le gouvernement au parlement au début de 1992. Sa lecture
est des plus édifiantes. D'après ce rapport, l'armée
- dont les effectifs doivent passer de 600.000 à 400.000 hommes
- sert à la fois à défendre le pays et les intérêts
en matière de sécurité de l'Europe dans son ensemble,
en contribuant à l'équilibre européen. Elle doit
être structurée de manière à ce que, si nécessaire,
elle puisse fonctionner comme partie d'une alliance. Le rapport ajoute
que "l'Armée 95 est non seulement utile pour l'Europe, mais
qu'elle présente en outre potentiellement une stature européenne".
Certaines parties des forces, "telles que, par exemple, la force
aérienne et les brigades blindées, peuvent être complètement
intégrées à un système de sécurité
européen". L'armée ne devrait pas, poursuit le rapport,
être autorisée à porter préjudice aux décisions
politiques favorisant l'entrée de la Suisse dans un système
de sécurité européen ou son renoncement à
la neutralité, mais elle doit être capable de mettre en oeuvre
une telle décision.
Il est dès lors possible d'affirmer que la souplesse remplace
graduellement ce qui était jadis une politique rigide de "retrait
armé" (ou de "névrose du hérisson",
comme on la qualifie de manière moins charitable). La Suisse commence
à se rendre compte qu'elle ne peut plus se permettre de se passer
d'une politique étrangère, ni de considérer sa politique
en matière de sécurité comme une affaire purement
intérieure. Si l'on considère les étroits liens historiques,
culturels, linguistiques, économiques et géostratégiques
qui unissent la Suisse à ses voisins, de même que l'ampleur
des défis auxquels sa politique en matière de sécurité
est confrontée, la seule manière d'aller de l'avant qui,
en fin de compte, lui est offerte consiste à dépendre des,
ou de s'intégrer aux structures partiellement supranationales de
F Occident. Ne serait-il pas absurde que, de tous les pays, la Suisse
-située au croisement des grandes cultures continentales - considère
sérieusement de demeurer définitivement renfermée
dans sa coquille, alors que la Hongrie ou la Pologne cherchent avec insistance
à se rapprocher de la CE et de l'OTAN?

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