Revue de l'OTAN
Mise à jour: 08-Sep-2002 Revue de l'OTAN

Edition Web
Vol. 39- No. 5
Octobre 1991
p. 7-10

Le Traité sur la réduction des armements stratégiques: réduire le risque de guerre

Ambassadeur Linton Brooks
Chef de la délégation américaine aux négociations
sur les armements nucléaires et spatiaux

Pendant les cinquante ans ou presque qui ont suivi le développement de la première arme nucléaire, le monde a assisté à l'accumulation toujours plus impressionnante et diversifiée d'armes nucléaires stratégiques, et c' est avec un profond malaise qu' il a vu ces armes devenir le fondement d'une relation bipolarisée, basée sur la confrontation et laméfïance. Parallèlement, les Etats-Unis et leurs alliés se sont fiés aux armes nucléaires stratégiques pour dissuader la guerre et assurer la protection et la sécurité occidentales.

Dans le cadre des bouleversements qui secouent l'Europe et l'Union soviétique depuis une dizaine d'années, les Etats-Unis et l'Union soviétique s'emploient à modifier leur relation stratégique. En juin 1982, ces deux pays ont lancé le processus START afin de mieux gérer cette relation et les armes dont elles sont dérivées, un processus qui a atteint son apogée le 31 juillet 1991 avec la signature du traité START par les présidents Bush et Gorbatchev. Plus récemment, le président Bush, après avoir consulté ses alliés de l'OTAN, a annoncé le 27 septembre des initiatives de grande portée sur les armements nucléaires, notamment la décision de réduire le niveau d'alerte de tous les bombardiers lourds de même que tous les missiles balistiques intercontinentaux (ICBM) américains prévus pour être désactivés aux termes du traité START. De plus, leur élimination sera accélérée après la ratification de START. Il a été demandé à l'URSS d'adopter des mesures similaires.

Depuis deux ans, la Revue de l'OTAN rend compte régulièrement des progrès des négociations START. (1) Je souhaite décrire ici les résultats de ces longues années d'efforts.

Le traité START comprend le Traité proprement dit, plus dix protocoles et annexes - soit plus de sept cents pages au total. Ces documents historiques contiennent les règlements selon lesquels les forces offensives stratégiques des deux pays seront réduites et plafonnées. Le traité START ne se contente pas d'imposer des plafonds égaux au nombre d'armes nucléaires stratégiques pouvant être déployées par les deux parties. Il définit aussi un plafond égal aux charges utiles éjectables des missiles balistiques (une façon de mesurer le potentiel de lancement des missiles balistiques). De plus, chaque partie ne peut posséder plus de:

  • 1.600 lanceurs nucléaires stratégiques (missiles balistiques intercontinentaux déployés, missiles balistiques lancés par sous-marins et bombardiers lourds), une limite de 36% inférieure au niveau soviétique actuel et de 29% inférieure au niveau américain actuel;

  • 6.000 ogives au total - une limite de 41% inférieure au niveau soviétique actuel et de 43% inférieure au niveau américain actuel;

  • 4.900 ogives déployées sur des missiles balistiques intercontinentaux (ICBM) ou sur des missiles balistiques lancés par sous-marins (SLBM)

  • une limite de 48% inférieure au niveau soviétique actuel et de 40% inférieure au niveau américain actuel;

  • 1.540 ogives déployées sur 154 ICBM lourds, soit une réduction de 50% des forces soviétiques actuelles (les Etats-Unis n'ont pas d'ICBM lourds);

  • 1.100 ogives déployées sur des ICBM mobiles, et

  • un total de SLBM et ICBM déployés égal à environ 54% du total actuel des charges utiles éjectables soviétiques.

A la différence des précédents accords sur les armes nucléaires stratégiques, ces plafonds entraîneront des réductions réelles, y compris à court ternie. D'ici la fin de la première période de réduction de trois ans préconisée par le Traité, les Etats-Unis et l'Union soviétique seront à des niveaux de force égaux suite au démantèlement d'armes nucléaires déployées. Au total, les réductions les plus spectaculaires toucheront les catégories d'armements qui menacent le plus les Etats-Unis et leurs alliés - les missiles balistiques tels les ICBM lourds soviétiques de type SS-18. Les plafonds centraux du traité visent à renforcer la stabilité stratégique en encourageant la restructuration de l'arsenal stratégique soviétique; autrefois essentiellement axé sur des armes de première frappe, cet arsenal devrait être réorienté vers des systèmes moins menaçants et moins sujets à destruction, comme les bombardiers par exemple.
Les réductions et les limitations du traité seront menées à bien par le biais de procédures de vérification très "indiscrètes". Le traité START s'inspire des trois années d'expérience du Traité FNI au cours desquelles les deux parties ont effectué des inspections réciproques de presque toutes leurs grandes installations stratégiques. Au total, le traité START prévoit douze types d'inspections différents, sans compter la surveillance des installations américaines et soviétiques produisant les ICBM mobiles ou les premiers éléments de ces missiles.

Le traité instaure également un système extensif de plus de quatre-vingts notifications distinctes - chaque partie étant tenue de communiquer à l'autre ses nouveaux systèmes de missiles ou les mouvements, opérations ou éliminations de forces conformément au traité - et cela afin que chaque signataire comprenne mieux les intentions et les actions de l'autre partie.

Principaux éléments

Un exemple frappant de 1'"indiscrétion" du régime de vérification est l'échange de bandes magnétiques contenant des données sur les vols d'essai de missiles (télémétrie) effectués par chacune des deux parties -l'un des principaux éléments du système. L'acceptation mutuelle d'échange de copies de bandes, et des données nécessaires à leur compréhension, n' aurait été possible à aucun autre moment de l'histoire des relations américano-soviétiques. En fait, cet accord fut l'un des derniers aspects mis au point au cours des trente derniers jours de négociations à Genève. Les Soviétiques avaient toujours refusé de marquer leur accord sur une étape aussi importante, mais l'avènement d'une nouvelle ère de coopération les a amenés à revoir leur position.

D'autres éléments importants du traité convenus vers la fin des négociations, en juillet, concernent notamment les accords sur l'allégement (downloading) et la définition des nouveaux types d'ICBM ou de SLBM. Bien qu'ayant fait l'objet d'un accord assez tardif, chacun de ces points revêt une importance vitale pour les objectifs sous-jacents du traité - qui visent, en fait, à créer des stimulants pour parvenir à des forces moins menaçantes. L'allégement autorise chaque partie à démanteler un nombre limité d'ogives sur des missiles existants et à compter ces missiles comme ayant un nombre réduit de têtes. Cette méthode présente des avantages importants. La réduction de la concentration des têtes sur les missiles est une manière de promouvoir la stabilité en diminuant la valeur du missile en tant que cible. L'allégement permet également des économies, puisqu'il n'oblige pas à construire de nouveaux missiles équipés d'un nombre de têtes inférieur. Mais cette méthode, pratiquée à grande échelle, pourrait produire l'effet contraire et entraîner un déséquilibre ou une rapide accumulation d'armements. Le traité équilibre ces intérêts compétitifs en limitant strictement l'allégement aux systèmes existants.

La disposition relative à de nouveaux types de missiles est une autre facette du même concept. Des définitions rigoureuses ont été formulées pour différencier un missile balistique nouvellement développé d'un missile modifié déjà existant. Sans cette différenciation, une partie pourrait apporter des changements "esthétiques" à un modèle existant et faire passer le résultat pour un nouveau missile équipé d'un nombre de têtes différent. Une fois de plus, autoriser une telle pratique pourrait accroître le risque de déséquilibre.

Il convient également de rappeler ce qui n'est pas couvert par le traité START. Le potentiel conventionnel n'a pas été plafonné, et aucune limite n'a été imposée au développement de moyens de défense stabilisateurs, ni à la capacité des Etats-Unis à continuer de soutenir l'OTAN. Conformément à la nature bilatérale des négociations, le traité ne prévoit pas de compensation pour les forces nucléaires indépendantes de la France et du Royaume-Uni.

Accroître la stabilité

Bien que la finalisation des négociations sur le traité START soit arrivée en temps opportun, alors même que des bouleversements importants se produisaient en Union soviétique, les critiques ne manqueront pas de mettre en doute la pertinence de ce Traité dans le nouveau contexte. De même, on pourrait aussi s'interroger sur les futures négociations en matière d'armes stratégiques offensives. Il est important de noter que le Traité START ne consiste pas à éliminer la dissuasion, mais à éliminer le risque de guerre. Le président Bush, dans l'allocution qu' il a prononcée à Moscou à 1 ' occasion de la signature officielle du traité START, a déclaré que "en réduisant les armements, nous renversons une tendance à l'accumulation, depuis un demi-siècle, des arsenaux stratégiques. Plus encore: nous marquons un pas important vers l'élimination d'un demi- siècle de méfiance. En pays - dans la promesse de nouveaux progrès vers une paix durable."

Ces mots ont sans doute plus de signification aujourd'hui, après le coup d'Etat manqué en Union soviétique, qu'ils n'en avaient auparavant. La transparence militaire et la démarche structurée adoptée à l'égard des réductions des armes offensives stratégiques accroît la stabilité requise à une période où de nombreuses républiques cherchent leur place dans la nouvelle union. Avec le traité START, nous pourrons continuer à repousser la méfiance et consolider notre nouvelle relation. Cette évolution est d'autant plus importante que l'Ukraine, la Biélorussie et le Kazakhstan pourraient démanteler les armes nucléaires et les transférer à la république de Russie. Un changement aussi soudain et radical dans l'arsenal nucléaire soviétique pourrait, s'il n'était pas mené selon une approche structurée, menacer la stabilité dont nous jouissons depuis plusieurs décennies. C'est pourquoi les dispositions du traité START ont plus de poids que jamais; elles constituent l'un des piliers de notre relation stratégique permanente.

Au terme du sommet de Washington, en 1990, les présidents Bush et Gorbatchev ont convenu qu'il faudrait entamer des consultations sur les étapes futures dès que la première occasion pratique se présenterait après la signature de START. Bien que la teneur de telles discussions soit toujours à l'étude, il est peu probable qu'il existe jamais un autre traité de sept cents pages sur les armes offensives stratégiques, car celui-ci offre un excellent cadre à de futures négociations si Etats-Unis et Union soviétique souhaitent progresser dans cette voie.


(1) Voir les articles de Richard Burt, Revue de l'OTAN n° 4, 1989, p. 6, et . Revue de l'OTAN n° 4, 1990, p. 24.